Citation
Le cimetière du camp militaire de Kanombe à Kigali, capitale du
Rwanda, se trouve dans une zone un peu excentrée, entre un champ de
maïs et une petite forêt. Juste en face de la villa qu'occupait en
1994 le docteur Massimo Pasuch, un coopérant belge. Un peu plus loin,
on peut encore voir la belle maison blanche où logeait le commandant
Grégoire de Saint-Quentin, un officier français qui formait à l'époque
le bataillon parachutiste de l'armée rwandaise. Le médecin et
l'officier étaient chez eux le soir de ce 6 avril 1994, où l'avion du
président Juvénal Habyarimana a été atteint par des tirs de missiles
peu avant d'atterrir à l'aéroport tout proche. Il n'y aura aucun
survivant : ni parmi les trois membres français de l'équipage ni parmi
les officiels rwandais.
L'attentat, jamais revendiqué, va servir de signal pour déclencher
immédiatement le génocide contre la minorité tutsie du Rwanda : 800 000 morts en trois mois. Qui a tiré ? D'où sont partis les missiles ?
Plusieurs hypothèses ont suscité des débats passionnés depuis près
d'une vingtaine d'années. Mais il y a tout juste un an, en janvier
2012, un rapport d'expertise balistique, le premier jamais effectué,
désignait le camp de Kanombe, et surtout la zone du cimetière, comme
lieu le plus probable des tirs parmi les six successivement examinés
par les experts. Les conclusions du rapport confirment également les
témoignages de Pasuch et Saint-Quentin, bien des années auparavant,
qui avaient tous deux déclaré avoir entendu de manière très proche le
souffle de départ des missiles. « Entre 500 et 1 000 mètres », avait
même précisé l'officier français.
Infiltrer
Mais en désignant Kanombe comme le lieu de tir des
missiles, l'enquête balistique suscita surtout une petite révolution,
car elle remettait en cause les conclusions antérieures du juge
Bruguière qui, sans s'être jamais rendu au Rwanda, était convaincu de
la culpabilité du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion
opposée à Habyarimana qui a finalement pris le pouvoir après le
génocide. En 2006, juste avant de passer le dossier au juge Marc
Trévidic, Bruguière lance neuf mandats d'arrêt visant de hauts
responsables du FPR, dont un contre un officiel rwandais fictif
supposé être le «second tireur». Reste qu'en aucun cas les rebelles
du FPR n'auraient pu s'infiltrer à Kanombe, bastion militaire d'un
pouvoir qu'ils combattaient. Avec le rapport balistique, l'enquête
s'engageait donc sur une autre piste : pour la première fois, les
soupçons basculaient vers les ultras du régime Habyarimana qui
auraient pu vouloir sacrifier leur chef à son retour d'une conférence
où il avait enfin accepté de partager le pouvoir.
« Vérité »
Cette nouvelle orientation de l'enquête ne fait pas que des
heureux. Certaines parties civiles ont aussitôt exigé une
contre-expertise. Pourtant, depuis l'ouverture de l'instruction en
1998, les parties civiles, et donc les familles des victimes, n'ont
jamais réclamé d'expertise balistique, faisant même preuve d'une
passivité surprenante. En juin 2012, Trévidic rejette leur demande de
contre-expertise, sauf sur un point : le réexamen de l'impact du
premier tir. Une concession visiblement insuffisante : les parties
civiles concernées décident d'aller jusqu'à la chambre d'appel pour
obtenir gain de cause.
L'audience aura lieu à Paris le 30 janvier. Mais toutes les parties
civiles ne sont pas sur la même longueur d'ondes : ainsi la veuve de
Jacky Héraud, le pilote de l'avion, ne s'est pas associée à ce front
du refus. « Ma cliente préfère rester en retrait, tout ce qui
l'intéresse c'est la vérité sur la mort de son mari », explique ainsi
Me Curt, son avocat qui considère pour sa part qu'« avec le juge
Trévidic l'instruction semble plus sérieuse que celle de Bruguière.
Les choses vont plus vite ». Et en évitant le mélange des genres :
Bruguière avait engagé un traducteur lié par mariage à l'une des
parties civiles, la famille de président Habyarimana, qui s'était bien
gardée de le signaler.