Fiche du document numéro 30779

Num
30779
Date
Vendredi 19 janvier 2007
Amj
Taille
40994
Titre
« Kagame a préparé et exécuté le génocide » [Interview d'Agathe Habyarimana]
Sous titre
Agathe Habyarimana, la veuve du président rwandais abattu en 1994, est soupçonnée du pire des crimes : la planification du génocide. L'Ofpra a refusé sa demande d'asile.
Nom cité
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Mot-clé
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Elle vit dans la région parisienne. Elle ne s'exprime que très rarement. Le 4 janvier dernier, elle a été déboutée par l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) de sa demande d'asile. Ses avocats, Jean-Marc Florand et Philippe Meilhac, ont aussitôt saisi la Commission de recours des réfugiés, dont l'audience est prévue le 25 janvier.

Aujourd'hui, entourée de ses enfants -- Marie-Merci, Bernard et Léon --, Agathe Habyarimana, la veuve de l'ex-président rwandais, répond au Figaro Magazine.

Petit rappel des faits : le 6 avril 1994, l'avion de son mari, Juvénal Habyarimana, est abattu. Douze heures plus tard, c'est le début du grand égorgement : les milices Interahamwe massacrent les Tutsis à tour de bras. En quelques mois, plus de 800 000 Rwandais sont assassinés, épluchés à la machette. Des Tutsis pour la plupart, même si les Hutus -- l'ethnie du président abattu -- ont été eux aussi tués par dizaines de milliers.

Le 9 avril 1994, Agathe Habyarimana est exfiltrée par l'armée française. Trois mois plus tard, Paul Kagame, le chef victorieux des rebelles du FRP (Front patriotique rwandais, majoritairement Tutsi), devient vice-président et ministre de la Défense. Il est élu président de la République le 17 avril 2000. Kagame réclamerait l'extradition d'Agathe Habyarimana, qu'il accuse de figurer parmi les principaux planificateurs du génocide. A Paris, le ministère des Affaires étrangères affirme ne pas avoir connaissance d'une telle demande... Mais le juge Bruguière, lui, saisi d'une enquête sur l'attentat du 6 avril 1994, met directement en cause Paul Kagame, et réclame des poursuites contre neuf de ses proches...

Le Figaro Magazine - Le gouvernement rwandais vous accuse d'avoir fait partie de ceux qui ont planifié le génocide. Etes-vous poursuivie ? Et qu'en est-il de cette accusation ?

Agathe Habyarimana - Ce sont des accusations calomnieuses pour dissimuler la vérité. L'actuel régime rwandais n'est pas honnête. Il s'acharne à porter des accusations pour cacher ses propres crimes, dont l'attentat qui a été préparé et mis en place par Kagame et son entourage. Les véritables planificateurs de la tragédie rwandaise sont ceux qui ont abattu l'avion. Celui qui a visé le président visait aussi la population car il connaissait bien les conséquences de cet acte. Je vous signale que le Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) n'a lancé aucun acte contre moi et n'a même pas exprimé le souhait de m'entendre.

L'Union africaine affirmait pourtant que « Mme Habyarimana aurait elle-même été impliquée dans certaines des premières décisions politiques prises avant le 9 avril »,date à laquelle vous avez été évacuée du pays...

Je n'avais jamais entendu parler de ça ! Mais si cela est vrai, si l'Union africaine porte réellement des accusations de cette ampleur, sans aucune enquête, en se basant uniquement sur les on-dit, cela me désole. C'est trop facile de fabriquer des coupables, de faire leur procès sans les laisser s'exprimer. C'est d'autant plus dommage si cette accusation vient de l'Union africaine, censée incarner la justice et l'équité. Je souligne que je n'ai jamais fait de politique, ni durant la présidence de mon mari ni après sa mort.

Que s'est-il passé exactement le 6 avril 1994 ?

J'attendais le retour de mon mari. On a d'abord entendu quelques coups de feu, en pensant que c'était des balles perdues. Et puis une explosion : on venait d'abattre l'avion présidentiel. Il s'est écrasé, des débris et des cadavres sont tombés dans notre jardin. Nous avons récupéré le corps de mon mari, Juvénal Habyarimana, et celui du président burundais, Cyprien Ntaryamira puis ceux des autres occupants de l'avion. Nous avons improvisé une chapelle ardente dans le salon. Et puis il y a eu des tirs : la résidence a été attaquée...

Qui est responsable de ce complot ? Qui a tué le président Habyarimana ?

C'est celui à qui le crime a profité. Celui qui refuse que la lumière soit faite sur ce complot et préfère mettre les conséquences de cet attentat sur le dos des autres. C'est celui qui essaie de minimiser et justifier cet acte. Tout porte à croire que c'est le FPR. Il a dernièrement déclaré que cet attentat était légal. Et Kagame a affirmé qu'il se foutait éperdument de ce crime qui a tué 12 personnes. Est-ce légal de tuer ? Ce gouvernement essaie-t-il de dire que les massacres survenus au Rwanda sont aussi légaux, puisqu'il s'agit de gens qui tuaient d'autres gens ?

On vous a également accusée d'être complice d'extrémistes Hutus qui auraient pu abattre l'avion ?

Hypothèse sans fondement. Pourquoi ? Pour prendre le pouvoir ? Rendre mes enfants orphelins ? Me rendre veuve ? Je ne suis complice de personne !

Les massacres de Tutsis et de modérés Hutus ont commencé douze heures après l'attentat : qui contrôlait alors les milices Interahamwe et donnait des mots d'ordre à la radio Mille collines ?

Je n'en sais rien. Je vous l'ai dit, après l'attentat, on a récupéré les corps dans notre jardin.

On a accueilli les membres des familles des victimes qui sont parvenus jusqu'à la résidence présidentielle.

Le FPR a tout de suite ouvert le feu contre notre résidence.

Je n'ai même pas eu l'occasion de parler à ceux de mes enfants qui n'étaient pas présents, ni même aux personnes qui se trouvaient alors dans la maison...

Je ne me suis occupée des affaires politiques, ni avant, ni pendant ni après les événements qui ont secoué notre pays. Que ceux qui affirment le contraire le prouvent ! J'ai tout simplement été épouse du chef de l'Etat.

On dit que vous étiez très active dans le mouvement Akazu, proche du président assassiné. On accuse ce mouvement d'avoir participé à la conception du génocide. Quelle était, alors, votre position dans ce mouvement ?

Depuis l'attaque du FPR en 1990, on a sali la famille du président et inventé ce mouvement Akazu. Ce mot était inventé par nos détracteurs. Nous formions une famille comme les autres. Est-ce un crime ? Etre chef d'Etat ou être son épouse n'exclut pas d'avoir une vie familiale normale, sans complots politiques. D'ailleurs, le seul membre de notre famille qui avait un poste politique au moment de l'attentat était mon cousin Sagatwa, qui était alors chef de la Sécurité présidentielle. Il est mort aussi dans l'avion !

Je peux vous affirmer que mon mari était un chef d'Etat compétent, honnête, intègre et rationnel. Les problèmes d'ordre ethnique n'ont été qu'un héritage, ce n'est pas lui qui les a créés. Pendant son pouvoir, les Rwandais vivaient en paix. C'est la guerre menée par le FPR qui a ramené les divisions et la haine. On découvre d'ailleurs aujourd'hui que beaucoup de massacres ont été commandités par le FPR.

Votre frère Protais est tout de même mis en accusation par le TPIR.

Il ne faut pas faire d'amalgame entre mon frère et moi.

Nier l'ampleur du génocide, n'est-ce pas du révisionnisme ou même du négationnisme ? Il y a tout de même eu des centaines de milliers de morts !

Il y a eu un malentendu sur ce que j'ai dit. Je n'ai jamais nié l'ampleur de la tragédie rwandaise, elle dépasse même l'entendement. Mais c'est tout le peuple rwandais qui a été meurtri, pas une seule partie.

Ce qui s'est passé réellement au Rwanda depuis 1990 mériterait tout de même une enquête sérieuse ! On ne peut pas se baser sur la seule version des vainqueurs ! Pourquoi un événement de cette ampleur comporte-t-il jusqu'à aujourd'hui des zones d'ombre ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de la vraie personnalité de Kagame, qui est à la base de cette tragédie ? Il a lui-même pensé, préparé, et exécuté ce génocide. Tous ses actes ont eu des conséquences terribles pour la population, à commencer par la guerre d'octobre 1990 et l'attentat du 6 avril 1994, qui a déclenché les massacres ! Sans parler des autres massacres qu'il a commis -- après la prise du pouvoir -- au Rwanda et au Congo voisin. On parle de plus de six millions de morts dans la région des Grands Lacs depuis que le FPR a décidé de lancer cette guerre meurtrière. Pourquoi ignorer le fond du problème ?

C'était un massacre ethnique. Pourtant, beaucoup de Hutus « modérés » ont été tués. A combien estimez-vous le nombre de victimes Hutus ? Qui les a assassinés ?

Je ne saurais pas répondre précisément à cette question. Ce que je sais, c'est qu'il y a des tués aussi bien Hutus que Tutsis, sans oublier les Twas et même des étrangers. Ce que je peux vous dire, c'est que dans presque toutes les familles rwandaises, sans distinction ethnique, il y a eu des victimes. Les gens ne veulent pas tenir compte des victimes du FPR.

Que pensez-vous des Tutsis ?

Ce que je pense des Hutus et des Twas.

Par qui était entraînée l'armée rwandaise ? Qui l'armait ? D'où les milices, pendant les massacres, tenaient-elles leurs armes ?

Je ne sais pas. Je vous le redis, je ne me suis jamais occupée des affaires politiques ou militaires. Je n'étais que l'épouse d'un président.

On dit aussi que l'intervention militaire française aurait eu pour but d'empêcher la victoire de la rébellion. Est-ce vrai ? Les soldats français auraient même participé à l'élaboration des plans de bataille, à certains combats, à l'instruction des troupes, à des contrôles d'identité, à des barrages, etc. Ces critiques sont-elles justifiées ? François Mitterrand a même été plusieurs fois mis en cause. Pourquoi ? A cause des liens d'amitié qui unissaient vos deux familles ?

Vous me posez des questions qui dépassent mes connaissances. Par contre, il n'y avait pas de relation d'amitié entre la famille du président français et celle du président rwandais. Il n'y avait que les accords de coopération entre les deux pays et des relations de respect entre les deux chefs d'Etat. Il est faux de dire que mon fils Jean-Pierre était ami avec Jean-Christophe Mitterrand.

Le FPR aurait été aidé par les Américains. Pourquoi ?

Il faut le leur demander.

Quelles sont les conclusions de l'enquête du juge Bruguière ?

A la suite d'une étude approfondie, le juge Bruguière a conclu que l'avion a été abattu sciemment par le FPR, sous les ordres de Kagame. Cela explique pourquoi ce dernier s'est toujours opposé à ce qu'une enquête soit menée au Rwanda. Quant au TPIR, on verra bien s'il fera son devoir. Je vous signale d'ailleurs que le TPIR n'a jamais enquêté sur l'attentat. Pourquoi ? C'est tout de même cette attaque qui est à l'origine des massacres !

Quelle est aujourd'hui votre situation ? Où vivez-vous, avec quel statut ? Quels sont vos revenus ? Que font vos enfants ?

J'ai demandé un statut de réfugiée politique, qui vient de m'être refusé par l'Ofpra. Je vis en France, mes enfants également, et pour leur sécurité je ne peux vous en dire davantage.

On essaye de survivre tant bien que mal, malgré maints obstacles, les calomnies et l'injustice que nous avons pu rencontrer dont, notamment, le détournement des indemnisations de l'assurance de tous les ayants droit des victimes de l'avion et la confiscation de tous nos biens par le gouvernement Kagame. Mais nous avons confiance en Dieu, le seul vrai justicier.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024