Fiche du document numéro 30446

Num
30446
Date
Jeudi 29 juin 2017
Amj
Taille
29807
Titre
Génocide rwandais : comprendre la plainte contre la BNP
Sous titre
La banque française fait l'objet d'une plainte pour "complicité de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre". Une première.
Mot-clé
BNP
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
23 ans après les faits, la BNP est rattrapée par le drame du Rwanda. Trois ONG ont annoncé avoir déposé ce jeudi une plainte avec constitution de partie civile visant la BNP Paribas pour "complicité de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité". Explications.

Quels sont les faits reprochés à la BNP ?



Le 12 mai 1994, l'ampleur des massacres au Rwanda est telle que le Haut-Commissaire de l'ONU pour les Droits de l'Homme a déjà prononcé le mot de "génocide". Le 17, l'ONU adopte un embargo et envoie 5 000 casques bleus. L'immense majorité des victimes sont des Tutsi massacrés dans des tueries déclenchées après la mort du président hutu Juvénal Habyarimana dans un attentat.

Un mois plus tard, les 14 et 16 juin 1994, la BNP transfère 1,3 million de dollars d'un compte la Banque nationale du Rwanda (BNR), sa cliente, vers le compte suisse d'un courtier d'armes sud-africain, Petrus Willem Ehlers.

Le marchand de canons et un commandant hutu, Théoneste Bagosora, se rendent alors aux Seychelles, pour conclure, le 17 juin 1994, la vente de quatre-vingt tonnes d'armes, acheminées ensuite à Gisenyi au Rwanda, via l'aéroport zaïrois de Goma. Théoneste Bagosora a été condamné à la prison à vie par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, en 2008.

Qui est à l'origine de la plainte ?



La plainte contre la BNP a été déposée par trois associations. Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), une association créée par un couple franco-rwandais "chasseur" de génocidaires, Ibuka France, branche hexagonale de l'association Ibuka ("Souviens-toi"), fondée par des rescapés et l'ONG Sherpa, qui ambitionne de défendre les populations victimes de crimes économiques.

Cette dernière est également à l'origine de la plainte contre le cimentier Lafarge pour "financement du terrorisme", "complicité de crimes contre l'humanité", déposée en novembre dernier. Sherpa accuse l'entreprise d'avoir indirectement financé, entre 2013 et 2014, le groupe Etat islamique, afin de garantir le fonctionnement d'un site en Syrie. Une information judiciaire a été ouverte le 9 juin.

Pourquoi une accusation de "complicité" ?



La BNP ne pouvait ignorer la destination des fonds ni que ce transfert pouvait contribuer au génocide en cours, estiment les ONG. Les banques ont en effet "l'obligation de se renseigner auprès des clients sur la destination des fonds en cas de circonstances inhabituelles", en vertu de la loi anti-blanchiment de 1990.

Au même moment, afin de ne pas violer l'embargo, un autre établissement financier, la Banque Bruxelles Lambert (BBL) a d'ailleurs refusé la demande d'utilisation de fonds émanant d'une autre banque, la Banque commerciale du Rwanda. "La BBL avait même créé une cellule de crise", indique Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux de Sherpa interrogée par L'Express.

Le milieu bancaire, selon un témoignage du détaché de la BBL au Rwanda recueilli par l'ONG, savait que "le gouvernement rwandais avait un besoin crucial d'argent. [...] Il était évident pour tout le monde qu'il devait acheter des armes et munitions" puisque le Rwanda était sous embargo. La BNP aurait été la seule banque à accepter un tel transfert de fonds.

En quoi cette plainte est-elle inédite ?



C'est la première fois qu'en France, une plainte vise non pas des personnes physiques, des personnalités politiques ou des militaires, mais une entreprise privée. "Cela met en lumière la responsabilité des institutions financières dans les conflits armés, et plus largement dans de graves violations de droits humains", observe Marie-Laure Guislain.

En 2014, BNP a déjà été condamné à verser près de 9 milliards de dollars pour le financement du régime génocidaire soudanais, pour des transactions avec des pays placés sous embargo par la justice américaine, le Soudan, Cuba et l'Iran.

Pourquoi avoir attendu 23 ans ?



La plainte intervient longtemps après les faits, mais ceux-ci sont imprescriptibles. "Réunir les éléments pour monter le dossier a été laborieux. Certains éléments n'ont été récoltés que très récemment", explique Marie-Laure Guislain.

L'association espère par ailleurs que la plainte renforcera l'aspect préventif de la loi sur le devoir de vigilance des entreprises, adoptée après trois ans de persévérance de plusieurs ONG, dont Sherpa, le 21 février dernier par l'Assemblée nationale, malgré l'opposition du Medef et de l'Association française des entreprises privées (AFEP).

"Cette loi doit permettre d'éviter que les entreprises ne soient impliquées dans de telles violations, ajoute Marie-Laure Guislain. Il est important également que cela intervienne en début de législature. Cela montre aux nouveaux élus l'importance du rôle qu'ils ont à jouer dans le respect du droit".

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024