Citation
— Contacter un rescapé
A travers l’enseignement en milieu scolaire du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, Ibuka France et la Ligue de l’enseignement s’adressent aux jeunes générations avec un message d’éducation à la paix, à la tolérance, à la citoyenneté et au vivre ensemble. Dans cette perspective, nous accompagnons les équipes enseignantes dans la construction de leur projet et dans la gestion pédagogique de la réception d’un témoin-rescapé en classe.
Comme présenté sur cette plateforme, il est impératif que cette démarche s’inscrive dans le cadre d’un projet qui inclue une préparation des élèves au témoignage autrement dit un nécessaire travail de contextualisation historique mais également un travail de réception du témoignage notamment à travers un debriefing en classe et une restitution artistique. Dans ces conditions, nous pourrons envisager un témoignage en classe et vous mettre en relation avec un témoin-rescapé.
Afin d’entrer en relation avec un témoin-rescapé, nous vous invitons à nous adresser votre demande et à nous présenter votre projet à cette adresse : contact@enseigner-temoigner.org. Si vous avez la moindre interrogation, n’hésitez pas à nous contacter à cette même adresse.
— Préparer la venue d’un rescapé
Pour préparer un témoignage en classe, le rapport entre le témoin-rescapé (émetteur), les élèves (récepteurs) et l’enseignant (récepteur-médiateur) doit être réfléchi, élaboré, cadré pour permettre la réussite de la transmission, dans une perspective à la fois humaine (accueil attentif et constructif d’un rescapé d’un événement traumatique) et pédagogique (donner du sens aux échanges entre le témoin et les élèves).
Il est nécessaire de penser une préparation solide en amont de la rencontre qui laisse une place certaine au rescapé comme aux élèves. Comme le suggère avec justesse la psychanalyste Régine Waintrater, le témoignage de survivant des génocides s’inscrit dans un « contrat scellé entre le témoin et celui qui recueille son témoignage », un « contrat moral ». Comme un voyage partagé, le premier livre sa mémoire quand le second l’accompagne et le protège. L’enseignant se positionne ainsi : comme témoignaire, il est l’accompagnateur de confiance du témoin-rescapé vers les élèves. Il reste le facilitateur de la transmission. Les élèves, receveurs du récit de vie, deviennent dépositaires d’une parole. Elle les implique, d’autant qu’ils ont été actifs dans la préparation de la rencontre. Cette dernière, comme interaction humaine à haute émotion, nécessite alors la mise en œuvre d’étapes réfléchies et réalisées qui doivent assurer sa pleine réussite. Nous en présentons ci-dessous les grandes lignes pensées en trois temps distincts :
1-Définir les grands axes d’un projet pédagogique
Associé aux programmes scolaires, la venue d’un témoin-rescapé doit s’inscrire dans un projet pédagogique programmé porté par un enseignant ou une équipe, pluridisciplinaire ou non. L’histoire, le français, l’enseignement moral et civique (EMC), les arts plastiques ou la philosophie peuvent par exemple être les disciplines mobilisées. Le projet pédagogique s’articule quoiqu’il en soit autour de la rencontre avec le témoin-rescapé. A titre d’exemple, les problématiques suivantes peuvent être retenues :
Quels sont les mécanismes de la mise en place du génocide contre les Tutsi au Rwanda et de son exécution ?
Quelles sont les caractéristiques et spécificités du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ?
Dire l’indicible : comment témoigner d’un génocide ?
Comment les mémoires individuelles et collectives nous construisent et construisent l’histoire ?
En quoi le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda s’est accompagné d’une volonté de justice intégrale à différentes échelles ?
En quoi les tribunaux gacaca témoignent d’une volonté de justice de proximité ?
En quoi un crime contre l’humanité constitue une infraction aux principes éthiques (égalité et liberté) qui fondent le vivre ensemble ?
Discuter avec un témoin-rescapé de son œuvre (livres, productions artistiques) : pourquoi, comment exprimer son expérience par les arts ?
Pour alimenter et illustrer ces problématiques, nous vous invitons à vous référer aux ressources utiles partagées sur cette plateforme qui peuvent être mobilisés lors de l’enseignement en classe.
2- Organiser une réunion de préparation
Cette réunion vous permettra de partager la première ébauche déjà charpentée du projet au témoin-rescapé. Il s’agit, en amont du témoignage, de l’associer à l’élaboration de la feuille de route. C’est aussi l’occasion de déposer ses motivations, ses attentes, ses craintes et ses recommandations vis-à-vis du témoignage. Certaines réactions qui seraient potentiellement vives ou déconcertantes d’élèves peuvent également être explicitées au rescapé afin d’éviter une certaine forme d’incompréhension ou de rejet le jour de la rencontre. Enfin, cette réunion permet également une mise au point et une organisation logistique autour de la venue d’un rescapé (lieu et durée du témoignage, disposition de la salle, rétroprojecteur, etc.) Lors de cette rencontre, une trame narrative vous est proposée afin de structurer cet échange et organiser le témoignage dans de bonnes conditions : Conduire une réunion de préparation
3- Conduire un projet pédagogique
Dans un premier temps, il convient de présenter le projet aux élèves : pourquoi un tel projet, quels liens avec les apprentissages attendus, quels objectifs ? L’acquisition d’un bagage historique sur le génocide des Tutsi au Rwanda et la vérification de ces acquis apparaitre primordiale pour donner aux élèves des clés de compréhension au témoignage qui va leur être délivré.
Dans le prolongement de cet enseignement en classe, les enseignants inviteront les élèves à préparer des questions qui seront transmises au témoin-rescapé avant la rencontre selon son souhait. Certains témoins-rescapés ne souhaitent pas recevoir le questionnaire en amont de la rencontre, afin de conserver toute la spontanéité du moment. Aussi, les questions doivent être préparés de préférence chronologiquement pour faciliter le repérage dans le temps du témoin-rescapé : avant-pendant-après le génocide. C’est un point qui devra notamment avoir été abordé au cours de la réunion de préparation pour garantir un cadre sécurisant et bienveillant pour le rescapé.
En parallèle, les enseignants mèneront avec les élèves une réflexion sur la notion de « témoin-rescapé ». Le témoin rescapé est placé au centre de la démarche pédagogique. Porteur d’une mémoire restituée au moment de la rencontre avec les élèves, il sera présenté comme un acteur de l’événement. Le témoin-rescapé n’est pas dépositaire de l’histoire mais d’une mémoire de l’événement (dont elle est une partie). Cet apprentissage met en lumière la question du traumatisme de la survie (rescapé) à travers une prise de parole qui n’est pas anodine dans la mesure où elle amène le témoin à reprendre le chemin de l’expérience traumatique. L’enseignant ou l’équipe enseignante doivent expliciter ces points aux élèves : le témoin prend un risque, engage sa personne ; en retour, la rencontre implique l’enseignant comme l’élève dans un acte de commémoration – se souvenir ensemble (concentration et écoute de ses émotions, empathie, etc.).
Pour introduire la venue d’un rescapé en classe, l’enseignant peut être amené à présenter l’identité, le parcours général et la situation actuelle du rescapé. Dans le cas où il a produit des livres (récits, fictions) ou des œuvres artistiques, il convient de les présenter, les situer dans leur contexte de production, de présenter leur réception et le statut que leur confère le témoin-rescapé. Dans cette perspective, il est envisageable de proposer un premier échange « brise-glace » entre les élèves et le rescapé à travers en court échange de mail ou de lettres, ce qui pourra potentiellement permettre au rescapé et aux élèves de se sentir plus à l’aise. Une fois encore, ce point pourra être évoqué au cours de la réunion de préparation qui doit nécessairement se tenir en amont du témoignage en classe. Echanger des messages entre élèves et témoin-rescapé disant l’attente impatiente de la rencontre, multipliant les gestes et mots de remerciement, de soutien, de reconnaissance et de considération peuvent permettre d’indiquer la valeur attendue de la rencontre tout en lui déniant la valeur d’un temps spectaculaire, mais bien comme une étape dans un processus plus large.
Selon l’axe pédagogique et la production artistique retenue, les élèves pourront être amenés à prendre des notes lors de la rencontre, sur feuille libre ou dans le cadre d’une fiche thématique ou chronologique préparée par l’enseignant : les étapes de l’expérience du génocide, la séparation souvenirs/rappels historiques mentionnés par le témoin, description des lieux, des protagonistes : victimes, bourreaux.
Enfin, l’enseignant présente aux élèves l’étape de la production artistique. Il est important que les élèves aient en tête qu’ils vont devoir réaliser une production de leur choix après le témoignage en classe. Dans la perspective de cette production artistique, ils peuvent également être invités à une prise de notes sur un éventuel support en lien avec cette production qui peut également prendre la forme de dessins, croquis ou encore citations. Dans la mesure où cette prise de notes ne permet pas à certains élèves de vivre pleinement la rencontre ou peut possiblement déstabiliser le témoin-rescapé, elle n’est pas rendue obligatoire. C’est un point qu’il convient une fois encore d’évoquer lors de la réunion de préparation.
— Accueillir un rescapé en classe
Le recueil du témoignage d’un rescapé s’inscrit dans un temps important pour ce dernier : il se livre dans le cadre d’une « mission » de transmission, et attend empathie et fiabilité de ceux à qui il a donné sa confiance et ceux avec qui il a préparé cette rencontre. Ainsi, l’accueil du témoin-rescapé dans l’établissement doit-il se faire dans des conditions réfléchies et optimales de considération et d’écoute. Les engagements pris lors de la réunion de préparation doivent être tenus. L’équipe enseignante ou l’enseignant doit garder à l’esprit qu’un établissement scolaire, lieu clôt (lieu de massacre parfois lors du génocide de 1994) est un espace intimidant : peu connu, fonctionnement selon des règles et des habitus inconnus, chargé d’une puissance symbolique forte (transmission, apprentissage des plus jeunes).
A l’arrivée du témoin-rescapé et d’un éventuel proche dans l’établissement, la présence d’une délégation composée de l’enseignant et des élèves est tout à fait la bienvenue pour accueillir le témoin-rescapé ainsi que la présence d’un personnel de direction dans la mesure du possible. Si cela n’a pas été fait le jour de la réunion de préparation, il est bon de prévoir une visite de l’établissement, éventuellement d’une exposition ou d’un présentoir d’ouvrages mis à la disposition des élèves portant sur le génocide contre les Tutsi au Rwanda. Cette étape permet au témoin-rescapé de mettre à distance la puissance symbolique et physique de l’environnement scolaire (et potentiellement diminuer son éventuelle appréhension).
Concernant le lieu de la rencontre : ce dernier doit être pensé lors de la réunion de préparation pour que tout soit prêt le jour du témoignage en classe y compris un rétroprojecteur dans le cas où le témoin-rescapé souhaite projeter quelque chose à l’écran. Les élèves peuvent être invités à s’investir dans la mise en place du lieu de la rencontre qui pourra être aussi bien une salle de classe, un amphithéâtre, le CDI ou tout autre salle qui convient à l’ensemble des participants. Il en va de même pour la disposition de la salle : quand certains préfèrent une disposition classique de salle de classe, d’autres préfèrent une disposition en arc de cercle. Ceci aura été discuté lors de la réunion de préparation.
Le temps de la rencontre est pensé sur le format de deux heures qui semble le plus approprié mais il revient au rescapé de définir, lors de la réunion de préparation, le temps qu’il souhaite consacrer au témoignage. Un temps de pause peut également être suggéré.
Dans un premier temps, l’enseignant médiateur présente le témoin-rescapé, les raisons de sa présence et introduit le déroulé de la rencontre. Il présente également la classe. Cette étape est absolument essentielle : elle doit rapprocher le trinôme qui se forme alors et qui sécurise les uns et les autres. L’enseignant, dans sa prise de parole, interpelle les élèves sur la valeur de la rencontre sans les contraindre ; il met en valeur le témoin sans l’écraser sous une pression trop importante.
Durant la rencontre, l’enseignant comme médiateur reste toujours à portée de voix et de vue du témoin-rescapé et des élèves (qui peuvent être encadrés par d’autres adultes référents). Il est attentif au récit du témoin qu’il peut rassurer, relancer. Il est attentif à l’enchainement des questions posées par les élèves, à l’attitude des élèves à qui il aura rappelé que si une émotion violente est suscitée par le témoignage, elle est compréhensible. Il distribue plus largement la parole des élèves et les aident, au besoin, pour la formulation de leurs questions. Si un dispositif d’enregistrement est mis en place (avec l’accord du témoin-rescapé), il doit être le plus discret possible pour ne pas indisposer le témoin, ni l’écoute des élèves.
Les élèves qui le souhaitent prennent des notes : soit sur feuille libre, soit sur une fiche préparée en amont par l’enseignant (chronologique ou thématique : souvenirs évoqués/rappels du cadre historique du génocide/place de la famille/description des victimes/bourreaux, etc.).
Après le témoignage, les enseignants et élèves remercient le témoin-rescapé. Les élèves peuvent s’entretenir plus individuellement avec le témoin-rescapé si ils le souhaitent. Il s’agit quoi qu’il en soit d’entourer le témoin-rescapé. Certaines fois, des cadeaux sont offerts à ce moment par les élèves. L’enseignant conclut en rappelant les temps de retour d’expérience et de production artistique qui suivront le témoignage puis s’assure ensuite du bon retour du témoin.