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Condamné à vingt années de réclusion criminelle pour complicité de crimes de génocide et complicité de crimes contre l’humanité par la cour d’assises de Paris le 13 juillet dernier, l’ancien préfet de Gikongoro (sud du Rwanda) a fait appel. En attendant un second procès, il pourrait bénéficier d’une mise en liberté provisoire en raison de son état de santé.
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Au terme d’une instruction judiciaire qui a semblé interminable (dix-huit années…) et d’un procès fleuve de plus de deux mois, Laurent Bucyibaruta, 78 ans, pourrait être remis en liberté après sa décision de faire appel, et compte tenu de son état de santé. Au terme d’un arrêt de 57 pages qui apparaît à bien des égards comme un copié-collé de la décision de la cour d’assises, la dixième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, saisie par les avocats de l’ex-préfet, a ordonné une expertise médicale confiée aux docteurs Jean-Marc Laborie et Eric Rondeau pour « dire si l’état de santé de l’intéressé et les soins qu’il nécessite sont compatibles avec sa détention dans un centre pénitentiaire ».
Dix-huit années d’instruction, un procès-fleuve…
Les deux experts judiciaires, « vu l’urgence », devront rendre leur rapport le 5 septembre prochain. Lors d’une audience annoncée pour le 12 septembre, les magistrats de la cour d’appel de Paris se prononceront sur la demande de remise en liberté. Il apparaît hautement vraisemblable qu’à cette date, Laurent Bucyibaruta bénéficiera de la mesure de libération « provisoire » que demandent ses avocats.
Une libération provisoire hautement vraisemblable
Le 13 juillet dernier, Laurent Bucyibaruta a été déclaré coupable de complicité de crimes de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité. Il appartenait à la cour de déterminer la peine, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 du code pénal. C’est là que s’est dessinée la perspective d’une remise en liberté du condamné, s’il faisait appel et si ses avocats mettaient en avant son état de santé. Certes l’accusé a surjoué la dégradation de sa santé en exigeant les premiers jours une chaise roulante, puis en s’appuyant sur une canne pour enfin se déplacer sans assistance lors des suspensions d’audience. Mais si une première expertise médicale avait conclu à la possibilité du procès, l’agenda des audiences avait rappelé la nécessité pour Laurent Bucyibaruta de recourir à plusieurs dialyses hebdomadaires.
L’accusé a surjoué la dégradation de son état de santé
Que pèse l’état de santé d’un homme condamné pour crime de génocide et crimes contre l’humanité, qui appartiennent à la catégorie des crimes les plus graves du dispositif répressif français, au regard de la nécessité de le sanctionner ? Comme l’a rappelé l’arrêt de la cour d’assises, il s’agit « de crimes de masse organisés, du caractère généralisé des atteintes à la personne humaine qui entraînent un trouble exceptionnel à l’ordre public international, dont le caractère pérenne résulte notamment de l’impact de ce type de faits sur la mémoire collective de l’humanité et des traumatismes physiques et psychiques subis par les victimes rescapées et les ayants droit des victimes décédées, au-delà du nombre considérable d’atteintes à la vie commises en un temps relativement limité ».
« Un trouble exceptionnel à l’ordre public international »
Pour déterminer la peine qu’il convenait d’infliger à Laurent Bucyibaruta, la cour et le jury n’ont pas pris en compte son âge ni son insuffisance rénale grave. Ils se sont référés à « l’extrême gravité des crimes à la commission desquels l’accusé à sciemment contribué en apportant son aide en tant que préfet, le plus haut fonctionnaire de sa région ». Même si ni l’instruction ni les audiences n’ont établi qu’il a pleinement adhéré à l’idéologie raciste des dirigeants extrémistes hutus, « Laurent Bucyibaruta a été un rouage essentiel et a bien apporté une contribution substantielle à la mise en œuvre d’un plan haineux d’extermination des Tutsis qui s’est révélé effroyablement efficace », a encore écrit la cour d’assises.
« Laurent Bucyibaruta a été un rouage essentiel à la mise en œuvre d’un plan haineux d’extermination des Tutsis »
On lit encore dans l’arrêt de condamnation daté du 13 juillet : « La cour et le jury ont également tenu compte de ce que l’accusé a adopté une attitude de déni de toute part de responsabilité pénale dans les atrocités dont ont souffert les dizaines de milliers de victimes de ce génocide et de ces crimes contre l’humanité et que ses manifestations d’empathie ont été rares. La tardiveté de ses remords exprimés à la toute fin du procès interrogent sur sa capacité à se remettre en question. [Laurent Bucyibaruta] ne paraît pas avoir perçu à quel point un nombre considérable de victimes qui avaient confiance en lui et croyaient qu’il ferait en sorte de les protéger, n’ont pu que se sentir totalement abandonnées et trahies par un homme paraissant plus soucieux de son confort et de son apparence de respectabilité que véritablement préoccupé de mettre la vie de ses administres au cœur de ses priorités ».
« L’attitude de déni de Laurent Bucyibaruta »
La cour et le jury ont cependant aussi retenu que l’accusé a, à plusieurs reprises, activement participé à sauver certains Tutsis, en particulier en protégeant son épouse ainsi que des membres de sa belle famille, mais aussi en venant en aide à des amis tutsis ou à des enfants survivants.
Et l’un des derniers paragraphes de l’arrêt de condamnation semblait ouvrir la voie à une remise en liberté provisoire : « Enfin il a été tenu compte de ce que l’accusé, qui est désormais âgé, a scrupuleusement respecté les obligations de son contrôle judiciaire pendant des années et qu’il à collaboré à son procès en étant présent à chacune des étapes de celui-ci. La cour et le jury ont estimé que l’accusé présentait une personnalité complexe, et qu’il n’était pas établi qu’il ait cherché à tirer un quelconque profit financier des exactions commises à l’encontre des Tutsis ».
Des remarques dont les avocats de Laurent Bucyibaruta se sont emparés pour plaider la remise en liberté provisoire de leur client. Les premières plaintes contre ce dernier ont été déposées en l’an 2000. Durant le dernier quart de siècle, le « trouble exceptionnel à l’ordre public international » n’émouvait guère les représentants de l’Etat français…