Fiche du document numéro 30801

Num
30801
Date
Jeudi 29 septembre 2022
Amj
Taille
30974
Titre
Rwanda : Félicien Kabuga, le milliardaire financier du génocide, devant les juges de La Haye
Sous titre
Traqué pendant vingt-six ans et arrêté en 2020 en banlieue parisienne, l’homme-clé du génocide va être jugé par la justice internationale pour son rôle dans cette solution finale africaine.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il n’a peut-être jamais tenu une machette ou un fusil quand le Rwanda plonge dans les ténèbres d’une orgie de sang entre avril et juillet 1994. Mais Félicien Kabuga était une personnalité connue dans son pays natal. A la veille du génocide des Tutsis, le self-made-man, qui a construit un empire notamment dans l’import-export, est réputé être l’homme le plus riche du Rwanda. A-t-il mis sa fortune, et sa puissance, au service d’une solution finale africaine qui fera un million de morts en seulement trois mois ? C’est au fond la question principale que vont se poser les trois juges chargés de son procès.

Il s’ouvre ce jeudi à La Haye aux Pays-Bas, devant le « mécanisme » du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), héritier de l’instance créée au lendemain des massacres et qui a fermé ses portes en décembre 2015, après avoir condamné 61 prévenus. Mais sans avoir pu arrêter tous les fugitifs soupçonnés d’avoir joué un rôle de premier plan dans ce génocide. A charge pour le mécanisme de poursuivre cette mission à travers le monde.

« Le financier du génocide »



Parmi ceux qui ont longtemps réussi à passer à travers les filets de la justice internationale, Félicien Kabuga, surnommé « le financier du génocide », était le suspect le plus recherché. Expulsé de Suisse dès 1994, sans être arrêté, puis traqué au Kenya, en Allemagne ou en Belgique, il échappera toujours, et parfois in extremis, aux limiers lancés sur ses traces. Dès 2002, les Etats-Unis offraient même cinq millions de dollars pour son arrestation.

Elle aura finalement eu lieu dans une banlieue parisienne, à Asnières-sur-Seine, en plein confinement du Covid, le 16 mai 2020. Grâce à une mobilisation exceptionnelle, associant le bureau du procureur à La Haye et plusieurs polices européennes. A l’issue d’un suspense digne d’un épisode de la série du Bureau des légendes, ce sont les gendarmes français de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité qui défonceront la porte de cet appartement de banlieue pour cueillir à l’aube celui dont l’arrestation sera comparée à celle du président serbe Milosevic ou du nazi Klaus Barbie.

L’acte d’accusation initial en 1997 a été amendé plusieurs fois en raison de la durée de cette traque incessante. Mais le temps continue à peser sur le déroulement de son procès. Kabuga est âgé – il a 89 ans –, et malade. Et même si, en juin dernier, les magistrats l’ont déclaré apte à être jugé, des aménagements inédits ont dû être pris pour ce procès qui va durer plusieurs mois. Les audiences n’auront ainsi lieu que trois fois par semaine pour ménager la santé fragile de l’accusé.

Kabuga n’a pas toujours été ce vieil homme renfrogné qui crachait bruyamment dans son mouchoir au moment des audiences à Paris pour confirmer son extradition vers La Haye. Au sommet de sa puissance, il appartenait au cercle étroit du clan présidentiel. Parmi les onze enfants de Kabuga, deux de ses filles ont épousé des fils du président rwandais Juvénal Habyarimana, une autre est mariée à Augustin Ngirabatware, ministre du Plan, définitivement condamné en 2019 à trente ans de prison pour « incitation à commettre le génocide ».

Le rôle manipulateur de ce clan présidentiel, surnommé « l’Akazu » (« la petite maison », en kinyarwanda), a déjà été largement documenté, notamment par le TPIR. Mais la justice ne se contente pas de spéculations. Elle a besoin de preuves concrètes pour déterminer l’implication des responsables de l’époque. Au fil des ans, le bureau du procureur a dû ainsi abandonner certaines charges. Comme celle de l’importation massive de machettes, à la veille du génocide, par une société contrôlée par Kabuga. Dans un pays essentiellement agricole, rien en effet ne permettait de déterminer, de façon incontestable, le lien entre cette troublante opération commerciale et les armes qui ont ensuite servi au carnage.

Procès historique



Le TPIR s’est aussi imposé des limites qui constituent un autre obstacle pour prouver le rôle de Kabuga dans l’extermination de cette minorité, régulièrement stigmatisée depuis l’indépendance en 1962. Car le mandat du TPIR couvre uniquement les faits qui se sont déroulés en 1994. Pourtant, c’est dès le début des années 90 que s’esquisse la solution finale envisagée par un régime vacillant. Alors qu’il est confronté à une opposition interne (majoritairement hutue) de plus en plus virulente, il fait aussi face à un mouvement rebelle armé, à dominance tutsie. Il s’agit du Front patriotique rwandais (FPR), formé par les enfants d’exilés tutsis ayant eux-mêmes fui leur pays suite aux pogroms récurrents depuis l’indépendance.

Reste tout de même d’autres cartes dans le jeu du procureur : l’engagement de Félicien Kabuga à la tête de la sinistre radio Mille Collines, rouage essentiel dans une propagande mortifère qui va permettre de préparer les esprits au pire. Mais également le rôle de la « milice Kabuga » dans les massacres à Kigali, la capitale. Et enfin, la mobilisation de fonds par le millionnaire pour recruter de nouveaux supplétifs au moment même où le génocide tourne à la déroute pour ses chefs d’orchestre, bientôt acculés à la fuite hors du pays face à la progression des forces du FPR.

Ce procès historique pourrait pourtant être l’un des derniers pour le mécanisme du TPIR. Surtout depuis la découverte par les enquêteurs, en mai 2020, du décès au Congo-Brazzaville d’Augustin Bizimana, ex-ministre rwandais de la Défense. Puis un an plus tard, de celui de deux autres fugitifs. Dont Protais Mpiranya, l’ancien chef de la garde présidentielle, caché au Zimbabwe depuis la fin du génocide et décédé dès 2006. Ceux-là ne seront jamais jugés. Leurs proches prenant soin de ne pas divulguer ces décès, comme un ultime refus de reconnaître ces crimes imprescriptibles. Ceux auxquels est désormais confronté Félicien Kabuga, accusé de génocide, d’incitation au génocide et de crimes contre l’humanité. Le procès pourrait durer jusqu’en juin 2023.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024