Parmi les cinématographies africaines, il en est une dont on ne soupçonnait pas l’inventivité : celle du Rwanda. Après le génocide des Tutsi, qui fit entre 800 000 et 1 million de morts au printemps 1994, le cinéma a pourtant constitué un mode d’expression artistique privilégié pour mettre des images sur les maux de la tragédie et panser les plaies. C’est cette production multiple et méconnue que la 15
e édition du Festival du film francophone d’Angoulême met à l’honneur du 23 au 28 août.
Le rendez-vous des cinéphiles charentais propose, en plus de la compétition et d’autres sections, un panorama rare établi en collaboration avec l’Institut français à Kigali. Après un hommage à la Tunisie en 2011, au Burkina Faso en 2014 ou encore à l’Algérie en 2021, Angoulême offre une sélection riche et protéiforme de dix longs-métrages et cinq courts, qui témoigne de «
la résilience formidable d’un pays tourné vers l’avenir », selon Marie-France Brière, cofondatrice du festival avec le producteur Dominique Besnehard.
Tous deux se sont rendus à Kigali en mai, répondant à l’invitation de Gaël Faye, auteur du roman
Petit pays (Grasset, 2016) et coréalisateur d’un documentaire,
Rwanda : le silence des mots, diffusé en avril sur Arte. «
C’est essentiel d’humer un pays quand on lui rend hommage », raconte Mme Brière. Sur place, la productrice dit avoir été inspirée par «
la créativité absolue qui anime la société rwandaise ». L’œuvre qui résume le mieux l’esprit qui a présidé au choix des deux cofondateurs du festival et qui sera montrée à Angoulême est sans doute le film de Sonia Rolland. Née dans la capitale rwandaise, l’ancienne Miss France devenue actrice et réalisatrice a sorti en 2014 un premier documentaire au titre éloquent,
Rwanda, du chaos au miracle.
«
La sélection va du regard extérieur de cinéastes étrangers au regard intérieur sur l’histoire du génocide, mais aussi sur la situation actuelle et sur le futur. En bref, elle fait le pont entre les atrocités de 1994 et demain », résume Catherine Ruelle, ancienne journaliste à RFI.
« Une véritable liberté de ton et d’expression »
Grande spécialiste du cinéma africain, celle qui présentera chacun des films au public angoumoisin et accueillera les équipes conviées confie sa fascination toute particulière pour les cinéastes d’Afrique de l’Est. «
Ils arrivent à la surface sans ancêtre dans le septième art, en autodictactes. Ils ont donc une véritable liberté de ton et d’expression, sans limite à leur imaginaire », analyse-t-elle, en citant en exemple le Kenya et le film
Rafiki (2018). Déclinaison lesbienne de Roméo et Juliette, cet hymne à l’amour de la réalisatrice Wanuri Kahiu avait fait forte impression dans la section Un certain regard au Festival de Cannes.
Au pays des Mille Collines, cette audace et cette modernité s’expriment notamment dans
Neptune Frost, de Saul Williams et Anisia Uzeyman. Montrée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2021 mais pas encore sortie dans les salles françaises, cette coproduction américano-rwandaise est une romance musicale teintée de science-fiction qui suit la relation entre un cyberpirate non genré et un mineur de coltan – un minerai utilisé dans la fabrication d’équipements électroniques. Quant au court-métrage
Icyasha, de Marie-Clémentine Dusabejambo, il évoque lui aussi l’acceptation de la différence, en centrant son propos sur l’intersexuation.
Devenu incontournable dans le paysage des festivals de films en France, Angoulême garde ses projecteurs braqués sur l’Afrique. Pour son édition 2023, il consacrera un hommage à une autre cinématographie du continent : celle du Maroc.