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Paul Rusesabagina en route pour le tribunal, à Kigali, le 26 février 2021 © CLEMENT UWIRINGIYIMANA/REUTERS
On pensait que l’affaire avait atteint son épilogue. Le 4 avril, la cour d’appel du Rwanda confirmait la condamnation de Paul Rusesabagina, devenu célèbre en 2004 à travers le film Hôtel Rwanda. Considéré comme un héros par Hollywood, malgré les critiques portées, après le génocide de 1994, sur son rôle véritable à l’Hôtel des mille collines de Kigali entre avril et juillet 1994, Paul Rusesabagina a été jugé et condamné pour avoir soutenu une rébellion armée coupable de plusieurs attentats au Rwanda à la fin des années 2010, le Front de libération nationale (FLN), branche militaire du Mouvement rwandais pour un changement démocratique (MRCD).
« Étant donné qu’il est un primo-délinquant, le tribunal estime que sa peine ne doit pas être alourdie car les 25 années auxquelles il a été condamné sont conformes au poids de ses crimes et le tribunal maintient sa peine », avait alors déclaré le juge François-Régis Rukundakuvuga.
Avant même que la sentence ne soit rendue contre cette personnalité emblématique, une procédure judiciaire avait toutefois été intentée aux États-Unis par ses avocats américains. Le 22 février 2022, ces derniers ont saisi le tribunal du district de Columbia, à Washington. Une procédure jusqu’alors demeurée secrète et qui vient d’être rendue publique.
Enlèvement ?
Paul Rusesabagina est en effet devenu, depuis son départ, en 1996, du Rwanda vers la Belgique – dont il possède la nationalité – puis vers les États-Unis, un résident américain. C’est donc outre-Atlantique que se déroulera la prochaine manche de ce bras de fer judiciaire entre son pays d’origine – où il est détenu depuis août 2020 – et ses supporteurs à travers le monde, au premier rang desquels son épouse Taciana et leurs enfants, parties civiles à la procédure américaine.
SON ÉPOUSE TACIANA ET LEURS ENFANTS, PARTIES CIVILES À LA PROCÉDURE AMÉRICAINE, SONT À L’ORIGINE DE LA PLAINTE
Ce sont eux, en effet, qui sont à l’origine de la plainte déposée en février, avant même la condamnation en appel de l’intéressé. Celle-ci vise tout à la fois la République du Rwanda, le président Paul Kagame, l’ancien ministre de la Justice Johnston Busingye – désormais ambassadeur au Royaume-Uni et en Irlande –, le colonel Jeannot Ruhunga, du Rwanda Investigation Bureau (RIB – équivalent local du FBI américain) et le général major Joseph Nzabamwita, alors secrétaire général du National Intelligence Security and Service (NISS).
Aux dires des avocats de Paul Rusesabagina, toutes ces personnes auraient trempé dans un complot « sous couvert de la loi » visant à kidnapper, torturer, détenir puis condamner illégalement au Rwanda leur client du seul fait qu’il était devenu une voix critique contre le régime rwandais.
Signée par plusieurs avocats américains, la plainte déposée aux États-Unis – longue de 74 pages – demande que l’affaire soit examinée par un jury. Au total, les dommages et intérêts requis par la partie civile s’élèvent à 400 millions de dollars.
Au cœur de l’accusation portée par les défenseurs de Paul Rusesabagina, les conditions de son arrestation, en août 2020. Comme Jeune Afrique l’avait révélé peu après, le « héros » célébré par Hollywood était en effet tombé dans un piège qui l’avait conduit à Kigali alors qu’il pensait se rendre à Bujumbura. Pour ses avocats, ce subterfuge serait assimilable à un enlèvement, lequel aurait accouché d’une incarcération illégale. En novembre 2021, le Comité de l’ONU sur la détention arbitraire avait d’ailleurs désavoué les modalités de l’arrestation de Paul Rusesabagina. Une procédure – non judiciaire – à laquelle la République rwandaise n’avait pas pris part… et qui n’a pas force contraignante pour l’État désavoué.
« Procédure sans fondement »
L’avocat rwandais Faustin Murangwa a participé au procès en appel de Paul Rusesabagina, dans lequel il défendait les parties civiles victimes des attentats commis sur le sol rwandais par le mouvement dont celui-ci est accusé d’avoir été l’un des principaux responsables. « Concernant l’accusation d’enlèvement, il faut considérer les modalités de l’arrestation au moment où Paul Rusesabagina a été appréhendé par le Rwanda Investigation Bureau », considère ce dernier. Or cette interpellation a eu lieu sur le tarmac de l’aéroport de Kigali. Si les autorités rwandaises ont reconnu à mots couverts que le jet affrété pour piéger Rusesabagina a bien été financé par le RIB, nul officiel rwandais n’a été directement impliqué dans cette opération digne d’un film de James Bond. Son principal artisan était en effet un pasteur burundais, Constantin Niyomwungere, qui avait gagné la confiance de l’ancien manager de l’Hôtel des mille collines.
« RUSESABAGINA ET SES SOUTIENS REFUSENT DE FAIRE FACE À LA RÉALITÉ. IL N’Y A EU NI ENLÈVEMENT NI TORTURE »
En ce qui concerne les accusations de torture, poursuit Faustin Murangwa, « celles-ci ont été évoquées depuis l’étranger par des avocats qui n’ont pas participé au procès à Kigali. Ce système de défense avait pour but de le disculper de ses responsabilités dans les faits qui lui étaient reprochés et qu’il avait lui-même reconnus, comme le montrent certaines de ses déclarations sur les actions commises par son mouvement ou sur le financement dont il était à l’origine. Ses proches à l’étranger ont eu du mal à accepter ça ».
Selon Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement rwandais, « la procédure intentée contre le gouvernement rwandais aux États-Unis est sans fondement. Elle ne repose sur rien de solide, si ce n’est le dépit d’un criminel condamné et celui de ses soutiens, qui refusent de faire face à la réalité. Or la réalité, c’est qu’il n’y a eu ni enlèvement ni torture. Paul Rusesabagina et ses 20 coaccusés ont fait l’objet d’un processus judiciaire équitable et transparent ».
« Paul Rusesabagina a été condamné pour des charges très graves, y compris le recrutement, l’armement et le soutien financier au FLN, constitué d’anciens génocidaires rwandais opérant en RDC, ajoute Yolande Makolo. Ces derniers ont mené des opérations armées contre des civils innocents entre 2018 et 2019 lors desquelles ils ont tué au moins neuf personnes. Pas moins de 95 victimes de ces crimes commis par le groupe armé de Paul Rusesabagina ont engagé des procédures pour être indemnisées. »
Voies de recours
Une source judiciaire proche de Kigali ayant suivi la procédure remarque quant à elle que les avocats de Paul Rusesabagina n’avaient pas déposé de recours au terme de la condamnation en première instance. L’appel avait en effet été interjeté par le Parquet rwandais, qui trouvait la peine trop clémente. Quant à la plainte déposée aux États-Unis, la même source s’interroge : « Comment peut-on attraire un État souverain devant la justice d’un autre État concernant les conditions d’exercice de son pouvoir judiciaire alors même que la défense n’a pas fait usage, comme elle en avait la possibilité, des voies de recours qui lui étaient offertes ? »
« AUCUNE CONTRAINTE NI MENACE N’A ÉTÉ EXERCÉE CONTRE LUI AVANT D’EMBARQUER À BORD DU JET PRIVÉ »
En outre, ajoute notre interlocuteur, « une enquête interne a été conduite aux Émirats arabes unis [la dernière escale de Paul Rusesabagina avant son arrestation au Rwanda] et celle-ci a conclu qu’aucune contrainte ni menace n’avait été exercée contre lui avant d’embarquer à bord du jet privé qui l’a conduit au Rwanda. La première intervention d’une autorité officielle rwandaise a eu lieu sur le tarmac de l’aéroport de Kigali ». Sollicitée par Jeune Afrique, l’une des filles de Paul Rusesabagina, Carine Kanimba, n’a pas donné suite à nos demandes d’explications.