Fiche du document numéro 30183

Num
30183
Date
Jeudi 2 juin 2022
Amj
Auteur
Taille
48178
Titre
Procès Laurent Bucyibaruta aux Assises de Paris. Semaine 3 : Lundi 23 mai – Mercredi 25 mai 2022
Sous titre
Ibuka France vous propose un « bulletin » hebdomadaire sur le déroulé du procès de Bucyibaruta du 9 mai au 12 juillet 2022 aux Assises de Paris.
Nom cité
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le lundi 23 mai est encore une journée consacrée à l’étude des faits survenus à l’ETO de Murambi. Quatre témoins seront entendus par visioconférence ce jour. L’audience commence à 9h30, Jeanne Mukamana, rescapée citée par le Ministère Public, raconte son histoire. Son récit ressemble à celui des autres rescapés entendus jusqu’alors, après le déferlement de violence qui a fait suite à la chute de l’avion du président Juvénal Habyarimana, Jeanne Mukamana s’est rendue à l’ETO de Murambi avec son bébé de cinq mois et plusieurs membres de sa famille. Vers trois heures du matin, le 21 avril 1994, le bruit des premiers tirs se fait entendre, les Interahamwe commencent à tuer. Si Jeanne fait partie du peu de survivants parmi les 50 000 réfugiés de Murambi, c’est parce qu’elle est issue d’une famille mixte et qu’elle connaît l’un des attaquants. Ce jeune homme hutu l’aide à sortir du site et l’emmène chez sa famille, avant qu’elle ne prenne la fuite vers le Zaïre. La déclaration spontanée est terminée, le Président Lavergne commence à interroger le témoin. Elle confirme que ce sont les autorités qui ont dit aux Tutsi en fuite de se diriger vers l’école technique de Murambi afin de pouvoir assurer leur sécurité. Cependant, elle déclarera à la Cour n’avoir jamais ni vu ni entendu le préfet Laurent Bucyibaruta. Les conseils des parties civiles ne posent aucune question à Madame Mukamana. Le Ministère Public lui demande si elle a eu l’impression d’être abandonnée par les autorités, elle répond que oui. La parole est ensuite donnée à Me Biju-Duval, avocat de la défense. Il posera quelques questions sur l’identité des personnes qui ont menacé les réfugiés durant leur trajet vers Murambi, ce à quoi le témoin ne saura pas répondre précisément. La déposition est terminée et le second témoin de la matinée est appelé.

Suzanne Nyirasuku, rescapée citée par le Ministère Public, est entendue en visioconférence depuis le Rwanda. L’audition commence par une déclaration spontanée, rapidement interrompue. Le témoin a perdu ses huit enfants, son mari, ses frères et ses sœurs à Murambi, elle n’arrive pas à narrer la nuit du 21 avril. Le Président rappelle que « l’audience ne doit pas être une source de souffrance pour les victimes », il demande donc à l’intéressée s’il peut plutôt lui poser quelques questions courtes. Après une petite dizaine d’interrogations, l’audition est de nouveau suspendue, Madame Nyrasuku ne parvenant pas à continuer. Une seule question sera posée par la défense à propos de l’escorte dont bénéficiaient les réfugiés durant leur trajet jusqu’à Murambi. Le témoin déclarera simplement n’avoir vu ni militaire ni gendarme. L’audience est suspendue, la matinée se clôture.

À 14 heures, la visioconférence avec le Rwanda est rallumée afin de pouvoir entendre Bélie Mukandamage, rescapée citée par le Ministère Public. Elle souhaitera commencer son audition par une déclaration spontanée très courte afin de dire à la Cour qu’elle a perdu toute sa famille à Murambi, « de ma famille qui était là-bas, il ne me reste plus personne », et que si elle a pu survivre c’est grâce à un de ses voisins qui l’a cachée. Le Président Lavergne poursuit donc l’audition par une série de questions. Madame Mukandamage confirmera que les autorités se sont rendues à la paroisse de Gikongoro afin de dire aux réfugiés Tutsi qui s’y trouvaient de se rendre à l’ETO de Murambi. Elle déclarera également s’être sentie abandonnée par les autorités, « si les autorités ne nous avaient pas abandonnés, cela ne se serait pas produit ». Le Ministère Public prend la suite de l’interrogatoire en demandant au témoin si elle se rappelle des déclarations qu’elle a faites devant les enquêteurs français. S’en suivent les questions de la défense, posées par Me Biju-Duval. Ce dernier lui demande comment il est possible qu’elle ait reconnu l’accusé à Murambi alors qu’elle avait déclaré auparavant ne pas le connaître de visage. Elle lui répond en disant que ceux qui le connaissaient lui ont montré. Suite à une réaction succincte de l’accusé sur la véracité des propos du témoin, l’audition est suspendue.

Le quatrième et dernier témoin de la journée est invitée à s’installer sur le siège de la visioconférence. Mélie Marie Mujawimana, rescapée citée par le Ministère Public, ne souhaitant pas faire de déclaration spontanée est directement questionnée par le Président Lavergne. En reprenant les déclarations faites lors de l’entretien avec les gendarmes français, ce dernier lui pose plusieurs questions sur une réunion tenue par le préfet Bucyibaruta dans le stade de football de Mwogo. Elle déclare n’avoir pas pu se rendre à cet évènement, ce dernier étant réservé aux hommes, mais avoir eu connaissance de ce qu’il s’y était dit par son mari. Elle indique donc que le préfet Laurent Bucyibaruta a appelé à « débroussailler pour que les Tutsi du FPR ne trouvent pas de cachette ». Elle est ensuite interrogée sur le déroulé de l’attaque du 21 avril et sur sa fuite. Elle terminera en demandant justice pour les morts. Aucune question n’est posée par les différentes parties. Le Président invite donc l’accusé à réagir à ces déclarations s’il le souhaite. Il nie avoir tenu quelconque réunion à Mwogo avant mai 1994 et avoir donc tenu les propos qui lui sont prêtés. Il déclarera tout de même que « les Hutu et les Tutsi vivaient en parfaite harmonie avant avril 1994 », affirmation rapidement reprise par le Président. Ce dernier lui demandera ensuite s’il s’est rendu à Murambi en avril 1994. Laurent Bucyibaruta répondra qu’il n’y est allé qu’une unique fois, le 15 avril, sur demande des réfugiés afin d’écouter leurs doléances sur les conditions de vie dans le camp. Il déclarera ensuite n’être jamais retourné sur ce site. Me Simon Foreman demande la parole au Président afin de réagir sur cette réponse. Il demande à l’accusé « pourquoi il n’est pas retourné à Murambi, si ce n’était pas son rôle de se préoccuper de cette situation, de revenir sur les lieux pour vérifier ? ». Ce dernier déclarera que sa priorité était de réquisitionner des gendarmes pour assurer la sécurité des réfugiés et que pour le reste, d’autres personnes s’étant chargées de régler les problématiques, il ne pouvait vérifier et ainsi remettre en cause leur efficacité. Me Foreman insiste, l’ancien préfet se renferme sur son argumentaire, soutenant que les prérogatives du préfet sont limitées par un décret-loi de 1978, ne lui permettant pas d’interférer dans les affaires de la gendarmerie. Le conseil du CPCR ne parvenant pas à obtenir une réponse claire de la part de Laurent Bucyibaruta, il laisse la parole à son confrère, Me Gisagara, avocat de la CRF. Ce dernier revient sur les propos de l’accusé affirmant que « les Hutu et les Tutsi vivaient en parfaite harmonie avant avril 1994 » et rappelle que le mari de Madame Mujawimana a été tué en 1963. Laurent Bucyibaruta se bornera à rappeler le droit applicable au procès, à savoir que l’acte d’accusation ne porte que sur des faits commis en 1994, et non pas avant. Après quelques questions du Ministère Public, l’audience est suspendue.

Le mardi 24 mai, douzième jour de procès, commence par l’audition de Cyprien Munyanziza, commerçant hutu voisin de l’attaque, cité par le Ministère Public. Il commencera par faire une déclaration spontanée afin de relater les évènements d’avril 1994 tel qu’il les a vécus. Il rapporte notamment que si les réfugiés se sont rendus dans le camp et y sont restés, c’est parce qu’ils faisaient confiance au préfet Bucyibaruta. Le témoin souhaite clôturer son récit en déclarant « je sais que Laurent Bucyibaruta a tenu cette réunion avec Sebuhura et les réfugiés et que l’accusé le sait ». Le Président Lavergne prend la suite en posant des questions à Monsieur Munyanziza. Ce dernier dira notamment qu’il n’y avait que deux gendarmes présents pour garder les 50 000 réfugiés de Murambi, peut-être quelques-uns de plus de l’autre côté de la colline, mais dans tous les cas, pas assez pour assurer la sécurité du camp au regard des évènements récents dans la préfecture de Gikongoro (notamment l’attaque de l’église de Kibeho le 15 avril). Interrogé ensuite sur l’ensevelissement des corps, le témoin décrira les macabres allers-retours des bulldozers du Ministère des Travaux publics pour mettre les dépouilles dans des fosses communes. Il précisera que l’ancien préfet, Laurent Bucyibaruta, était présent ce jour. Après quelques questions de la Cour sur la coupure d’eau, les parties civiles prennent le relai. Me Foreman demande au témoin d’expliquer à la Cour quel était le climat entre Hutu et Tutsi avant la chute de l’avion présidentiel le 6 avril 1994. Ce dernier répond, contrairement à ce qu’il avait dit lors de son entretien avec les enquêteurs du TPIR, que la situation était calme, que « les gens s’entraidaient ». Les deux avocats de la défense soulèvent ensuite le fait que le témoin n’avait jamais parlé de Laurent Bucyibaruta dans ses précédentes auditions et qu’il présente aujourd’hui beaucoup de faits à charge. Ce dernier leur répondra que c’est certainement un défaut de transcription de ses déclarations mais qu’il a toujours soutenu la même version. Me Levy conclura en disant « vous n’aviez jamais mentionné le préfet Laurent Bucyibaruta Monsieur ». L’audition est finalement clôturée.

La deuxième témoin de la journée, Annonciata Muhayimana, rescapée citée par le Ministère Public, s’avance vers la barre. Elle débutera par une déclaration spontanée. Après avoir quitté son domicile à Mudasomwa et être passée par l’école de Kigeme, elle finit par arriver, comme 50 000 autres personnes, à l’ETO de Murambi. Seul son cadet qu’elle portait sur son dos et elle-même ont survécu à la tuerie du 21 avril. Le Président poursuit en interrogeant le témoin. Il demande notamment à Madame Muhayimana si elle a pu voir le préfet Bucyibaruta lorsqu’elle était à Murambi. Elle répond qu’elle n’est allée à aucune réunion et qu’au moment de l’attaque, elle ne l’a pas aperçu personnellement mais elle entendait du monde désigner « le préfet ». Après quelques demandes de précision par le Ministère Public et Me Levy, l’audience est suspendue.

L’après-midi reprend avec l’audition de Juvénal Gakumba, rescapé cité par le Ministère Public. La déposition de ce dernier a été source de beaucoup de confusion au sein de la salle d’audience. En effet, cette dernière a duré plus de trois heures, a été assez décousue et a également été ponctuée par plusieurs soucis de traduction. Monsieur Gakumba évoque les propos supposés tenus lors de plusieurs réunions auxquelles lui-même n’a pas participé. Il mentionne également l’utilisation de mégaphones pour appeler la population civile à tuer les réfugiés, « c’est le dernier jour, venez, allons tuer ces Tutsi qui se sont réfugiés à Murambi ». Après avoir été interrogé par le premier juge assesseur, le témoin confirmera même que les voix entendues dans les mégaphones étaient celles du préfet Bucyibaruta et du bourgmestre Semakwavu. Les conseils des parties civiles s’abstiennent de lui poser des questions, ce dernier étant trop confus, contradictoire par moment et rapportant des propos qu’il n’a lui-même pas entendus directement, risquant ainsi de jouer le jeu de la défense voulant annihiler la crédibilité des témoignages. Le Ministère Public prenant la suite, demandera à Monsieur Gakumba s’il se rend compte « de la grande confusion » de ce qu’il rapporte. Il répondra par la négative en soutenant que ce n’est pas confus parce que d’autres témoins ont également conté ces faits.

Pour conclure, la parole est donnée à la défense. Sans grand étonnement, Me Biju-Duval revient souligner l’incohérence du récit et demande au témoin pourquoi il n’a pas évoqué certains points dans ses précédentes auditions et comment il a fait pour ne pas parler de ces éléments-clés plus tôt. Ce dernier lui dira simplement qu’il a oublié ou que peut-être cela n’a pas été retranscrit. L’audition sera conclue par Me Biju-Duval résumant bien les trois dernières heures, « je ne suis pas certain d’être le seul à avoir mal compris ». Il est 17h50, l’audience est suspendue par le Président. Après la courte pause, ce dernier invite le dernier témoin de la journée à s’avancer vers la barre.

Immaculée Mukamana, rescapée citée par la CRF et partie civile dans ce procès, vient livrer son histoire à la Cour. Elle et sa petite sœur sont les uniques survivantes d’une famille de 14 enfants, tous les autres ayant été tués pendant le génocide. Comme les autres rescapés avant elle, elle raconte les persécutions avant le génocide, les massacres dès le 7 avril, la fuite, la perte de tous les proches et le besoin de justice qu’elle a maintenant. Elle conclura cette déclaration qui a particulièrement ému la salle en disant « je demanderai que justice soit rendue. Normalement j’aurais beaucoup de choses à dire, mais comme le chemin que nous avons traversé est long, les idées ne viennent pas de manière ordonnée dans ma tête. Je termine en vous disant merci, pour la justice que nous espérons rendue ».

Sur ces paroles, le Président déclare que le témoin sera convoqué par visioconférence plus tard pour que les parties puissent lui poser des questions, il est 18h40, l’audience doit être suspendue.

Le lendemain, le mercredi 25 mai, troisième et dernier jour de la semaine, est une autre journée consacrée à l’étude des faits commis sur le site de Murambi. La visioconférence est allumée afin de pouvoir entendre Philippe Ntete, rescapé cité par le Ministère Public. Son audition commence par une déclaration spontanée dans laquelle il livre son histoire, lors de ces tragiques 100 jours entre avril et juillet 1994 et particulièrement le 21 avril. Suite à cela, le Président Lavergne interroge le témoin sur plusieurs détails. Il va notamment procéder à la diffusion de plusieurs photos des barrières présentes à Murambi et interroger Monsieur Ntete sur ces sites. Ce dernier va notamment confirmer le fait que la population avait confiance en Laurent Bucyibaruta, « ils ne savaient pas qu’on allait les tuer car ils pensaient que Laurent Bucyibaruta était quelqu’un de bon ». Il affirme également avoir vu la voiture du préfet à plusieurs reprise au niveau des barrières de Murambi, et notamment celle de Kabeza. Quelques précisions lui seront demandées par la Cour, les parties civiles et la défense. L’audition de Monsieur Ntete se termine et le second témoin de la matinée est appelé à se présenter.

Hildegarde Kabagwira, rescapée et partie civile citée par le CPCR commence par une déclaration spontanée. Elle raconte les épreuves du mois d’avril 1994. Comme elle le dit elle-même, « j’ai essayé d’aller à Murambi, mais j’ai échoué ». Un échec qui lui sauvera la vie. Enceinte au moment du génocide, elle ne peut pas se rendre à l’ETO et se déplace chez différentes personnes qui l’hébergeront à chaque fois quelques jours. Le Président Lavergne poursuit en questionnant Madame Kabagwira sur plusieurs points. Il lui demande notamment si elle pense que Laurent Bucyibaruta « ne voyait pas d’un bon œil les Tutsi », ce à quoi elle répond par la négative. Il poursuit en soulevant qu’il est pourtant marié à une femme tutsi. Elle lui rétorque que « tous les hommes puissants du Rwanda avaient des épouses tutsi et pourtant c’étaient des léopards. Même Kayibanda qui haïssait profondément les tutsi avait une femme Tutsi », démontrant ainsi un des arguments de la défense qui soutient que Monsieur Bucyibaruta ne peut pas avoir participé au génocide de quelque manière que ce soit, ayant lui-même épousé une femme tutsi.

S’en suivent les questions des parties civiles. La parole est d’abord donnée à Me Foreman, conseil du CPCR, qui demande à l’intéressée de confirmer qu’elle a bien vu Laurent Bucyibaruta et le commandant de gendarmerie Sebuhura ensemble à plusieurs reprises, élément que l’accusé nie en bloc. Elle répond par l’affirmative. Me Gisagara et Me Tapi posent ensuite plusieurs questions à l’ancien préfet portant notamment sur le fait que ce dernier n’ait pas sollicité d’enquête à propos des exactions commises sur plusieurs sites de la préfecture et notamment à Murambi. Le Ministère Public prend la suite, l’avocate générale, après quelques questions, démontre que l’accusé occupait bien un rôle opérationnel effectif, ce dernier s’étant déplacé sur le lieu de commission d’un crime après avoir reçu un appel en ce sens, rôle qu’il réfute depuis le début. Après quelques questions de la défense, l’audience est suspendue et une courte pause est accordée à la Cour.

Le troisième et dernier témoin de la journée est Chantal Mukamana, rescapée et partie civile dont la citation est demandée par le CPCR. Elle présente à l’auditoire une déclaration spontanée relatant « la manière dont elle a survécu au génocide de 1994 ». Après le récit de sa fuite, passant par Murambi et Cyanika, survivant à plusieurs attaques meurtrières, elle clôture sa déclaration spontanée. Le Président Lavergne commence à l’interroger. S’en suivent plusieurs questions de la part de la Cour. Les parties civiles et le Ministère Public ne souhaitent pas questionner Madame Mukamana. La défense prend donc la parole. Me Biju-Duval demande au témoin s’il confirme n’avoir jamais vu Laurent Bucyibaruta sur le trajet entre Gikongoro et Murambi. Elle dit qu’elle n’a vu que le bourgmestre Semakwavu, que le préfet n’est venu qu’après, qu’il a tenu une réunion avec les réfugiés du camp de Murambi au sujet des conditions de vie dans l’ETO (la coupure des canalisations d’eau et l’insuffisance des vivres).

Il est 19h10, l’audience doit être suspendue, Me Biju-Duval déclare qu’il posera d’autres questions aux témoins de la semaine suivante. Le Président Lavergne suspend l’audience et la Cour se retire.

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