Des images et un déclic. À l’occasion des dix ans de commémoration du génocide, en 2004, l’association Survie diffuse les premiers témoignages filmés de femmes tutsies qui racontent pour la première fois leurs viols par des soldats français lors de l’opération Turquoise. Annie Faure y assiste. «
Je me suis dit qu’il fallait absolument recueillir ces plaintes », se souvient cette pneumologue parisienne, ancienne médecin humanitaire pour Médecins du monde, en mission au Rwanda pendant le génocide. Elle fonce au Rwanda pour rencontrer ces femmes. «
En une semaine, on avait les témoignages de trois femmes », raconte celle qui milite toujours pour la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide.
D’abord instruites par le tribunal des armées, disparu, les plaintes atterrissent finalement au pôle Génocide et Crimes contre l’humanité du tribunal de grande instance. «
Parce qu’il s’agit de femmes tutsies et qu’on estime que c’est du fait de leur ethnie qu’elles ont été violées », précise Annie Faure. Elle souligne le courage de ces femmes. «
Le viol, c’est la honte ultime, d’autant plus par des Français, l’ennemi pour les Rwandais. C’est presque considéré comme un acte de collaboration. Elles ne sont ni manipulées, ni manipulables. Et elles placent beaucoup d’espoir dans la justice. Je les revois en bateau-mouche, passer devant le Palais de justice et lever les bras au ciel en criant : La justice est pour nous », raconte Annie Faure, qui les a accueillies lors de leur audition à Paris, en 2011.
« Il faudrait au moins que l’armée fournisse un trombinoscope »
En 2014, deux plaintes supplémentaires sont instruites. Elles viennent s’ajouter aux trois premières, dès 2009, et une quatrième, déposée en 2012. Mais le dossier stagne. Un gel des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France, ces dernières années, entrave le travail des juges, qui peinent à se rendre sur place. «
Le gros problème, c’est l’identification des soldats, explique Annie Faure.
Elles se souviennent de quelques surnoms, d’un qui avait une oreille coupée. Il faudrait au moins que l’armée fournisse un trombinoscope ».
L’armée n’a pour l’heure pas accédé à cette demande. Des militaires sur place au moment des faits ont été entendus. Quelques photos ont été ajoutées au dossier. «
Le documentaire d’Arte (« Rwanda : le silence des mots », ce samedi à 18h35)
va faire avancer les choses, veut croire la militante. Le temps qui passe permet d’ouvrir des portes. Le film dit beaucoup de choses sur plein de plans. On voit la difficulté à parler du viol et la façon dont il est utilisé comme arme de guerre, en résonance avec ce qui se passe actuellement en Ukraine ».
«
Dans le film, je les ai retrouvées comme je les avais connues en 2009, bouleversantes et fortes à la fois, désireuses de pouvoir dire leur vérité, qui n’a pas dévié depuis le début, souligne Laure Heinich, l’avocate qui défend les plaignantes.
Elles maintiennent des accusations difficiles à porter, sur lesquelles elles n’ont rien à gagner, et qui font peser la honte sur elles ».