Avec notre envoyé spécial à la cour d’appel de Paris, Pierre Firtion. Bourgmestre, sous-préfet, député, préfet. La cour s’est penchée cet après-midi sur le parcours politique et administratif de l’accusé, de 1973 à 1994. «
C’est une carrière longue, fait remarquer à la barre, l’historien André Guichaoua, spécialiste de la région des Grands Lacs,
on peut en déduire que les services attendus ont été rendus ».
L’accusé ne disposant pas de diplôme de l’enseignement supérieur, il a dû bénéficier, juge l’historien,
de l’appui d’une ou deux personnes qui font les carrières ou en assurent du moins la continuité ».
Pourquoi a-t-il été choisi pour occuper la fonction de préfet dans sa région natale de Gikongoro ? «
Il avait le profil adéquat, il n’était pas sur cette ligne de gêner des poids lourds, de postuler à des postes majeurs », répond l’historien, avant d’ajouter : «
il n’avait pas de force militante derrière lui, il n’entretenait pas d’Interahamwe ». Laurent Bucyibaruta apparaît à l’époque comme un membre consensuel du MRND, le parti du président Habyarimana, «
alors qu’il y avait des candidats plus extrémistes » pour ce poste de préfet, précise Guichaoua qui fait remarquer que l’accusé n’était pas corrompu. «
La vertu qu’on a appréciée chez lui, lance-t-il,
c’est le service, il servait. Mais on peut pas dire qu’il se servait. C’est ça qui a fait sa force ».
Quel a été le rôle des préfets durant le génocide ?
Des images de cadavres jonchant les rues, d’hommes armés de machettes contrôlant les véhicules. En visionnant hier une vidéo de Kigali durant le génocide, la cour a été pour la première fois confrontée à l’horreur du printemps 94 au Rwanda. Une terrible réalité qu’est ensuite venu décrire à la barre André Guichaoua, spécialiste de la région des Grands Lacs. Cet historien était à Kigali le 6 avril 1994 quand tout a commencé. D’une voix éraillée, il raconte la peur. Et tente à l’aide de cartes d’expliquer à la cour l’inexplicable ou comment un tel génocide a pu voir le jour.
Un génocide «
se produit dans des pays qui vont mal », avait expliqué un peu plus tôt, un autre historien, Jacques Semelin, spécialiste de ces tueries de masse. «
C’était le cas du Rwanda à la fin des années 80 », a-t-il indiqué avant de mettre en avant la responsabilité centrale des décideurs politiques, administratifs et militaires dans ce génocide des Tutsi. Quel a alors été le rôle des préfets, fonction qu’occupait l’accusé au moment des faits, dans ce massacre ?
«
Je suis loin d'avoir une vision de tous les préfets. Je connais un préfet, de Butare, qui a résisté quelques temps, deux semaines je crois, et puis les représentants du gouvernement provisoire sont arrivés à Butare. Le préfet a été limogé et quelques jours plus tard, il a été assassiné. C'est cet exemple que je connais, mais après je ne sais pas pour les autres ».
Le rôle des préfets dans ce génocide, la cour a deux mois pour éclaircir ce point central du dossier.