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La liberté d’expression ne permet pas tout. Parce qu’elle estime que Guillaume Ancel a dépassé les « limites admissibles de la liberté d’expression » et qu’il ne pouvait bénéficier de « l’excuse exonératoire de la bonne foi », la 17e chambre du tribunal de Paris a condamné l’ancien officier français à 2 000 euros d’amende avec sursis pour « diffamation publique » envers Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée au moment du génocide des Tutsi qui a fait 800 000 morts au Rwanda lors du printemps 1994.
L’ex-soldat ayant participé à « Turquoise », une opération militaro-humanitaire controversée décidée par Paris, devra verser un euro de dommages et intérêts au plaignant et retirer les textes jugés diffamatoires publiés sur Twitter et sur son blog « Ne pas subir ». Dans vingt-quatre publications diffusées sur Internet entre le 26 mars et le 3 juin 2021, Guillaume Ancel traitait notamment Hubert Védrine de « personnage tellement arrogant qu’il est incapable de se remettre en cause », l’accusait d’avoir « collaboré avec les nazis du Rwanda » et le comparait à Maurice Papon, haut fonctionnaire condamné pour complicité de crimes contre l’humanité pendant la Shoah.
« La gravité de l’accusation formulée par le prévenu est renforcée par l’emploi de termes renvoyant à une responsabilité présentant une dimension pénalement répréhensible tels ceux de “complicité”, de “génocide”, la comparaison avec la méthode employée par les “nazis” ou la comparaison de “Papon” avec ces derniers », écrit le tribunal dans ce jugement de 29 pages que Le Monde a pu consulter. Les accusations d’injures à l’encontre de M. Védrine n’ont pas été retenues par la présidente du tribunal.
« Cette décision forte du tribunal judiciaire est l’occasion de réaffirmer que la France n’est ni complice ni responsable du génocide des Tutsi, s’est félicité Hubert Védrine dans un communiqué. Il est temps de mettre fin à cette entreprise de mise en cause et de culpabilisation de la France, fondée sur des contrevérités et qui est le seul fait d’une poignée de militants politiques hexagonaux, en contradiction complète avec la vérité établie par les experts du monde entier, y compris en Afrique. » « La controverse historique légitime ne peut en aucune manière justifier la calomnie, le mensonge et les mises en causes personnelles dénuées de fondement », a ajouté Me Alexandre Mennucci, son avocat.
« Responsabilités lourdes et accablantes »
Les accusations litigieuses avaient été publiées dans la foulée du rapport de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, ayant étudié le rôle de la France au Rwanda de 1990 à 1994 grâce à une ouverture sans précédent des archives de l’Etat. En conclusion, celle-ci avait attribué à la France – et notamment à l’état-major présidentiel de François Mitterrand, dont Hubert Védrine faisait partie – « des responsabilités lourdes et accablantes », mais pas de « complicité » dans le génocide des Tutsi.
Au tribunal de Paris, l’audience du 18 février, au cours de laquelle s’étaient succédé plusieurs témoins dont l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, avait donné lieu à un véritable débat sur le rôle et la responsabilité de la France pendant le génocide des Tutsi. Au terme des auditions, « il n’existe pas de corrélation entre les éléments factuels dont disposait le prévenu [Guillaume Ancel] et les propos qu’il a tenus et qui contiennent des accusations gravement diffamatoires », a estimé le tribunal.
« Cette décision de justice ne referme en rien le débat sur le rôle d’Hubert Védrine dans la politique de l’Elysée sous François Mitterrand et qui a conduit à ce “désastre français” [d’après les conclusions du rapport Duclert], a déclaré Guillaume Ancel, qui se donne encore quelques jours de réflexion avant éventuellement de se pourvoir en appel. Cette politique “a rendu possible un génocide prévisible” [selon les termes d’un rapport commandé par le Rwanda], mais dont à ce jour personne n’est responsable. »