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« On était devant le fait accompli », a affirmé jeudi l’ex-préfet rwandais Laurent Bucyibaruta à son procès à Paris pour génocide, pour expliquer son inaction après le meurtre de prisonniers tutsi en 1994, l’un des massacres où sa responsabilité est mise en cause.
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Fin avril 1994, entre 100 et 250 Tutsi avaient été tués au sein de la prison de Gikongoro par leurs codétenus hutu. D’autres prisonniers transférés en provenance d’autres établissements avaient subi le même sort dans les semaines suivantes, dont trois prêtres fin mai 1994.
Si les témoignages divergent, plusieurs prisonniers et gardiens ont affirmé que Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro, région du sud du Rwanda, entre 1992 et juillet 1994, s’était rendu dans la prison juste avant le massacre, en compagnie d’autres autorités locales.
Selon l’accusation, il n’aurait alors rien dit lorsque l’homme fort de la gendarmerie qui l’accompagnait a ordonné de tuer les prisonniers tutsi voire, selon l’un des témoins, il aurait incité lui-même à les éliminer.
« En avril 1994, je ne me suis pas rendu à la prison de Gikongoro », a démenti Laurent Bucyibaruta devant la cour d’assises de Paris.
L’ex-préfet est jugé depuis le 9 mai pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, des accusations qu’il conteste.
Âgé de 78 ans, souffrant de plusieurs pathologies, il assiste à l’audience assis dans un fauteuil et s’exprime lentement, parfois avec difficulté.
L’une des deux avocates générales lui rappelle les déclarations au cours de l’enquête du gardien chef de la prison, aujourd’hui décédé, qui a affirmé lui avoir téléphoné le lendemain du massacre pour l’informer de la situation.
Laurent Bucyibaruta assure : « je ne me rappelle pas de cette affaire ». Il maintient n’avoir été informé des meurtres que plusieurs jours après, par « le responsable du service de renseignement préfectoral ».
Camions réquisitionnés
Interrogé sur l’absence de poursuites contre les responsables, il explique : « On était devant le fait accompli ».
« Ça s’appelle un crime, même un meurtre : qu’est ce qu’on fait quand on apprend un crime ? », s’étonne le président Jean-Marc Lavergne.
« À cette époque, il n’y avait pas de possibilité de mener des enquêtes. Elles devaient avoir lieu plus tard, quand la situation serait stabilisée », se défend l’ex-préfet.
Le président observe que trois prêtres, tués plus tard, ont eux été arrêtés et interrogés par le procureur de Gikongoro, alors que, selon le préfet, l’appareil judiciaire était à l’arrêt : « Quel crime ont-ils commis, à part peut-être celui d’être Tutsi ? »
Comme souvent dans ses réponses, l’accusé se montre soucieux de délimiter les attributions respectives de chaque autorité : « C’est le ministère public qui avait émis un mandat d’arrêt, exécuté par les gendarmes. Il n’était pas prévu que le préfet soit informé du motif de l’arrestation ».
- « Est-ce que vous n’étiez pas responsable d’assurer la sécurité de la population ? », tente encore le président ?
- « Oui, absolument, mais dans la mesure de mes possibilités », réplique l’ex-préfet, qui vit en France depuis 1997, après être passé par la République démocratique du Congo (RDC) et la Centrafrique.
Il dément aussi avoir « réquisitionné » des camions appartenant à l’État, utilisés quelques jours avant, pour transporter ces mêmes prisonniers sur les lieux du massacre survenu le 21 avril 1994 dans la ville voisine de Murambi, où environ 20.000 réfugiés Tutsi avaient été rassemblés. Pendant plusieurs jours, ils furent chargés d’ensevelir les corps dans des fosses communes.
« L’enterrement des victimes, c’était un ordre du bourgmestre, chacun sa commune », lâche l’accusé, assurant n’avoir pas eu connaissance des directives au niveau national concernant l’enfouissement des cadavres de victimes.
Pour l’accusation, les exécutions au sein de la prison de Gikongoro n’ont pu avoir lieu que parce que les prisonniers hutu étaient revenus de Murambi avec des armes.
Le procès doit durer jusqu’au 12 juillet.