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Félicien Kabuga. © MONTAGE JA : Handout / MICT / AFP
Le 29 septembre s’ouvre à La Haye un procès historique, celui de Félicien Kabuga. Soupçonné d’avoir été l’argentier du génocide des Tutsi, cet ancien homme d’affaires, arrêté en mai 2020, comparaît après plus de vingt ans de cavale.
DIX CHOSES À SAVOIR SUR – Comment celui que l’on surnomme le « financier du génocide » a-t-il pu, pendant deux décennies, échapper à la justice ? Quel a été le rôle exact de cet homme d’affaires, qui fut l’un des fondateurs de la Radio télévision libre des mille collines (RTLM) ? Alors que s’ouvre son procès, ce jeudi 29 septembre à La Haye, portrait en dix point de Félicien Kabuga.
1. Santé
C’est l’une des inconnues du procès qui démarre ce 29 septembre : l’état de santé de Félicien Kabuga, 89 ans. En France, où il vivait ces dernières années et où il a été arrêté en mai 2020, ses avocats n’ont cessé d’insister sur son incapacité à comparaître. À La Haye, le Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux en a décidé autrement : en juin dernier, il a estimé que « la défense n’a pas établi que Kabuga [était] actuellement inapte à être jugé ». Les experts sollicités s’accordant toutefois « sur le fait [qu’il] a eu des incidents de santé aigus répétés », et qu’il a besoin d’une « prise en charge et d’une surveillance médicale intensive », l’accusé est jugé à La Haye et non à Arusha, comme initialement prévu.
2. Avocat
Félicien Kabuga sera défendu par Me Emmanuel Altit, ex-conseil de Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI). Mais l’avocat et son client sont en conflit depuis des mois. Un procédure de retrait avait même été entamée à la fin du mois de janvier 2021, mais les juges s’y sont opposés. L’ancien argentier du régime souhaitait confier sa défense à Me Peter Robinson, un Américain habitué des dossiers liés au génocide des Tutsi.
3. Pactole
Fils d’un paysan du nord du Rwanda, Félicien Kabuga a bâti son immense fortune en exploitant des plantations de thé, avant d’étendre ses activités à l’import-export ou à l’immobilier. À l’aube du génocide des Tutsi, il est considéré comme l’homme le plus riche du pays. Après 1994, plusieurs de ses avoirs, en Belgique, en France ou encore au Kenya, ont été gelés. Ce pactole fait encore l’objet d’une intense bataille entre une partie de la famille Kabuga, qui souhaite y avoir accès, et la justice, qui pour l’instant s’y oppose.
4. Habyarimana
Au début des années 1990, Félicien Kabuga est aussi l’un des hommes les plus connectés du Rwanda. À l’époque, ses filles Bernadette et Françoise sont mariées respectivement à Jean-Pierre et Léon Habyarimana, deux des fils du président Juvénal Habyarimana. Sa fille, Félicité, a épousé Augustin Ngirabatware. Ministre du Plan pendant le génocide, ce dernier purge une peine de 30 ans de réclusion.
Son autre gendre, Fabien Singaye, espionnait à cette époque les opposants du Front patriotique rwandais (FPR). Kabuga, quant à lui, était un membre de l’Akazu, petit groupe d’extrémistes issus de l’armée et du milieu des affaires qui, autour de la première dame, Agathe Habyarimana, sont accusés d’avoir planifié de longue date le génocide.
5. RTLM
L’homme d’affaires fut l’un des fondateurs de la tristement célèbre Radio télévision libre des mille collines (RTLM), dont les appels aux massacres des Tutsi ont été un élément clé de la mobilisation, avant et pendant le génocide. Kabuga a été l’un de ses actionnaires. Mais quid de son rôle opérationnel ? Lors du procès dit “des médias”, son nom a été cité à plusieurs reprises. Selon le jugement rendu en 2003, Kabuga et ses associés « avaient connaissance » et « ont défendu » le contenu des émissions de la RTLM.
6. Machettes
L’autre point sur lequel la justice attend Kabuga, c’est son implication auprès du gouvernement génocidaire. Il y a d’un côté, son rôle dans la création du Fonds de défense nationale, sorte de levée de fonds populaire destinée à financer le fonctionnement et l’armement des milices hutu, Interahamwe. De l’autre, son soutien à un groupuscule de la préfecture de Kigali, connu sous le nom d’« Interahamwe de Kabuga ». Un autre de ses gendres, Eugène Mbarushimana, en était le secrétaire général.
7. Moi
Sa longue cavale n’aurait pas été possible sans un solide réseau de protecteurs. L’un des plus importants a sans doute été l’autocrate kényan Daniel Arap Moi, dont Kabuga est soupçonné d’avoir financé la campagne électorale en 1997. Moi sera l’“hôte” du fugitif entre 1995 et le début des années 2000. À Nairobi, Kabuga côtoie d’autres membres du régime génocidaire, comme Agathe Habyarimana, et se relance dans le commerce, du café notamment.
8. Fiasco et fausses identités
Fausse piste, interpellations manquées… Lorsqu’il s’agit de la traque du célèbre fugitif, les anecdotes ne manquent pas. Au milieu des années 2000, une veille de Nouvel an, les limiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pensent l’attraper en Tanzanie – le tuyau vient du FBI. Un important dispositif est déployé. Il s’avèrera qu’il s’agissait d’un pasteur « avec une vague ressemblance ». Au fil des années, Kabuga a utilisé pas moins de vingt-six fausses identités.
9. Clé USB
Le principal échec des enquêteurs date de 2007. À Francfort, le TPIR vient arrêter le gendre de Kabuga, Augustin Ngirabatware, qui a le temps de détruire une clé USB avant de se laisser interpeller. Les enquêteurs parviennent néanmoins à en extraire documents et informations, dont le dossier d’admission dans une clinique allemande de Félicien Kabuga. La justice établira que Kabuga n’a jamais quitté l’Europe. C’est finalement grâce à la filature de ses enfants, qu’il sera localisé à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne, treize an plus tard, dans un appartement loué au nom d’un de ses fils.
10. Cicatrice
Aux gendarmes qui font irruption à son domicile à 6h20 du matin, le 16 mai 2020, et qui lui demandent de décliner son identité, Félicien Kabuga répond tout d’abord qu’il se nomme “Antoine Tounga”. C’est ce qu’atteste le passeport congolais dont il dispose. Les officiers confirment l’identité du suspect grâce à une botte secrète : une cicatrice de près de 9 cm, sous l’oreille droite, séquelle d’une intervention chirurgicale bénigne. L’opération “955”, du nom de la résolution ayant créée le TPIR, est un succès. Reste désormais à instruire la conclusion de ce dossier hors norme devant la justice internationale.