Citation
COMMUNAUTE RWANDAISE
DE FRANCE
61, rue du Faubourg Saint-Denis
75010 PARIS
France
Paris, la veille de Noël 1990
A Son Eminence le Cardinal
Jean-Marie Lustiger
Archevêque de Paris
PARIS
Eminence,
Vous êtes certainement, au sein de l'Eglise
de France, la personnalité qui s'est le plus activement intéressée
à l'évolution du Burundi et (donc) du Rwanda. Nous pensons
notamment aux relations très personnelles que vous avez liées
avec l'un ou l'autre évêque de ces deux pays qui nous sont chers.
S'agissant de notre pays, le Rwanda, plusieurs
sources bien informées ont dû vous faire part de la violation
flagrante des droits élémentaires de l'homme par le pouvoir
militaire en place à Kigali depuis 1973. Et au début de la guerre
fratricide qui déchire actuellement notre pays, nous vous avions
exprimé notre très grande inquiétude devant cette violation.
Aujourd'hui, la situation s'est notablement aggravée.
En effet, prenant comme prétexte le conflit
armé actuel, les autorités de Kigali ont procédé à l'arrestation
arbitraire de milliers d'innocents. Ces arrestations continuent :
il s'agit principalement de civils (des hommes, des femmes et
des enfants) mais aussi de militaires de l'armée rwandaise et
de prêtres ou religieux au service de notre Eglise depuis
longtemps. Nous ne savons pas combien de personnes ont été
arrêtées. Nous ignorons combien d'entre elles sont mortes victimes
des traitements cruels qui leur ont été infligés ou des maladies
(dysenteries, choléra...) non soignées à temps. Mais notre
inquiétude est très grande et justifiée.
Les autorités de Kigali viennent d'annoncer
officiellement que jusqu'à 1566 de ces personnes arbitrairement
arrêtées vont être, à partir du 28 décembre 1990, déférées devant
la Cour de sûreté de l'Etat, une juridiction exceptionnelle :
le Ministre de la justice rwandais, Monsieur Mujyanama Théoneste,
a été catégorique : seuls les avocats rwandais -- une centaine
au total dont la plupart sont soit des avocats d'affaires soit
des anciens inspecteurs de la police judiciaire où des prévenus
actuellement en prison -- pourront assurer la défense des accusés.
L'on peut se demander dans quelle mesure, vue la situation de
guerre que connaît le pays, ces avocats pourront faire leur
travail en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir civil et
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militaire. Mais surtout, quand on sait que le barreau rwandais
est inexistant, comment pourront-ils défendre valablement et
individuellement 1566 personnes répartis sur tout le territoire
national?
A cette veille de Noël - La fête de
l'Espérance - nous ne pouvions pas ne pas confier à votre prière
ces Innocents des temps modernes. Notre association est composée
de Rwandais (es) et d'ami (e)s du Rwanda. Nous ne pouvons pas
rester indifférents face à la souffrance et au désespoir de
ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants... Tous sont des
chrétiens, des fils et des filles de l'Eglise. Beaucoup ont
perdu au fil des années confiance dans l'Eglise du pays : ils
la considèrent, à tort ou à raison, comme "prisonnière" du pouvoir
politique.
Nous vous demandons d'être leur voix pour
que soit brisé le silence qui entoure les traitements inhumains
et l'arbitraire dont ils sont victimes. Nous vous demandons,
à vous qui avait [avez] plus que beaucoup d'autres connu la souffrance
des persécutés, de les aider par tous les moyens à éviter la
peine capitale qui plane sur leurs têtes. Faites tout, Eminence,
pour que des innocents sur qui ne pèse aucune charge sérieuse
soient libérés immédiatement et sans condition, C'est le cadeau
de Noël que la Communauté Rwandaise de France prend la liberté
de vous demander au nom de ses frères et sœurs qui passeront
Noël dans la détresse.
En souhaitant que la "grande lumière" de
Noël se lève sur tous les peuples et sur le peuple rwandais
en particulier, nous vous prions d'agréer, Eminence, l'hommage
de nos sentiments filiaux.
POUR L'ASSOCIATION COMMUNAUTE RWANDAISE
DE FRANCE
Augustin GATERA
Vice-Président
André TWAHIRWA
Secrétaire général