Fiche du document numéro 30378

Num
30378
Date
Mardi 5 juillet 2022
Amj
Taille
30862
Titre
A son procès pour génocide, un ex-préfet rwandais dément avoir ordonné de tuer les Tutsi
Sous titre
« A aucun moment je n’ai donné des ordres visant à tuer les Tutsi ». L’ex-préfet rwandais Laurent Bucyibaruta s’est présenté mardi 5 juillet 2022 à son procès à Paris comme un fonctionnaire « dépassé », « d’aucune utilité » pour stopper les massacres.
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
AFP
Type
Dépêche d'agence
Langue
FR
Citation
Préfet de Gikongoro entre 1992 et juillet 1994, il est jugé depuis le 9 mai par la cour d’assises de Paris pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, des accusations qu’il conteste.

Cette région du sud du Rwanda a été l’une des plus touchées par le génocide visant la minorité tutsi, déclenché le 7 avril 1994 et qui a fait au moins 800.000 morts selon l’ONU.

Depuis la chaise de bureau où il assiste à l’audience, flottant dans une veste marron à rayures, Laurent Bucyibaruta, 78 ans, qui vit en France depuis 1997, répond aux questions avec une élocution lente, d’une voix parfois voilée.

Il accumule souvent les détails sur l’organisation administrative du pays et les digressions, obligeant le président de la cour à répéter ses questions.

La situation dans sa préfecture aux premiers jours du génocide était « grave », mais il la décrit avant tout comme un problème de gestion des réfugiés, sans mentionner les pillages, incendies et meurtres qui les avaient poussés à s’enfuir.

Le 10 avril, la décision est prise de les regrouper dans une école en construction, l’ETO de Murambi, où il serait « plus facile de les approvisionner ».

Les 20.000 Tutsi rassemblés sur le site seront pourtant affamés et privés d’eau, avant d’être encerclés et massacrés, le 21 avril à l’aube.

« Barrières »



« Est-ce que vous avez conscience que regrouper les personnes, c’est aussi faciliter un massacre de masse ? », interroge le président Jean-Marc Lavergne.

D’autant que quelques jours plus tôt, le 14 avril, le même scénario s’était produit à la paroisse de Kibeho, où environ 25.000 réfugiés avaient été tués par des miliciens, des civils et certains des gendarmes censés les protéger.

« Ce n’était pas dans l’objectif de faciliter leur élimination », persiste Laurent Bucyibaruta.

Il maintient aussi que les barrages routiers étaient destinés à intercepter d’éventuels « infiltrés » du Front patriotique rwandais (FPR, majoritairement tutsi), malgré tous les témoignages de meurtres de civils perpétrés à ces « barrières ».

« Est-ce que vous comprenez que dire : "Il faut maintenir des barrières" peut avoir des conséquences absolument dramatiques pour les Tutsi qui s’y aventurent ? », questionne le président.

« Moi, je ne pouvais pas prendre la décision de démanteler les barrières, étant donné qu’elles avaient été recommandées par le ministère de la Défense. Tout simplement j’ai recommandé que les contrôles se fassent dans l’ordre », se défend l’accusé.

La nuit de la tuerie à Murambi, il dit être resté chez lui, « choqué » par les bruits de balles et de grenades, craignant pour sa propre vie et celle de sa femme, une Tutsi.

Interrogé sur son inaction devant les meurtres et l’insubordination des gendarmes, il se défend : « Qu’est-ce que je pouvais faire, étant donné que je ne pouvais pas disposer d’une autre force armée en mesure de neutraliser les agresseurs ? »

« Dépassé »



« J’étais dépassé par les événements », « je ne pouvais être d’aucune utilité », affirme-t-il encore.

Pourquoi alors être resté en poste ? « Si j’avais démissionné, j’aurais été tué immédiatement », avait-il estimé lundi, ajoutant qu’en « restant sur place », il avait « pu sauver certaines personnes, dans la mesure de (ses) moyens ».

« Dans toutes mes déclarations, j’ai toujours condamné les actes de violence, les massacres », avait-il aussi affirmé.

Simon Foreman, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), lui a alors fait remarquer qu’il n’avait jamais utilisé le mot génocide, ni désigné les Tutsi comme la cible des tueries.

« Je n’avais pas l’habitude d’utiliser ce mot à connotation ethnique. Je cherchais un autre moyen de me faire comprendre, sans utiliser des mots sujets à polémique », s’est-il justifié.

« On ne pouvait pas chercher à convaincre des gens » qui se livraient à des massacres « en les condamnant a priori. Il fallait trouver des mots pour les amener à cesser les mauvais actes qu’ils commettent », a-t-il ajouté.

« Ce que vous appelez des mauvais actes, c’est ce que certains appellent des crimes contre l’humanité ? », l’a interpellé le président, tandis que Me Foreman a raillé son « don absolument exceptionnel » pour l’euphémisme.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024