Fiche du document numéro 29432

Num
29432
Date
Lundi 28 février 1966
Amj
Taille
308177
Titre
Lumumba (Patrice), Premier ministre de la République du Congo (Hiokamende-Onalua, Katako-Kombe, Congo, 2.7.1925 - assassiné en janvier 1961)
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Biographie
Langue
FR
Citation
678
LUMUMBA (Patrice), Premier ministre de la
République du Congo (Hiokamende-Onalua,
Katako-Kombe, Congo, 2.7.1925 - assassiné en
janvier 1961).
Fils de très modestes paysans tetela, Lumumba, qui sera baptisé Patrice par les pères Passi onnistes, est né le 2 juillet 1925 au village de
Hiokamende-Onalua, dans le Territoire de Katako-Kombe, au Kasai. Après des études primaires à la mission catholique de Tshumbe SteMarie, il reçoit un complément d'instruction à
la mission protestante de Wembo-Nyama. II
devient commis d'une société minière à Kindu.
Il suit les cours de l'école postale de Léopoldville. 11 est nommé à Yangambi (INEAC),
puis à Stanleyville où il reçoit la qualité
d'« immatriculé », en 1954. Il lit fiévreusement
et devient bientôt la figure dominante des
milieux africains de cette ville. Il est notamment président de l'Association des évolués et
correspondant de plusieurs journaux congolais
contrôlés par l'administration coloniale ou les
missions (La Croix du Congo, La Voix du
Congolais). Lorsque M. Auguste Buisseret devient ministre des colonies, Lumumba s'efforce
de se détacher de l'emprise catholique en fondant avec quelques européens une Amicale provinciale dix parti libéral à Stanleyville. A cette
époque, ses revendications politiques sont fort
modérées. On les trouvera exprimées dans un
livre posthume publié en 1961 sous le titre
Le Congo, terre d'avenir, est-il menacé?
Il réclame certes l'égalité raciale, mais estime
encore qu'une action sociale pacifique suffirait
à « combler des lacunes ». En juin 1955, Patrice
Lumumba, au sommet de son prestige local, est
longuement reçu par le roi Baudouin, de passage à Stanleyville. En 1956, il effectue un court
voyage en Belgique. Il est plein d'espoir dans
l'avenir du Congo. Mais dès son retour à Stanleyville, il est traduit devant les tribunaux et
accusé de détournements de fonds au détriment
de l'Office des chèques postaux dont il avait la
gestion. Il affirme que, pressé par le besoin,
il s'était contenté d'effectuer un emprunt. II
venait en effet d'effectuer un premier remboursement. Cette affaire lui vaut deux ans de prison, ramenés finalement à douze mois. Ses
adversaires politiques, tant en Belgique qu'au
Congo, exploiteront largement cette imprudence, s'efforçant de réduire la grande figure politique qui se dessine, aux dimensions d'un
vulgaire escroc (cf. Le Soir du 3.11.59) .
Lumumba s'installe à Léopoldville en 1957
et entre au service d'une brasserie dont il devient directeur commercial. Il fonde le 10.10.
58 le Mouvement national congolais (M.N.C.)
et il en assume la présidence. La grande passion
nationaliste à laquelle Lumumba ne cessera
d'être fidèle jusque dans la mort, a brusquement mûri: le M.N.C. entend combattre «toutes
les formes de séparatisme régional incompatibles avec les intérêts supérieurs du Congo»
et rechercher l'indépendance du pays par la
voie de négociations pacifiques. En décembre
de la même année, peu avant les troubles de
Léopoldville, il participe à la Conférence panafricaine d'Accra, où Nkrumah le remarque. A
la suite d'un conflit avec M. ICalonji, le M.N.C.
se scinde en deux formations distinctes, en
juillet 1959. Au M.N.C.-Lumumba s'opposera
désormais le M.N.C.-ICalonji auquel se rallient
MM. Ilco et Ngalula. Le M.N.C.-Kalonji sera
puissamment aidé par les milieux sécessionnistes miniers du Sud-Kasai, En dépit de cette
rupture, Lumumba mène campagne en faveur
de la libération de ICalonji, qui avait été
assigné à résidence au mois d'août.
En octobre 1959, Lumumba est arrêté à
Stanleyville à la suite des remous provoqués
par un discours résolument nationaliste. Mais
le Ministre des Colonies le fait libérer pour
lui permettre de participer à la Conférence de
la Table ronde de Bruxelles, où se joue le
sort du Congo. Lumumba comprend la nécessité d'implanter dans l'ensemble du pays un
grand parti national qui s'opposera aux thèses
fédéralistes. Il sait que l'unité du Congo, pri-

sonnier de son cloisonnement ethnographique,
est fragile. Il s'oppose violemment et avec une
fermeté jamais démentie, à tous les leaders
congolais qui entendent jouer leur carrière en
s'appuyant sur une ethnie plus ou moins importante. Sa réflexion politique s'est épanouie
dans les villes congolaises, loin de sa tribu
natale (les Tetela), vouée à des discordes séculaires. Détribalisé, il a découvert avec amertume le leurre de sa condition faussement
privilégiée d'« immatriculé », équivalant à une
espèce de demi-statut européen. Il tentera de
proposer à ses compatriotes désorientés un nouveau modèle politique: la citoyenneté congolaise à part entière. Contrairement à son principal rival, M. Kasavubu, dont la carrière s'est
développée au sein de la tribu ICongo, il refuse
de s'appuyer sur les forces centrifuges héritées
du passé. A son retour de Bruxelles, il est
membre du Collège exécutif général, chargé
de préparer l'indépendance. Après avoir revu
Nkrumah à Accra en avril 1960, il déclare à
la presse: «La Belgique a compris que le
peuple congolais ne lui était pas hostile, mais
qu'il réclamait simplement un changement de
régime et la fin de l'injustice » (Agence Belga,
24.4.60). Mais le Gouvernement belge se méfie
du « gauchisme » de Lumumba. Ses adversaires
s'ingénient déjà à l'accuser de sympathies procommunistcs. L'un des premiers à monter cette
machine de guerre est M. Nendaka, qui sera
administrateur général de la sûreté au moment
de l'arrestation de Lumumba, dix ans plus
tard (Libre Belgique,
2,4.60). M. Nendaka,
vice-président du M.N.C.-Lumumba avait été
accusé par Lumumba d'avoir détourné des fonds
appartenant au parti. Tout en dénonçant son
ancien adjoint, Lumumba oppose lin démenti
catégorique aux rumeurs concernant l'aide qu'il
aurait reçu lui-même des milieux communistes {Agence Belga, 19.4.60).
Solidement implanté dans la province Orientale et le ICivu, mais aussi au Kasai, le M.N.C.Lumumba apparaît comme la plus importante
formation politique congolaise au lendemain
des élections législatives, bien qu'il soit loin
de disposer de la majorité absolue au Parlement. Lumumba a des démêlés avec M. Ganshof van der Meersch au sujet de la formation
du premier gouvernement congolais. II accuse
la Belgique de vouloir imposer au Congo un
gouvernement fantoche. Il prévoit avec lucidité
le danger d'éclatement de l'unité nationale, la
menace de balkanisation (Interview au Pourquoi Pas?, 13,6.1960). Il est chargé de constituer
le premier gouvernement de lu République du
Congo, quelques jours avant la proclamation
de l'indépendance, fixée au 30.6.1960. Ce jourlà, il prononce devant le roi Baudouin un discours qui impressionne défavorablement l'opinion publique belge, mal informée des réalités
congolaises. Porte-parole du mouvement anticolonialiste, Lumumba avait parlé sans fausse
complaisance, rappelant à ses compatriotes la
lutte amère à laquelle ils devaient leur indépendance, sans oublier de saluer dans la Belgique « un pays ami avec lequel nous traitons
d'égal à égal ».
Le drame congolais se noue quelques jours
plus tard. Lumumba est victime d'une rébellion
de la Force publique dont le commandant en
chef, le général Janssens n'a pas prévu l'africanisation des cadres. Le chef du gouvernement
tente de reprendre la situation en mains en
adjurant les soldats révoltés de déposer les
armes (Message radiophonique du 6.7.60). L'arrivée des parachutistes belges provoque la rupture des relations diplomatiques entre la Belgique et le Congo et l'appel aux forces de
l'ONU. Tandis que M. Tshombe profite des
circonstances pour proclamer la sécession katangaise, le ministre P. Wigny fait peser la
suspicion sur le gouvernement central en dénonçant l'influence communiste au Congo (New
York Times, 15.7.60). Lumumba accuse la Belgique de comploter contre le Gouvernement
central. II estime non suns raison que la présence des parachutistes belges favorise l'implantation au Katanga d'un gouvernement sécessionniste soutenu par l'Union minière. Excédé par
l'indécision de l'ONU dans la question katan-

gaise, Lumumba menace de faire appel à
l'U.R.S.S. si les troupes belges ne quittent pas
l'ensemble du territoire congolais. Il déplore
« tous les actes criminels » commis par un certain nombre de Congolais contre des Européens
au cours de la première semaine de panique
(z4gen.ee Reuter, 16.7.1960), mais il proclame
aussi que M. Tshombe n'est qu'un intrigant aux
mains du gouvernement belge (Agence France
Presse, 23.7.60). Le secrétaire général de l'ONU
prend manifestement ses distances avec le Premier Ministre du Congo. Il espère pouvoir neutraliser toutes les troupes congolaises. Mais
M, Tshombe contourne la. décision du Conseil
de sécurité du 9.8.60, ordonnant à la Belgique
de retirer ses troupes du Katanga: il fait
appel à des mercenaires. Les hésitations juridiques de l'ONU ne sont pas étrangères à la manœuvre de M. Kasavubu qui destitue Lumumba
de ses fonctions de premier ministre le 5.9.60,
en faveur de M. Ileo. Celui-ci est « neutralisé »
à son tour par le premier coup d'Etat du colonel Mobutu qui institue le régime des « Commissaires génératix », le 14,9,60. Ce gouvernement illégal est préoccupé d'éliminer de la
scène politique Lumumba, dont la popularité
est demeurée très grande. Lumumba est d'abord
assigné à résidence surveillée; il bénéficie encore de la protection de l'ONU. Le 16.9,60 il
dénonce l'alliance ICasavubu-Ileo-Tshombe et
menace de solliciter l'intervention de l'U.R.S.S.
Acculé au désespoir, Lumumba se déclare
prêt à « s'entendre tout aussi bien avec le
diable » pour sauver le pays de l'anarchie. Il
n'en faut pas plus pour que l'opinion publique
belge l'accuse rétroactivement d'avoir projeté
une « soviétisation » de l'armée sous le contrôle
de son parti (Le Soir, 4.10.60). On notera que
Lumumba récuse l'authenticité d'un document
qu'on lui prête et aux termes duquel il demanderait à l'ONU de quitter le pays. Il manifeste même l'intention de rétablir les relations avec Bruxelles dès que le dernier soldat
belge sera parti (Agence Reuter, 18.9.1960).
Il se déclare hostile à la conférence de la Table
ronde que projettent MM. Kasavubu et Mobutu. Il entend s'appuyer sur le Parlement (Agence France Presse, 30.9.60). Lumumba réussit
à déjouer la surveillance des soldats du colonel
Mobutu et à réjoindre Mweka où il est arrêté
le 1.12.60. Il est incarcéré, coupé du monde
extérieur. M. Hammarskjöld intervient mollement en sa faveur: dans deux lettres en date
des 3 et 5 décembre, il prie M. Kasavubu de
veiller à la stricte application de la légalité
en ce qui concerne l'arrestation et la détention
du Premier Ministre, sans quoi « une grave
atteinte » serait portée au prestige international
du Congo (Agence Belga, 6.12.60). Le 17.1.
61, MM. Kasavubu et Mobutu et le gouvernement des Commissaires généraux livrent Lumumba à son pire ennemi, M. Tshombe. Ils
l'expédient par avion à Léopoldville, en même
temps que deux de ses compagnons qu'attend
un même sort atroce, MM. M'Polo et Okito.
Les récits qui rendent compte de la mort
tragique de ces trois hommes varient. II est
certain que la version propagée le 13 février
seulement par M. Munóngo, ministre de l'Information du Katanga n'est pas conforme à
la vérité. Selon celui-ci, Lumumba et ses compagnons auraient été abattus alors qu'ils tentaient d'échapper à la surveillance de leurs
gardes, dans un village congolais. M. Pierre
Devos, auteur d'un livre intitulé Vie et mort
de Lumumba, estime que le Premier Ministre
aurait été abattu sauvagement et délibérément
peu après son arrivée à Elisabethville, pieds
et poings liés. Précipité de l'avion sur le tarmac, il aurait été embarqué par des gendarmes
katangais dans une « j e e p » . Au cours du voyage, un bourreau noir lui aurait enfoncé une
baïonnette dans les côtes et un officier belge
aurait tiré le coup de grâce.
La Commission d'enquête nommée par l'ONU
estima, selon les termes de l'agence France
Presse (14.11.61) que «faute de confirmation,
les témoignages relatifs: a) au coup de feu tiré
par le capitaine Ruys sur M. Lumumba pour
mettre fin à ses souffrances, b) au fait d'avoir
placé le corps de M. Lumumba dans le réfrigérateur du laboratoire de l'Union minière du

Acad. Roy. Scienc. d'Outre-Mer
Biographie Belge d'Outre-Mer,
T. VI, 1968, col. 678-684
Haut-Katanga, et c) à la confession de Chelmers,
devront être accueillis avec de grandes réserves. Cependant la Commission désire à cet égard
faire remarquer que les trois points ci-dessus ne
devraient en aucun cas être ignorés dans toute
enquête ultérieure. La Commission désire ici
faire état de son opinion que les autorités de
Léopoldville, dirigées alors par le président
ICasavubu et ses collaborateurs, d'une part, et
le gouvernement de la province du Katanga
dirigée par M. Tshombe, d'autre part, ne devraient pas échapper à toute responsabilité en
ce qui concerne la mort de M. Lumumba, de
M. Okito et de M. M'Polo. »
On notera que M. Tshombe tentera de se
disculper de cet assassinat peu avant son entrée
sur la scène politique de Léopoldville. Mais
ses dénégations sont peu convaincantes.
Tandis qu'une très grande émotion secoue
le monde à l'annonce de la mort de Lumumba,
la ij r esse helge, dans son ensemble, ne manifeste qu'une indignation toute relative. L'article nécrologique du Soir (8.2.61) décrit ce
que l'Auteur appelle « sa carrière d'excitateur
et de criminel». La Libre Belgique (14.2.61),
tout en saluant en Lumumba « l e plus talentueux des politiciens congolais », le dépeint
comme « u n homme cruel, incapable de gouverner, même de se gouverner », Dès le 22
juillet 1960, M. Marcel Decorte croyait apercevoir en lui « le futur Staline congolais ». Il
proclamait aussi qu'«une chance se présente:
la sécession du Katanga» (Libre
Belgique,
le 22.7.60).
A la même époque, à la Cité du Vatican,
l'agence Fidès critiquait la pensée «mouvante
et changeante» de Patrice Lumumba, tandis
qu'elle rendait hommage à « l'intégrité morale »
de M. ICasavubu (Agence France Presse, 22.7.
60). Le 4 octobre 1960, Le Soir dévoilait la
« complexion hyperthyroïdienne » de M. Lumumba. Dans la Dernière Heure cependant
(29.10.60), quelques mois avant l'assassinat, A.
H. rendait hommage aux qualités intellectuelles et à la puissance de travail de Lumumba
et affirmait qu'on aurait pu « faire » de Lumumba « le meilleur ami de la Belgique ». Une
lecture sereine des communiqués de presse révèle clairement aujourd'hui que Lumumba ne
fut jamais le prophète xénophobe que l'on s'est
plu à imaginer dans notre pays. Jane Rouch, qui
vécut la tragi-comédie congolaise que Lumumba
s'efforça de dominer, a tracé de lui un excellent
portrait au fil des jours, depuis l'indépendance
jusqu'à l'arrivée au pouvoir de celui qu'elle appelle « le colonel Elza Poppin ». Lumumba
exerça une incontestable fascination sur les
foules congolaises. Sa passion nationaliste intransigeante était sincère et sa pensée politique beaucoup phis ferme qu'on ne l'a dit,
ne cessa d'être tendue vers la réalisation d'un
but primordial: résorber la sécession katangaise et celle du Sud-ICasai, maintenir l'intégrité
du patrimoine dont la gestion lui avait été
léguée. On ne peut douter que ses meurtriers
soient directement responsables du chaos dans
lequel le Congo a sombré depuis sa mort.
28 février 1966.
L. de Heusch.
Rouch, Jane, En cage avec Lumumba, Les Editions du
Temps, Paris, 1961. — Devos, Pierre, Vie et mort de
Lumumba,
Paris 1961. — Merriam, Alan P., Congo
background
of ' conflict,
Northwestern Universïty Press,
1961. — Lumumba, Patrice, Le Congo, terre
d'avenir,
est-il menacé? Office de Publicité, Bruxelles, 1961. —
Chômé, Jutes, M, Lumumba et le communisme,
Bruxelles,
1961. — de Heusch, Luc, Plaidoyer
à Ja mémoire
de
Patrice Lumumba, in Synthèse, n. 189, février 1962.

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