Fiche du document numéro 29348

Num
29348
Date
2013
Amj
Taille
520568
Titre
La France et le Congo ex-belge (1961-1965). Intérêts et influences en mutation
Nom cité
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Nom cité
Lieu cité
Cote
Revue belge de philologie et d'histoire, tome 91, fasc. 4, 2013. Histoire médiévale, moderne et contemporaine Middeleeuwse, moderne en hedendaagse geschiedenis. pp. 1057-1110;
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Revue belge de philologie et
d'histoire

La France et le Congo ex-belge (1961-1965). Intérêts et
influences en mutation
Vincent Genin

Abstract
France and the Former Belgian Congo (1961-1965) : Interests and Influences in Mutation
The history of the decolonization is inseparable of that of Western interests in recently decolonized states. The specific
case of the Franco-Belgian relations offers a rich and unexplored research domain. While Belgium, as a consequence of
the Congolese crisis, was treated as a pariah in the UN during the summer of 1960, it could however count on the support
of France, itself confronted with the Algerian affair. On the basis of new archives, it is worth while studying the evolution of
French policy in the ex-Belgian Congo from 1961 till 1965. France considered its overseas influence as a key element in
its foreign policy ; did it invest as much energy in the former Belgian Congo as in its own former empire ? Which were the
forms and the means (both official and informal) of this influence, and who were its protagonists ? To what extent did
France adapt to the postcolonial context ? Did this problem affect the Franco-Belgian relations ?

Citer ce document / Cite this document :
Genin Vincent. La France et le Congo ex-belge (1961-1965). Intérêts et influences en mutation. In: Revue belge de
philologie et d'histoire, tome 91, fasc. 4, 2013. Histoire médiévale, moderne et contemporaine Middeleeuwse, moderne
en hedendaagse geschiedenis. pp. 1057-1110;
doi : https://doi.org/10.3406/rbph.2013.8477
https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2013_num_91_4_8477
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La France et le Congo ex-belge (1961-1965).
Intérêts et influences en mutation (1)
En hommage aux professeurs
Francis Balace et Michel Dumoulin

Vincent GENIN

Université de Liège
L’histoire du Congo suscite toujours, en Belgique, un attrait notable chez
les historiens, a fortiori depuis la commémoration du cinquantenaire de son
indépendance. Dans ce contexte, un champ d’étude, riche et peu exploré,
s’avère être celui des contentieux occidentaux en Afrique Centrale (2). Déjà

(1) Abréviations utilisées : Archives Générales du Royaume, Bruxelles (AGR), Archives
du Ministère des Affaires étrangères de Belgique (AMAEB), Archives du Ministère des
Affaires étrangères de France, La Courneuve (AMAEF-LC), Archives Nationales, Paris (AN),
Association Internationale du Congo (AIC), Bibliothèque Publique de Hesbaye, Waremme
(BPH), Central Intelligence Agency (CIA), Centre des Archives diplomatiques de Nantes
(CADN), Centre d’Étude d’Histoire de l’Europe Contemporaine, Louvain-la-Neuve (CEHEC),
Centre d’Études pour la Réforme de l’État (CERE), Communauté Française (CF), Conseil
National de Libération (CNL), Délégation Permanente du Katanga auprès des communautés
européennes (DELPERKAT), Direction de la Surveillance du Territoire (DST), documentation
personnelle (doc. pers.), Documents diplomatiques français (DDF), Fondation Paul-Henri
Spaak (FPHS), fonds Frédéric Vandewalle (FFV), fonds Harold d’Aspremont-Lynden (FHAL),
fonds Jacques Foccart (FJF), fonds Jacques Kosciusko-Morizet (FJKM), fonds MarcelHenri Jaspar (FMHJ), fonds Pierre Wigny (FPW), fonds Publique (FPU), Front de Libération
Nationale (FLN), Guerres Mondiales et Conflits Contemporains (GMCC), Mouvement
Populaire de Libération de l’Angola (MPLA), Musée Royal de l’Afrique Centrale, Tervuren
(MRAC), Office culturel et économique katangais (OCEKAT), Opération des Nations Unies au
Congo (ONUC), Organisation Africaine et Malgache de Coopération Économique (OAMCE),
Organisation Armée Secrète (OAS), Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM),
Organisation de Coopération et de développement économique (OCDE), Organisation de
l’Union Africaine (OUA), Organisation des Nations Unies (ONU), Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord (OTAN), Parti Social-chrétien (PSC/CVP), Parti Socialiste Belge (PSB/BSP),
Radiotélévision française (RTF), Relations Internationales (RI), Revue Belge de Philologie
et d’Histoire (RBPH), Revue Belge d’Histoire Contemporaine (RBHC), Revue d’Histoire
Diplomatique (RHD), Service de Documentation et de Contre-espionnage (SDECE), Union
Africaine et Malgache (UAM), Union Africaine et Malgache de Coopération Économique
(UAMCE), Union Minière du Haut-Katanga (UMHK), United Press International (UPI).
(2) Cette thématique a été l’objet de nombreux travaux : Tshimanga WA TSHIBANGU,
« Léopold II face à la France au sujet de la création des droits d’entrée dans le bassin
conventionnel du Congo : 1890-1892 », dans Études d’Histoire Africaine, t. 5, 1967, p. 169203 ; Jacques WILLEQUET, « Anglo-German Rivalry in Belgian and Portuguese Africa ? »,
dans Prosser GIFFORD & William R. LOUIS, eds., Britain and Germany in Africa. Imperial
Rivalry and Colonial Rule, Londres, New-Haven, 1967, p. 245-273 ; William B. NORTON,
« Belgian-French Relations during World War II As Seen by Governor General Ryckmans »,
dans Le Congo belge durant la Seconde Guerre Mondiale. Recueil d’études, Bruxelles,
ARSOM, 1983, p. 285-311 ; Jeroen PITTOORS, De Franse invloed in Congo 1955-1965,
Revue Belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 91, 2013, p. 1057–1110

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en 1968, W.G.L. Randles, dans la troisième partie de son ouvrage intitulé
L’ancien royaume du Congo. Des origines à la fin du XIXe siècle (3), parlait,
mutatis mutandis, de l’influence européenne et de ses mutations du XVIe
au XIXe siècles (commerce, christianisation etc.). La volonté de certaines
puissances occidentales d’instaurer un ordre territorial pérenne et stable en
Afrique n’est certes pas nouvelle (4).
Il apparaît que l’étude des tentatives d’influence française dans cette zone
géographique (plus précisément l’ex-Congo belge) revêt un certain intérêt,
d’autant plus durant la période allant du printemps 1961 à l’automne 1965.
Notons que la question de l’influence française (qui, bien entendu, ne peut
être isolée d’autres phénomènes), pour la période postérieure au second
semestre de 1960, est encore un terrain en friche. La tranche chronologique
envisagée offre un caractère d’unité. Au printemps 1961, le climax de la crise
congolaise, enclenchée à l’été 1960, durant lequel Bruxelles a compté sur
l’appui de Paris, est résorbé, à la faveur d’une période de calme relatif. La
mort de Patrice Lumumba, l’implication de mercenaires français en faveur
de la sécession du Katanga, et la formation d’un nouveau gouvernement à
Bruxelles, opposé à la sécession, en avril 1961, contribuent à l’émergence
d’une phase nouvelle. Analyser, à partir de cette inflexion initiale, l’influence
que la France, par divers canaux, a tenté de développer au Congo, jusqu’en
novembre 1965, période correspondant à l’avènement de Mobutu, symbole
d’une nouvelle phase, est, en substance, l’objet de cette contribution.
Quels sont les grands axes de cette recherche ? Ils sont au nombre de trois :
une définition des phases successives de la relation bilatérale Paris-Bruxelles
sur la question (à l’heure où d’aucuns estimaient le niveau multilatéral comme
seul valable) et l’impact de la politique d’influence française sur celles-ci, et
sur l’échelon multilatéral (ONU et OTAN) ; les velléités françaises en Afrique
Centrale et la conjugaison/opposition de celles-ci aux desseins territoriaux
de certaines entités africaines ; enfin, de manière plus secondaire : un aperçu
de l’évolution des pouvoirs respectifs du Quai d’Orsay et de l’Élysée, dans
cette politique d’influence.
La question majeure qui sous-tend ces trois axes est de comprendre dans
quelle mesure la France a tenté de maintenir/développer son influence en
Afrique Centrale, et en particulier au Congo ex-belge.
mémoire de master en histoire, UGent, 2008-2009 ; Jeannick VANGANSBEKE, « Comrades
in arms ? Het diplomatieke steekspel tussen België en het Britse Empire in Afrika tijdens de
Grote Oorlog », dans RBHC, 2008, 1-2, p. 131-158 ; Anne-Claire DE GAYFFIER-BONNEVILLE,
« La rivalité anglo-égyptienne au Soudan : les enjeux de la décolonisation », dans RI, 2008,
1, p. 71-89 ; Vincent GENIN, L’ambassade de Belgique à Paris à l’époque de MarcelHenri Jaspar (1959-1966). Activités, réseaux et opinions, mémoire de master en histoire,
Université de Liège, 2011-2012, vol. 1, p. 158-254.
(3) Paris, Mouton, 1968, p. 127 et sv.
(4) Citons pour l’exemple, les tentatives de l’Allemagne, accusant un lourd retard
sur la France ou le Royaume-Uni quant aux possessions coloniales, vers 1911-1912, de
mettre en place une Mittelafrika, reliant ses protectorats d’Afrique occidentale à ceux de la
façade orientale. Selon certains commentateurs, cette bande de territoire serait obtenue de
la Belgique en échange de la garantie par Berlin de ses possessions coloniales, dont Paris
et Londres espèrent un prochain démantèlement, suivi d’une « coupe réglée » du Congo
(Jacques WILLEQUET, Le Congo belge et la Weltpolitik (1894-1914), Paris-Bruxelles, PUFPUB, 1962, p. 327 et sv.).

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Disons un mot des sources. Un tel sujet nécessite un dépouillement
varié et le plus exhaustif possible de certains fonds d’archives. En marge de
celles du Ministère des Affaires étrangères de Belgique (correspondance de
l’ambassade belge à Paris), les archives diplomatiques françaises du Quai
d’Orsay (La Courneuve) (Série Afrique-Levant, 1960-1965, sous-série Congo
ex-belge) s’avèrent nécessaires à cette étude. En particulier les dossiers n°
34 (relations entre Bruxelles et Brazzaville), n° 45 (représentations françaises
à Léopoldville) et la cote CB 7-4 (relations belgo-congolaises). Notons que
le Centre des Archives diplomatiques de Nantes (CADN) détient des archives
consulaires, en particulier celles de la représentation française à Léopoldville
(1937-1962) ; toutefois, le chercheur n’y trouvera que de rares documents.
Il est utile de relever que les Documents diplomatiques français ont édité un
nombre particulièrement important de télégrammes et rapports concernant
les affaires congolaises ; c’est pourquoi nous y aurons régulièrement recours.
En outre, plusieurs fonds privés ont particulièrement attiré notre intérêt.
Les papiers de l’ancien député et ministre libéral (1932-1944), MarcelHenri Jaspar (1901-1982), ambassadeur de Belgique à Paris (1959-1966)
sont d’une richesse exceptionnelle ; ils contiennent, non seulement, la
vaste correspondance privée du diplomate, mais aussi une grande partie
des rapports diplomatiques rédigés durant sa carrière. Ces derniers peuvent
parfois pallier les carences des collections du Ministère. Citons les archives
de Paul-Henri Spaak (1899-1972), ministre des Affaires étrangères (19611966), du colonel Frédéric Vandewalle (1912-1994) et, surtout, les Mémoires
de Pierre Wigny (5), qui livrent au chercheur une mine d’or documentaire, qui,
aujourd’hui, est une source indispensable à l’historien de la crise congolaise.
Les rapports figurant dans les collections du Ministère des Affaires
étrangères et les télégrammes déposés dans les fonds Wigny et Jaspar sont fort
opportunément complétés par les documents du fonds Harold d’AspremontLynden (6). Peu volumineux, ce dernier (encore non-inventorié) est
remarquable par la richesse et la densité des archives qu’il renferme. Il s’agit
en grande partie de télégrammes témoignant du grand degré d’information
dont jouissait le ministre des Affaires africaines, en 1960-1961. En outre,
le chercheur y trouvera l’instructive correspondance personnelle entretenue
par d’Aspremont-Lynden, y compris durant la période suivant la chute du
cabinet Eyskens, en avril 1961. Ses réflexions deviennent alors plus libres,
détachées de toute responsabilité ministérielle. Toutefois, ce fonds, d’une
grande valeur, démontre également qu’il est fort difficile (sinon impossible)

(5) Pierre Wigny (1905-1986) obtient son doctorat en sciences juridiques après un
passage aux universités de Liège, Strasbourg, Paris et Harvard. Il sera en 1937 la cheville
ouvrière du Centre d’Études pour la Réforme de l’État (CERE). Le CERE rejette grosso modo
toute forme de corporatisme. Ministre des Colonies (1947-1950), des Affaires étrangères
(1958-1961) et de la Justice (puis la Culture Française) (1965 à 1968). Il sera professeur
de droit constitutionnel à l’UCL-FUNDP (1963-1975) (Pierre HARMEL, « Notice sur Pierre
Wigny », dans Annuaire de l’Académie Royale de Belgique, Bruxelles, Académie Royale de
Belgique, 1988, p. 136-158).
(6) Harold d’Aspremont-Lynden (1914-1967), sénateur PSC de 1961 à 1967, il est
ministre des Affaires africaines de septembre 1960 à avril 1961 (Paul VAN MOLLE, Le
Parlement belge 1894-1969, Ledeberg-Gand, Erasmus, 1969, p. 59).

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de regrouper la totalité des télégrammes expédiés/reçus par le ministère des
Affaires étrangères, relatifs à l’Afrique.
Notons que les archives du professeur liégeois René Clémens (cfr.
infra), élément important de l’activité belge en faveur de la sécession du
Katanga, avaient été déposées à la Bibliothèque Publique de Hesbaye (BPH),
à Waremme. Malheureusement, il y a environ quinze ans, celles-ci (des
minutes de réunion notamment) ont été détruites suite à d’importants dégâts
des eaux. Par ailleurs, la plupart de ses archives privées ont été détruites.
Nous sommes toutefois parvenus à en récupérer certaines.
À Paris, les Archives Nationales renferment le Fonds Jacques Foccart
(1913-1997) (Secrétaire général à la Communauté Française) et contiennent
quelques dossiers très instructifs, relatifs aux relations franco-belges en
Afrique Centrale. A priori, ce fonds ne revêt aucun intérêt concernant le
Congo ex-belge, étant donné qu’il ne faisait pas partie intégrante de la CF.
Son exploitation s’est pourtant avérée fructueuse. Enfin, nous nous sommes
permis d’exploiter quelques éléments de documentation personnelle.
La France et le Congo. Aperçu général (1885-1961)
Il serait erroné de prétendre que la France ne prend pratiquement
conscience du potentiel congolais qu’à l’été 1960, lors de la crise qui suivit la
déclaration d’indépendance du Congo ex-belge, le 30 juin. En effet, la carte de
l’Afrique, telle qu’elle avait été découpée par l’Acte de Berlin de 1885, avait
été en partie l’œuvre de la France, plus particulièrement en ce qui concerne
ce que l’on avait appelé jusqu’alors l’Association Internationale du Congo,
financée par la cassette personnelle de Léopold II. Toutefois, cette AIC ne
représente rien sur l’échiquier international si elle n’est reconnue par aucune
puissance. En avril 1884, Léopold II tente de convaincre Paris, en la personne
de Jules Ferry, président du Conseil. Comment gagner la reconnaissance de
Paris ? Le Roi promet à la France qu’elle jouira d’un droit de préemption
sur les territoires de l’AIC (qui devient l’État indépendant du Congo en 1885,
et colonie belge en 1908). Cela implique que si, d’aventure, le Souverain
échoue dans son entreprise africaine, la France pourrait en hériter à titre de
cession gratuite. Jules Ferry, en donnant son contreseing à cet échange de
bons procédés, espère surtout s’imposer devant les Britanniques, également
désireux d’accroître leur influence sur le Stanley Pool. Alors, l’Empire
britannique envisage plusieurs grandes lignes dans sa politique extérieure,
notamment la volonté d’opérer la jonction ferroviaire Le Cap-Le Caire
(tandis que la France tend à joindre Dakar à Djibouti), sous les auspices de
Cecil Rhodes. Or, en 1885, si les Britanniques ont pris pieds aux sources
du Nil (Soudan) et s’installent dans le Matabeleland, au nord du Transvaal,
aucune jonction n’est encore possible : celle-ci ne peut prendre forme qu’en
passant par le Congo. Pendant longtemps (encore en 1960), cette concurrence
franco-britannique sur le Congo belge représentera un élément majeur aux
yeux des autorités belges, quitte à lui accorder une trop grande importance (7).

(7) Sur ces questions : Jean STENGERS, « Léopold II et la rivalité franco-anglaise en
Afrique, 1882-1884 », dans RBPH, t. 47, 1969, fasc. 2, p. 425-479 ; Vincent GENIN, La

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Les relations franco-belges seront épisodiquement perturbées par des
références au droit de préemption (reconduit en 1885, 1890, 1895 et 1908).
En 1911, lors de la seconde crise marocaine, l’Allemagne avait même tenté
de récupérer ce droit, dont on ne reparle plus jusqu’en 1960. Entre-temps,
la France se détourne sensiblement du Congo, à l’exception de la période
1940-1944, lors de laquelle le général De Larminat a, entre autres, contribué
à rallier le Moyen-Congo à la France Libre (8). L’après-guerre voit, bien
entendu, poindre de nouveaux protagonistes, jusqu’alors en retrait, et de
nouvelles peurs, à la faveur de la décolonisation progressive de l’Afrique.
Qu’il s’agisse de la France, à la fin des années 1950, du Royaume-Uni,
contraint à créer une éphémère et complexe Fédération de RhodésieNyassaland (1953-1963) ou de la Belgique. L’influence éventuelle de l’URSS
sur ces territoires nouvellement indépendants représente la principale de ces
craintes. Quid de la Guinée, dirigée par Sékou Touré, qui, après avoir refusé
d’intégrer la CF du général De Gaulle, en 1958, a ostensiblement ouvert ses
portes à l’influence communiste ? Le Congo revient sur le devant de la scène
dans ce contexte, à l’heure où l’un des leaders congolais, Patrice Lumumba,
est particulièrement soupçonné d’accointances communistes (9). La France,
quant à elle, n’est pas insensible à l’éventualité d’un basculement du Congo
dans le giron « Rouge ».
Pour parer à cette perspective, en mai 1959, le ministre belge des Affaires
étrangères, Pierre Wigny, avait obtenu de la Direction Afrique-Levant du
Quai d’Orsay qu’une collaboration discrète et de bon aloi soit établie entre
le Service de Documentation et de Contre-espionnage (SDECE) et la Sûreté
belge au Congo. Dès lors, le SDECE installe une antenne à Léopoldville,
« afin d’éviter la pénétration de ces pays par ceux du rideau de fer et par
ceux du monde arabe ». Dès juillet 1959, plusieurs activistes congolais sont
arrêtés suite à cette collaboration (10).
Face aux occidentaux, le bloc de l’Est s’organise, diffuse son influence,
en particulier la Stàtni bezpecnost (Sécurité d’État) tchécoslovaque, dont
l’école de formation à Prague délègue de nombreux agents et techniciens à
Conakry. L’Égypte de Nasser, de son côté, au départ du bureau cairote Rabitat
El Afriquia, contribue à malmener les puissances coloniales. L’installation
de son ambassade à Léopoldville en sera une ostensible manifestation. Par
ailleurs, un acteur tout à fait atypique de la décolonisation du Congo ex-belge
est, bien entendu, la Chine populaire qui, un temps après les autres, en 1961,
soutiendra la « subversion » lumumbiste à partir du Burundi (vers 1964, le
pivot de leur influence se situera à Brazzaville). Les Américains estiment

réclamation du droit de préemption de la France sur le Congo belge au printemps 1960 »,
dans RHD, 2013,1 ; ID., « Le droit de préemption de la France sur le Congo Belge en 1960 :
entre barbouzes, diplomates et juristes », dans Actes du IXe Congrès de l’Association des
Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique, Liège 2012, à paraître en
2014.
(8) W.B. NORTON, « Belgian-French Relations », op. cit.
(9) Anne-Sophie GIJS, « Une ascension politique teintée de rouge. Autorités, Sûreté de
l’État et grandes sociétés face au ‘danger Lumumba’ avant l’indépendance du Congo (19561960) », dans RBHC, 2012, 1, p. 11-58.
(10) Wigny à Jaspar, 11 juin 1959 (n° 2062) ; Bousquet à Wigny, 27 juillet 1959
(AMAEB, n° 13257).

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qu’il est de leur ressort de réagir à ces diverses tentatives, notamment par
l’action de l’agent de la CIA résidant à Léopoldville, Larry Devlin. Le
State Department ne limite pas ses investigations au Congo, mais s’étend
également sur les anciennes colonies françaises, souvent aux dépens de Paris
(ainsi en sera-t-il lors du départ des Français du Gabon, en 1964). Les ÉtatsUnis prennent contact avec les opposants modérés au régime colonial et
estiment que les anciennes puissances colonisatrices devront perdre de leur
influence à l’issue des premières années d’indépendance. Dans ce contexte,
entre menace communiste, ingérence américaine et nouveaux gouvernements
inexpérimentés, la France tente de maintenir sa légitimité dans son ancien
empire, en recourant aux bons offices du SDECE (11).
En février-mars 1960, dans le contexte de la Table ronde belgo-congolaise,
préalable à l’indépendance, prévue le 30 juin, plusieurs juristes et diplomates
du Quai d’Orsay confient aux agents belges leurs inquiétudes que l’anarchie
ne gagne le Congo, et ne déborde sur les territoires de l’ex-AEF. De leurs côtés,
si les Belges nourrissent les mêmes sentiments, ils n’ignorent pas que, depuis
plusieurs mois, le secrétaire général de la Communauté, Jacques Foccart,
homme de confiance du général De Gaulle, chargé des affaires africaines,
a envoyé plusieurs agents en Afrique centrale afin de sonder la menace
communiste. De plus, ceux-ci, souvent liés au SDECE, comptent dans leurs
rangs de proches conseillers de l’abbé Fulbert Youlou (1917-1972), président
du Congo-Brazzaville, dont les autorités belges ont tendance à se méfier. En
effet, Youlou est au cœur d’un réseau particulièrement complexe, impliquant
des agents du Quai d’Orsay, du SDECE, du SGC, ainsi que des notables
parisiens. Il ne dissimule pas ses « rêves africains », tendant à reconstituer
un Empire Bas-Congo, anticommuniste, englobant sa République, l’enclave
portugaise de Cabinda et une zone indéterminée du Congo ex-belge, à partir
de Léopoldville (12). Ce nouvel État serait placé sous la tutelle de la France.
La Belgique va donc devoir évoluer entre ces deux tensions, celle d’une
influence communiste, et celle d’une influence française, consciente que la
donne a changé depuis quelques années, et que son concurrent direct dans la
lutte anticommuniste n’est autre que les États-Unis (13).
Notons que les relations franco-belges ont traversé une courte période de
tension, suite à la réclamation du droit de préemption de la France, datant
de 1884, le 26 février 1960. Estimant que la prochaine indépendance était
à interpréter comme un échec de l’entreprise congolaise, certains juristes
français ont prôné le rappel de ce droit, que, rapidement, le gouvernement
français définira comme une simple « mesure conservatoire ». Cet incident se
clôt rapidement, mais est symptomatique de la nervosité croissante des mi-

(11) Jean-Pierre BAT, Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959
à nos jours, Paris, Gallimard, 2012, p. 151-158.
(12) V. GENIN, L’ambassade, op. cit., vol. 1, p. 159-170.
(13) La référence récente sur la question est John KENT, America, the UN and
Decolonisation. Cold War Conflict in the Congo, Londres, Routledge, 2010. Citons aussi,
pour la période antérieure : ID., « United States Reactions to Empire, Colonialism, and Cold
War in Black Africa, 1949-1957 », dans Journal of Imperial and Commonwealth History,
2005, 2, p. 195-220. En outre : Madeleine G. KALB, The Congo Cables. The Cold War in
Africa. From Eisenhower to Kennedy, New-York, MacMillan, 1982.

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lieux diplomatiques français. Il sera totalement occulté par la suite. Déclarée
le 30 juin, l’indépendance du Congo est suivie d’une grande période d’instabilité. La Belgique est mise au ban de l’ONU, en juillet-août, accusée d’attiser
ce qui devient, jour après jour, « la crise congolaise de l’été 60 ». Toutefois,
Bruxelles peut compter sur un allié, qui, de plus, est membre du Conseil
de Sécurité : la France. Dès le 14 juillet 1960, le général De Gaulle assure
l’ambassadeur belge à Paris, Marcel-Henri Jaspar, de son soutien. Pour le
président, opposé à toute ingérence de l’ONU au Congo, les troupes belges
ne doivent pas quitter précipitamment l’ancienne colonie. De plus, il assure
que la France n’émet pas de veto à la sécession de la province du Katanga
du 11 juillet, sous les auspices de Moïse Tshombé (1919-1969), soutenu par
l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK) et décrit comme le garant des
intérêts occidentaux.
L’ONU et les États-Unis ont publiquement condamné la sécession (14).
L’ambassadeur américain à Bruxelles, William Burden, lors de l’été 1960,
enrichira ses informations en participant à de régulières réunions au cours
desquelles il retrouve ses homologues français, Raymond Bousquet (à
l’insu de son ministre, Maurice Couve de Murville !), et britannique, John
Nichols (15). Il faudra attendre novembre 1960 pour que Belges et Américains
reprennent les discussions autour de la question congolaise (16). Si l’administration Eisenhower était liée aux actionnaires de nombreuses compagnies
du Katanga, celle de Kennedy, par ailleurs favorable à l’indépendance de
l’Algérie (17), affiche une plus grande réserve à l’égard de la sécession : il
s’agit d’un renouveau sensible de la politique américaine au Congo. Celleci tient particulièrement à ce que son consentement (tacite consent), sur de
nombreuses questions, soit sollicité par les Belges. Par exemple, William
Burden suggère, à la fin 1960, que les Américains soient consultés avant que
la Belgique n’octroie une aide militaire supplémentaire au Congo (18). Cette
volonté d’être consulté se manifestera à plusieurs reprises dans les années
suivantes, lors desquelles Belges et Américains, sur les questions congolaises, alterneront périodes d’entente et de profonde divergence. Il est vrai
que les Américains avaient apprécié modérément, en juin 1960, après avoir
donné leur accord d’aide au futur État indépendant, de constater la situation
financière précaire dans laquelle il se trouvait. En effet, les Belges, dans un
état d’esprit confinant à l’isolationnisme, n’avaient à aucun moment consulté
l’OTAN sur les questions congolaises, avant l’indépendance (19). Par ailleurs,
depuis juillet 1960, l’ONUC, à la demande du pouvoir congolais, tente de

(14) Scheyven à Wigny, 13 juillet 1960 ; Cools à Wigny, 13 juillet 1960 (CEHEC, FPW,
M2, Farde IX).
(15) CEHEC, FPW, M4, 19 juillet 1960.
(16) Jonathan E. HELMREICH, United States Relations with Belgium and the Congo

1940-1960, Cranbury, AUP, 1998, p. 231.
(17) Sur cette vaste question : Irwin M. WALL, Les États-Unis et la guerre d’Algérie,
Paris, Soleb, 2006.
(18) Ibid., p. 232.
(19) Guy VANTHEMSCHE, La Belgique et le Congo. L’impact de la colonie sur la
métropole, Bruxelles, Le Cri, 2010, p. 264.

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maintenir l’ordre et tient à ce que des tiers (la Belgique et l’URSS, notamment) n’abusent pas de leur droit d’ingérence (20).
Quant à la compréhension française à l’égard de l’attitude belge, elle n’est
bien entendu pas sans arrière-pensée : Paris est consciente que la question
algérienne peut être, d’un jour à l’autre, l’objet d’une session de l’ONU.
Dans ce cas, recueillir le soutien de la Belgique ne serait pas somptuaire.
Un soutien mutuel de bon aloi dans les déconvenues coloniales est donc
de mise. En juillet 1960, à la demande du roi Baudouin, particulièrement
attentif à l’avis du général De Gaulle, le ministre des Affaires étrangères,
Pierre Wigny, consulte Couve de Murville (1907-1999) et Geoffroy Chodron
de Courcel (1912-1992), secrétaire général de la Présidence, afin de sonder
leur opinion. Le rôle de la France gagne en densité. En effet, depuis la
rupture de iure des relations belgo-congolaises (de juillet 1960 à décembre
1961), bien que Bruxelles ait délégué Mistebel (Mission technique belge) à
Léopoldville, sous la direction de Jean Van den Bosch (juillet-août) puis de
Robert Rothschild (1911-1978) (août-octobre), avant de laisser la place au
Bureau-Conseil de René Clémens (cfr. infra), la France, par son ambassade à
Léopoldville, devient un relai indispensable pour les Belges.
Toutefois, au fil des semaines, ce rapprochement franco-belge, sur fond
de décolonisation, opère un reflux. Il s’étiole. Dès le mois de septembre,
l’effusion se dissipe. En octobre 1960, certains politiciens belges, comme
André Dequae, ministre PSC/CVP de la Coordination économique (19601961) (21), s’en étonnent (22). D’une part, le départ de Lumumba, démis de son
poste de premier ministre le 5 septembre (ce qui rassure temporairement Paris)
et, surtout, d’autre part, un soutien de plus en plus appuyé du Gouvernement
belge à l’égard de la sécession du Katanga, contribuent à attiédir l’aménité
du Quai d’Orsay et de l’Élysée à l’égard des Belges. Car, comme l’affirmait
Jean Sauvagnargues (1919-2002), directeur de l’Afrique-Levant (1960-1962),
en septembre, Paris tient à observer une « extrême prudence à l’égard de
la sécession katangaise » (23), tandis qu’à Bruxelles, Pierre Wigny et Harold
d’Aspremont-Lynden (24), ne dissimulent pas leur sympathie pour la sécession.
Cette atmosphère sera de mise jusqu’à la fin avril 1961, lorsque le cabinet
Eyskens cède la place à l’équipe Lefèvre-Spaak, nettement opposée à toute
sécession.
La réserve de la France à l’égard de la sécession, du moins dans certaines
franges du pouvoir, à la fin 1960, n’est toutefois pas la règle. Pour des
raisons géostratégiques (contigüité avec l’ex-AEF, richesses minières etc.)
et idéologiques (anticommunisme), progressivement, certains, en France,
réalisent qu’ils ont une « carte » à jouer au Katanga. La politique officieuse de

(20) Pierre-Michel DURAND, « Leçons congolaises. L’ONUC (1960-1964) ou ‘la plus
grande des opérations’: un contre-modèle ? », dans RI, 2006, 3, p. 60-62.
(21) Relevons que Dequae avait été ministre des Colonies de 1950 à 1954 (P. VAN
MOLLE, Le Parlement belge, op. cit., p. 105)
(22) Dequae à Jaspar, 14 octobre 1960 (n° 3379) (AGR, FMHJ, n° 2565).
(23) Note de Sauvagnargues, 16 septembre 1960 (DDF, t. II, 1960, p. 353-360).
(24) Un bilan des points de convergence et de divergence entre les deux villes est
dressé dans Jacques BRASSINNE, Lundis du Centre Paul Hymans, 20 février 1961, p. 8-10
(MRAC, FFV, Katanga II) ; CEHEC, FPW, M11, 2 mars 1961.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1065

la France en faveur de la sécession, suivant un axe Paris-Brazzaville, émanera
en grande partie des conseillers de l’abbé Fulbert Youlou, proches du SDECE,
à l’instar de Jean Mauricheau-Beaupré (25) et d’Antoine Hazoume, conseiller
pour les affaires katangaises. Un réseau de fournitures d’armes à destination de
Moïse Tshombé s’organise, sous les auspices de Mauricheau-Beaupré, Alfred
Delarue, vichyste reconverti (26), et d’Ivon Vrinots, agent belge de Tshombé à
Brazzaville (27). Dans ce contexte, il apparaît indispensable, afin de tenir tête à
l’Armée Nationale Congolaise (ANC) et aux troupes de l’ONU, de procéder au
recrutement de ce que l’on appelle initialement des « volontaires étrangers »,
des mercenaires, ou, plus familièrement, des « Affreux ». Parmi ces agents
recruteurs, retenons un nom : Dominique Diur.
L’intervention française au Katanga (décembre 1960-avril 1961)
Dominique Diur et son éphémère bureau de recrutement parisien (décembre
1960)
Un premier lien notable tissé entre certaines autorités françaises et la
sécession katangaise se situe en décembre 1960. Il serait toutefois excessif
d’en conclure d’un soutien officiel de Paris à l’égard de la sécession. De qui/
quoi s’agit-il ? Ce contact est représenté par un certain Dominique Diur, se
déclarant « représentant du Katanga en France ». Né en 1929, il s’occupait
des achats d’armes en France (avec la collaboration d’un ancien officier
français). Il possédait un bureau avenue Victor-Hugo et un appartement rue
François Ier, à Paris, où Tshombé logeait parfois (28). Ce personnage avait
déjà attiré l’attention d’Harold d’Aspremont-Lynden et de René Clémens (29).

(25) Né en 1920, Mauricheau refuse de « brader l’Empire ». Michel Debré lui offre
un poste de chargé de mission au SGC de 1960 à 1963. Après 1963 et la chute de Youlou,
Mauricheau devient le conseiller de Félix Houphouët-Boigny et continuera à défendre le
« pré-carré » en 1964-1965. Actif lors de la crise tchadienne de 1966, Mauricheau s’illustre
encore de 1967 à 1970 dans le soutien de la France au Colonel Ojukwu, par qui le Biafra
s’autoproclame indépendant, contre les intérêts soviétiques ou britanniques. Il s’appelle alors
« Mathurin ». Il décède en 1996 (Jean-Pierre BAT & Pascal GENESTE, « Jean MauricheauBeaupré : de Fontaine à Mathurin, JMB au service du Général », in RI, 2010/2, p. 87-100).
(26) Delarue décède en 1964 dans des circonstances floues. Sur l’anticommunisme
de Youlou : Rémy BAZENGUISSA-GANGA, Les voies du politique au Congo : essai de
sociologie historique, Paris, Karthala, 1997, p. 66 ; Paul MARCUS, La République trahie :
l’affaire des fuites (1954), Paris, Atlantica, 1990, p. 116 ; Stanislas NGODI, Enjeu électoral
et recomposition politique au Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 66.
(27) J.-P. BAT, Le syndrome Foccart, op. cit., p. 274-277. Sur les conseillers de Youlou :
ID., « Une cour en République ? L’exemple de la stratégie de l’abbé Fulbert Youlou au
Congo-Brazzaville, 1956-1963 », dans Hypothèses 2008. Travaux de l’École doctorale
d’Histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 75-86.
(28) Personnalités congolaises, Dominique Diur (AN, FJF, FPU, n° 265).
(29) Né en 1911, René Clémens, après un doctorat en Droit et un autre en Philosophie
et Lettres, se perfectionne à l’Institut des Hautes Études Internationales de Paris (1935).
Clémens devient professeur ordinaire à l’Université de Liège en 1943. Convaincu du
bienfondé d’une sécession du Katanga, il est l’auteur de sa constitution. Affecté par une
paralysie en 1969, il décède en 1981 (Livre Bleu. Recueil biographique, Bruxelles, Larcier,

1066

9*(1,1

Avant son départ pour la France (en décembre 1960), ce Lunda (ethnie de
Tshombé) était le chef de cabinet à la Justice. Selon certains, avant Diur, un
français nommé Delègue (orthographié « Delaigle » par Clémens), recruté par
Jacques Massangu, délégué katangais à Bruxelles auprès du Marché Commun
(DELPERKAT) (30) avait été pressenti pour diriger l’antenne katangaise à Paris
(ou à Bruxelles). Il intègrera le cabinet de Tshombé en décembre 1960 (31).
En fait, cette piste est erronée. Diur a bel et bien précédé Delègue à Paris
et l’a engagé en qualité de conseiller politique. Son conseiller militaire était
un proche du colonel Roger Trinquier (32). Delègue était un juriste dont les
compétences avaient été sollicitées en Asie du Sud-est, avant d’être appelé
à remplacer Jean Bartelous, en tant que conseiller de Tshombé, fin 1960 (33).
Suite à l’enquête engagée sur Delègue, et sa rencontre avec d’Aspremont,
les renseignements belges n’en retiennent que des « éloges » (34). Un agent
du consulat belge à Élisabethville, Jan Vanden Bloock, avait reçu Delègue
le 12 décembre 1960. Né en 1913, après des études de droit, plusieurs passages par des cabinets ministériels et une charge de conseiller auprès de
Tshombé, Delègue observe une certaine réserve et reproche à Massangu
d’être « embrouillé et fantaisiste ». En revanche, le discours qu’il tient au
sujet du Katanga est net : il plaide pour son indépendance et ne croit pas à
un quelconque rapprochement entre Léopoldville et Élisabethville. Delègue,
« couvert par le Quai d’Orsay » (qui, lui non plus, ne croit pas au rappro1950, p. 82 ; Robert DEMOULIN, éd., Liber Memorialis de l’Université de Liège de 1936 à
1966, t. 1 : Notices historiques, Liège, Rectorat, 1967, p. 228, 239 ; Marcel DUBUISSON,
Mémoires, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977, p. 105-107 ; Nathalie GROGNA, L’action de
l’Université de Liège au Katanga, mémoire de licence en histoire, ULg, 1986-1987, p. 156177. Un portrait de Clémens figure dans Michel DE COSTER, Séjours insolites au Congo,
Paris, L’Harmattan, 2009, p. 25 et sv ; Archives de l’ULg, dossier Clemens.
(30) La DELPERKAT est remplacée en 1962 par l’OCEKAT (Office culturel et économique
katangais), suite au rétablissement des relations diplomatiques entre Bruxelles et
Léopoldville (Jules GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, Bruxelles-Léopoldville, CRISPINEP, 1963, p. 203). Quant à Jacques Massangu, échevin d’Élisabethville, il se présente
comme un lumumbiste à la veille de l’indépendance. Dès les premiers jours de la sécession,
Tshombé a besoin de lui pour installer son pouvoir. Il est rappelé au lendemain de la mort
de Lumumba, afin d’organiser une délégation katangaise auprès du Marché Commun, à
Paris. Nous pensons que c’est à ce moment que les contacts avec Diur se précisent (on
consultera avec maintes précautions Kabuya LUMUNA SANDO, Nord-Katanga 1960-1964.
De la sécession à la guerre civile, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 96-99).
(31) Massangu sera finalement ministre-résident katangais à Bruxelles (MRAC, FFV,
Katanga II, Délégation katangaise à Bruxelles).
(32) Né en 1908, cet ancien de l’Indochine et de l’Algérie rejoint le Katanga en janvier
1961 avec le blanc-seing de Pierre Dabezies, chargé des affaires katangaises au Cabinet
Messmer. Le Quai d’Orsay avait émis de fortes réserves sur ce recrutement. Il fera partie
des « Affreux ». Après un enchaînement de différends avec ceux-ci, Trinquier reprend le
chemin de la France (Agir ici-Survie, Dossiers noirs de la politique africaine de la France
n° 9 : France-Zaïre-Congo. Échec aux mercenaires, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 22-23 ;
Jean-Bruno MUKANYA & Samir PAUL, « Cavalier seul : la France contre les interventions
multilatérales durant la crise congolaise, 1960-1963 », dans RI, 2010, 2, p. 110 ; Roger
FALIGOT & Pascal KROP, La Piscine. Les services secrets français 1944-1984, Paris, Seuil,
1985, p. 256-257 ; Pascal KROP, Les secrets de l’espionnage français de 1870 à nos jours,
Paris, J.-Cl. Lattès, 1993, p. 462-464).
(33) J. GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, op. cit., p. 203-204.
(34) Note organisation du Cabinet du Président, 5 janvier 1961, n° 83 (doc. pers.).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1067

chement entre les deux villes, assimilé à du « roman » (35)), veut collaborer
avec les Belges. Il est un proche du collaborateur de d’Aspremont-Lynden,
Fernand Vervier (36), et de dirigeants de l’UMHK. Aux yeux de Vanden Bloock,
Delègue pourrait être utile à la Belgique. Vanden Bloock, convaincu du bienfondé de la sécession, note, en conclusion, au sujet de Tshombé : « Il est
conscient du fait que les liens de la Belgique avec le Congo sont trop étroits
et notre présence ici trop indispensable pour qu’il fasse cavalier seul » (37).
Plus qu’une ambassade ou une représentation katangaise à Paris,
Dominique Diur souhaite installer un bureau de recrutement de mercenaires,
désireux de défendre la sécession. Il manque de financements et semblet-il, de soutiens. Il avait, entre autres, sollicité l’ambassade de Belgique à
Paris afin qu’elle contribue à son entreprise, à hauteur de 20.000 francs
belges (38). En vain. Son expérience fut de courte durée, suite à sa « mise en
sourdine » par le Quai d’Orsay, ne désirant pas souscrire, même par défaut,
à l’initiative de Diur, qui va à contre-courant de la position de la France
« officielle » : la non-reconnaissance de Moïse Tshombé. Persévérant, Diur
réitèrera ses prétentions, en septembre 1961, dans une déclaration faite à
l’Agence France Presse (AFP) et par le biais d’un pli destiné aux ambassades
occidentales (Belgique, États-Unis, Grande-Bretagne) à Paris (39). Son bureau
de recrutement n’a eu, à notre connaissance, aucun impact significatif. Lors
de l’exil européen de Tshombé, Diur sera un agent de liaison chargé de la
création du comité « France-Katanga », avec participation d’industriels et
de parlementaires français, et dont le secrétaire sera Jean Baylot, ex-préfet
de police situé très à droite, franc-maçon très influent, mêlé à l’affaire
des fuites (40) et à celle des écoutes de la DST, à l’hôtel Lapérouse, où
descendait le général De Gaulle (1958) (41). « France-Katanga », créé en
1961, faisait partie d’un courant d’opinion pro-katangais dans lequel on
peut mentionner l’initiative de l’UAT (Union Aéromaritime de Transport),
censée compromettre le monopole de la Sabena au Congo, en établissant
une liaison Brazzaville-Élisabethville (42). Précisons d’emblée qu’il y eu
effloraison d’autres soutiens en faveur du Katanga, comme aux États-Unis,

(35) Jaspar à Wigny, 17 janvier 1961 (tél. n° 163) (AGR, FHAL, n° 25).
(36) Il sera à plusieurs reprises question de lui dans l’enquête sur la mort de
Lumumba : Luc DE VOS, Emmanuel GÉRARD & Philippe RAXHON, éds, Les secrets de
l’affaire Lumumba, Bruxelles, Racine, 2005.
(37) Vanden Bloock à Rothschild, 17 décembre 1960 (AGR, FHAL, n° 26).
(38) Jaspar à Wigny, 22 décembre 1960 (tél. n° 2271) (AGR, FHAL, n° 31).
(39) Note de la Direction de l’Afrique-Levant, 6 octobre 1961 (DDF, t. II, 1961, p.
482-484).
(40) Affaire soupçonnant, en juillet 1954, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur,
d’avoir transmis des notes de réunions du Comité de Défense Nationale au communiste
Jacques Duclos. L’accusation venait entre autres du commissaire Jean Dides. L’enquête
de la DST remontera jusqu’au journaliste de Libération André Baranès, informateur de
Dides concernant les affaires communistes et homme-clé de la Préfecture de Police. Un
procès disculpant Mitterrand a lieu en 1956 (R. FALIGOT & P. KROP, La Piscine, op. cit.,
p. 133-134).
(41) René BARGETON, Dictionnaire biographique des préfets (septembre 1870-mai
1982), Paris, Archives Nationales, 1994, p. 74.
(42) Sur la Sabena au Congo : Guy VANTHEMSCHE, La Sabena 1923-2001. Des
origines au crash, Bruxelles, de Boeck, 2002, p. 162-169.

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9*(1,1

où, à contre-courant de l’administration Kennedy, se développera, à la fin
1961, un Katanga-lobby. Désirant mettre un terme à l’intervention de l’ONUC
au Katanga, pour des raisons majoritairement financières, ce Comité ralliera,
par exemple, Herbert Hoover ou Richard Nixon. Certains regroupements
isolationnistes et anticommunistes, comme les Young American for Freedom,
s’opposent également à l’intervention de l’ONU au Katanga (43).
La représentation de Diur, affaiblie, a adopté progressivement la forme
d’une mission culturelle, effective jusqu’à l’arrivée du représentant à Paris
de Cyrille Adoula (1921-1978), Premier ministre congolais d’août 1961 à
juin 1964 (44). En mai, le recteur de l’Université d’Élisabethville, Joachim
Frenkiel, professeur à la faculté des Sciences appliquées de l’Université de
Liège, s’informe encore auprès de Clémens de ce que représente Diur, et de ses
rapports avec Massangu (45). Revenu au Congo en 1963, suite à la subdivision
du Katanga en quatre provinces, Diur a reçu l’administration d’une d’entre
elles (celle des Lualaba). En 1964-1965, les services de Jacques Foccart
parlent de lui en ces mots : « jouit de l’entière confiance de M. Tshombé ; sa
nomination à l’ambassade de Paris est des plus vraisemblables. Conséquence
du rapprochement que M. Tshombé recherche avec notre pays, elle s’inscrirait
dans le cadre de l’épuration de la diplomatie congolaise » (46). Par la suite,
nous perdons la trace de Diur.
La mission de Roger Trinquier (janvier-mars 1961)
Un autre avatar, une autre manifestation d’un lien entre la France et
un éventuel soutien à la sécession du Katanga, est incarné par le colonel
Roger Trinquier (47). À la différence de Dominique Diur, dont on sait qu’il

(43) J. GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, op. cit., p. 201.
(44) Le gouvernement d’union nationale de ce dernier, fruit du Conclave de Lovanium,
réunissant la Chambre et le Sénat, avait attisé bien des réserves chez les Belges et au
Quai d’Orsay, n’y voyant qu’une réminiscence du gouvernement Lumumba. Pourtant, la
première impression avait été bonne : « Adoula était considéré comme une personnalité
forte, mais de tendance modérée et pro-occidentale. À présent, quand il parle même en
privé, on croit entendre Lumumba à ses plus mauvais jours. Il se déclare anti-impérialiste
et anticolonialiste. Peut-on encore le considérer comme favorable à l’Occident ? Le Quai
craint devoir répondre par la négative ». Il est vrai que la moitié des ministres d’Adoula
l’étaient aussi de Lumumba, et sept avaient participé au gouvernement de la République
Libre du Congo qu’Antoine Gizenga avait installé à Stanleyville, de décembre 1960 à août
1961 (Jaspar à Wigny, 28 septembre 1961 (n° 1679) (AMAEB, n° 13786) ; Isidore NDAYWEL
È NZIEM, Nouvelle histoire du Congo. Des origines à la République Démocratique,
Bruxelles, Le Cri, 2009, p. 487-490).
(45) Réponse aux questions posées par l’intermédiaire du Recteur Frenkiel, 29 mai
1961, n° II/2, p. 10 (doc. pers.).
(46) Personnalités congolaises, Dominique Diur (AN, FJF, FPU, n° 265).
(47) Sur les Français au Katanga, retenons en premier lieu Romain PASTEGER, Le
visage des affreux. Les mercenaires du Katanga (1960-1964), Bruxelles, Labor, 2005, p. 97123, tiré d’un mémoire très fouillé : Le visage des « affreux » : presse, cuivre, mercenaires
(1960-1964), 2 t., mémoire de licence en histoire, ULg, 2002-2003 ; Igor DE MEYER,
« Les Affreux ». Huurlingen in Katanga (1960-1963), mémoire de maîtrise en histoire,
KUL, 2007-2008 ; citons l’indispensable (en 13 fascicules) de Frédéric VANDEWALLE, Mille

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1069

a bénéficié, côté français, du soutien du préfet Baylot, et d’un assentiment
indirect du Quai d’Orsay, la mission Trinquier, bien connue des historiens,
revêt une importance bien plus notable. À la tentative balbutiante de recruter
des mercenaires succède une méthode plus forte. Trinquier avait déjà été
approché par des émissaires katangais en août 1960, afin de l’engager, sans
suite (48). Le 12 janvier 1961, dans une lettre adressée au roi Baudouin,
Moïse Tshombé, afin de contrer la pénétration des forces lumumbistes dans
le Nord-Katanga (un futur satellite de Moscou selon lui) en appelle à l’aide
militaire de la Belgique, face à une éventuelle intervention de l’ONU qui, de
toute façon, serait inefficace. Tshombé précise qu’à défaut d’une aide venue
de Belgique, « nous nous verrions contraints – pour sauver le Katanga – de
demander à la France de nous admettre parmi les États de la Communauté
française d’Afrique pour pouvoir bénéficier rapidement du soutien qui est pour
nous une question de vie ou de mort » (49). Tshombé pose donc un ultimatum
aux Belges. Le diplomate belge à Élisabethville, Vanden Bloock, informe les
Affaires étrangères de cette missive, en mentionnant qu’il serait préférable
qu’elle ne parvienne pas au Souverain. Il soupçonne par ailleurs le conseiller
militaire de Tshombé, le major Guy Weber (50), d’en avoir été l’instigateur.
Aux yeux de Vanden Bloock, « l’incorporation éventuelle du Katanga dans
la Communauté française, […] est ridicule et discourtoise » (51). La lettre
parvient toutefois au Palais le 17 janvier. Dans un projet de réponse, rédigé
par d’Aspremont, et dont le Roi ignore la teneur, le ministre estime qu’une
aide plus intensive de la Belgique au Katanga risquerait de compromettre
ce fragile soutien ; de plus, Bruxelles s’en trouverait isolée sur la scène
internationale. Il ajoute qu’il doute qu’« une aide unilatérale […] apportée
par un seul pays, quel qu’il soit, puisse être concevable : seule une action

et quatre jours. Contes du Zaïre et du Shaba, fascicule n° 4 (1er janvier-31 mars 1961),
Bruxelles, chez l’auteur, 1975, p. 36-116. On consultera, non sans une certaine déception :
Roger TRINQUIER, Le temps perdu, Paris, Albin Michel, 1978 et Roger TRINQUIER, Jacques
DUCHEMIN & Jacques LE BAILLY, Notre guerre au Katanga, Paris, La Pensée moderne,
1963. Aussi : Mugur VALAHU, Ci-gît le Katanga 1961-1963, Paris, Nouvelles éditions
latines, 1964, p. 195-215.
(48) Retenons qu’à la même époque, l’activiste anticommuniste liégeois Pierre Joly, qui
sera proche des milieux OAS, propose à Tshombé de réorganiser la gendarmerie katangaise.
Toutefois, devant la perplexité des conseillers de Tshombé, voyant en Joly un sbire de La
Main Rouge, et l’effet que fit sur le Président l’annonce de la coquette somme exigée par
le liégeois pour ses bons offices (plus de cent millions de francs belges), ce dernier est
expulsé du Katanga le 12 août 1960 (Francis BALACE, « Pierre Joly, le passeur d’illusions.
Faux activiste ou vrai barbouze ? », dans Olivier DARD, éd., Doctrinaires, vulgarisateurs et
passeurs des droites radicales au XXe siècle (Europe-Amérique), Berne, Peter Lang, 2012,
p. 72).
(49) Cité dans L. DE VOS, E. GÉRARD, J. GÉRARD-LIBOIS & Ph. RAXHON, éds, Les
secrets de l’affaire Lumumba, op. cit., p. 560-561.
(50) Né en 1921, Guy Weber s’engage dans la Force Publique en 1949. Conseiller
militaire de Tshombé (1960-1962). Affecté à l’Etat-major des forces terrestres de l’OTAN à
Fontainebleau, Weber sera l’Aide de camp du roi Léopold III en 1976. Il décède en 2004
(voir entre autres Rik DECAN, Qui est qui en Belgique francophone 1981-1985. Encyclopédie
biographique, Bruxelles, BRD, 1981, p. 932).
(51) Cité dans L. DE VOS, E. GÉRARD, J. GÉRARD-LIBOIS & Ph. RAXHON, éds, Les
secrets de l’affaire Lumumba, op. cit., p. 563.

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9*(1,1

concertée peut être envisagée » (52). Comment ne pas entendre qu’il fait
allusion à un possible soutien français à la sécession ?
C’est finalement l’ancien greffier Georges Thyssens (53), conseiller très
influent de Tshombé, qui finira par convaincre Trinquier de commander
la gendarmerie katangaise, moyennant des émoluments très coquets. La
diplomatie belge est particulièrement attentive à ses activités, en particulier
les consuls belges à Élisabethville (Henri Crener (54)) et à Brazzaville (Marcel
Dupret (55)). Le premier affirme, le 6 février 1961 :
« Bien que la nomination d’un français à ce poste peut présenter certains
avantages sur le plan international, le gouvernement belge devrait a
mon avis être surtout attentif aux risques que comporterait l’action au
Katanga d’un officier étranger qui ne coopérerait pas étroitement avec
nos représentants ici sur place et qui ne tiendrait aucun compte des
répercussions politique de son action militaire. » (56)

Crener propose par ailleurs que les ministères des Affaires étrangères
et africaines se concertent afin de lui envoyer des directives communes et
cohérentes (57). Manifestement, Crener ne condamne pas in globo l’initiative
du colonel Trinquier. Sa nationalité n’est pas considérée comme une tare ;
au contraire. Mais il faut « canaliser » Trinquier. Le même jour, Dupret,
que certains activistes accusent d’ingérence dans les affaires du CongoBrazzaville (58), dresse un premier bilan de la situation ; il est nettement
défavorable aux « aventures » de Trinquier, dont la coopération avec les
Belges ne seraient que la façade d’une réelle influence française au Katanga.
Toutefois, il ne souhaite pas que le colonel quitte la région avant d’expliquer

(52) Ibid.
(53) Greffier honoraire à Élisabethville, et conseiller de Tshombé. Il avait proposé
ses services d’« ambassadeur » à Tshombé en janvier 1961. Il était en contact étroit avec
Trinquier (Frédéric VANDEWALLE, Une ténébreuse affaire, ou Roger Trinquier au Katanga,
Bruxelles, Tam Tam Ommegang, 1979, p. 6 ; R. PASTEGER, Le visage des affreux, op. cit.,
p. 105).
(54) Né en 1907, licencié en sciences commerciales et consulaires, Henri Crener est
commissionné durant la guerre à Madrid et à Lisbonne, où il dirigera la mission économique
belge au Portugal en 1945. Il sera détaché du 13 juin 1960 au 18 octobre 1961 consul
général à Élisabethville (Annuaire Diplomatique et Consulaire du Royaume de Belgique,
Bruxelles-Tournai, MAE, 1963, p. 335).
(55) Marcel Dupret (1919-1971), avocat de formation, est en poste à Nairobi (19521957) puis chargé d’affaires à Brazzaville (août 1960-février 1962). Ambassadeur à Rabat,
il sera la victime d’un attentat dirigé contre Hassan II (Annuaire, op. cit., p. 364 ; Raoul
DELCORDE, « L’évolution du métier de diplomate », dans Annuaire Français des Relations
Internationales, vol. 10, 2009, 9 janvier 2010, p. 9).
(56) Crener à Wigny, 6 février 1961 (tél. n° 114) (AGR, FHAL, n° 18).
(57) Ibid.
(58) Ces accusations pesant sur Dupret sont le fait d’un correspondant de l’UPI, M.
Lambinet, informateur du SDECE et de Youlou. Il affirme que Dupret contribue à brouiller les
relations Brazzaville-Élisabethville et souhaite le mettre sur écoute. Jugeant ces assertions
comme « grotesques », les conseillers de Youlou, Delarue et Hazoume, en informent
Dupret ; Lambinet est expulsé peu après. Cette anecdote démontre que la défiance n’est pas
totale entre les Belges et les services de Youlou : la coexistence pacifique, pour l’heure, est
de mise (Dupret à Wigny, 17 mars 1961 (tél. n° 358) (AGR, FHAL, n° 27)).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1071

les motifs de sa présence. Il affirme que les officiers et techniciens belges
craignent d’être entraînés dans une « aventure » par Trinquier, et par
conséquent, que la réorganisation de l’armée katangaise par ce dernier ne
provoque le départ de nombreux officiers de la gendarmerie. Un autre danger
est que « réorganisation par Trinquier ne modifie le système administratif
belge qui les gouverne ce qui amènerait fatalement masse de départs »,
dont le résultat serait la chute de Tshombé. L’expérience-Trinquier pourrait
donc être une maladresse fatale. Toutefois, d’Aspremont-Lynden ne cède
pas à son premier mouvement. Il garde son calme. Il estime que Trinquier
ne doit pas pénétrer à Élisabethville avant que les motifs de sa venue ne
soient éclaircis. Si ceux-ci ne sont pas jugés souhaitables par les Belges, ou
si Trinquier n’arrivait pas, le ministre garde, en réserve, un autre atout : le
colonel Frédéric Vandewalle (59).
La présence de Trinquier au Katanga attise la curiosité et la perplexité
des diplomates (60). Cette situation ne rassure pas davantage le professeur
liégeois René Clémens, auteur de la constitution katangaise (61), collaborateur
d’Harold d’Aspremont-Lynden. Il fut un maillon essentiel de la Mission
Technique belge au Congo (Mistebel), dirigée par Robert Rothschild, et dont
il prendra le relai, en octobre, en dirigeant le Bureau-Conseil déjà mentionné.
Clémens, désigné expert à l’UNESCO pour les questions d’Amérique Latine
et du Proche-Orient dans les années 1950, est particulièrement rompu aux
questions africaines depuis 1956, par le prisme de l’Institut de sociologie
de l’ULg (qu’il dirige) et Fulreac (Fondation de l’ULg pour la recherche
scientifique au Congo et au Ruanda-Urundi) (62). Reconnu sur le plan
international, rigoureux, il faisait partie des « mandarins » de l’ULg. Clémens
s’était lié d’amitié avec Moïse Tshombé, lors d’une mission scientifique à
Élisabethville, visant au développement communautaire de certains quartiers
de la Katuba. Conseiller politique de Tshombé au lendemain de la sécession,
le colonel O’Brien l’enjoint à quitter le territoire, ce à quoi le professeur
s’oppose en échappant aux recherches. L’activité de Clémens au Congo était
méconnue à Liège (à l’exception, bien sûr, du recteur Marcel Dubuisson).
Même la CIA ne l’avait pas fiché à son vrai nom mais l’appelait, dans ses
notes, éminence grise (en français dans le texte) (63).
Dès septembre 1960, d’Aspremont-Lynden souhaite octroyer plus
d’autonomie à Clémens, mais, toutefois, « ses qualités entraînent sans doute
parfois de sa part des réactions d’autant plus violentes que j’ai l’impression
qu’il est très surmené » (64). Le ministre a l’intention de le nommer adjoint de
Rothschild. Il semble que Clémens, caractère très affirmé, n’ait pas entretenu
des relations idylliques avec Rothschild, ainsi qu’avec son collègue liégeois,
Ferdinand Campus, président du conseil d’administration de l’université

(59) Dupret à Wigny, 6 février 1961 (tél. n° 190) (AGR, FHAL, n° 18).
(60) L’arrivée de Trinquier avait déjà agité la presse communiste belge (MRAC, FFV,
Katanga I, Bulletin de renseignements n° 105, 3 février 1961).
(61) Lire Jean STENGERS, « La reconnaissance de jure de l’indépendance du Katanga »,
dans Cahiers d’Histoire du Temps Présent, n° 11, 2003, p. 177-191.
(62) J. GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, op. cit., p. 129.
(63) M. DE COSTER, Séjours insolites au Congo, op. cit., p. 27-28.
(64) D’Aspremont à Rothschild, 14 septembre 1960 (AGR, FHAL, n° 106).

1072

9*(1,1

d’Élisabethville, dont il sollicite le retour en Belgique et qui, aux yeux de
d’Aspremont fait partie du « panier de crabes » (65).
Clémens estime, le 7 février 1961, que Trinquier est un émissaire du
Ministère des Armées ou de la Sûreté militaire française. Il voit juste (estce du « flair » ou le fruit d’une bonne information ?). Il pense en outre que
le colonel est soutenu par « certains éléments belges gouvernementaux ou
financiers (66) ». Clémens est très bien informé. Il est vrai que le ministre
français des Armées, Pierre Messmer, ancien subordonné de Trinquier à la
Légion, avait accordé son blanc-seing à ce dernier, malgré la frilosité de
Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères. Messmer
convainc le Quai d’Orsay par une petite manœuvre : le colonel Trinquier
sera mis à la retraite. La France officielle ne sera pas ipso facto éclaboussée
par les activités de ce soldat, réputé pour son efficacité, faisant souvent
bon marché de la moralité pour parvenir à ses fins (67). Clémens précise
à d’Aspremont, après avoir vu Tshombé, que Bruxelles se détache de la
désignation de Trinquier. Mais il glisse derechef que les officiers belges ne se
soumettraient que péniblement à son autorité. Tshombé affirme ne pas encore
être en mesure de savoir si Trinquier, qui est déjà passé par Élisabethville,
sera nommé. Enfin, Clémens semble prudent à l’égard de la stabilité de
l’officier français, dont une éviction trop ferme pourrait le retourner contre
les intérêts katangais : « le Cl Tr.[inquier], qui a sûrement de l’expérience
en matière de lutte contre la subversion, ne doit pas être prisé par les pays
afro-asiatiques en raison des circonstances où est née son expérience (68) ».
La tension monte. On craint une mainmise française au Katanga. Une
influence directe, en bonne et due forme :
« Au moment où la France, de diverses manières, avec ou sans certaines
complicités belges, commence à mettre la main sur le Katanga [...]
l’interdiction du pilotage des éventuels avions à réaction par des pilotes
belges est incompréhensible et incomprise [...] Le monde entier profite
de toutes nos indécisions politiques. La Belgique finira par perdre le
Katanga, sans gagner le Congo. (69) »

Il est vrai que depuis le 6 février, la crainte d’aboutir à un Katanga
sous l’emprise de Thyssens et de Trinquier est latente chez les Belges. La
situation s’envenime lorsque le colonel Frédéric Vandewalle, détaché au
Katanga et inquiet de cette mainmise française, apprend que, au contraire de
ses déclarations, Trinquier a bel et bien obtenu l’appui de son gouvernement.
Finalement, après bien des tribulations, au début du mois de mars, Trinquier

(65) D’Aspremont à Clémens, 1 octobre 1960 (Idem).
(66) Note de Clémens, 7 février 1961, n° 131 (doc. pers.).
(67) R. PASTEGER, Le visage des affreux, op. cit., p. 101.
(68) Note de Clémens, 7 février 1961, n° 128 (doc. pers.). Notons que certains
membres de l’entourage de Tshombé le mettent en garde du colonel Trinquier (comme de
Georges Thyssens et de Jacques Sidos (cfr. infra), qui auraient acheté une maison sur les
deniers de Tshombé), comme Dominique Diur, chargé de l’antenne katangaise à Paris (Diur
à Tshombé, 10 mars 1961 ; AGR, FHAL, n° 31).
(69) Note de Clémens, 8 février 1961, n° 133 (doc. pers.).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1073

est contraint de quitter le Katanga. Désavoué par le Quai d’Orsay (qui,
durant quelques semaines, l’a considéré comme un atout de l’influence
française), la Sûreté ou par des soutiens provenant de Rhodésie (dont les
colons soutiennent la sécession, comme certains milieux portugais, voyant
en Tshombé un allié contre les forces communistes en Angola), le colonel,
dont l’expédition apparaît de plus en plus comme un préjudice à l’image de
la France, doit se résoudre à partir (70). Le 10 mars, un entretien orageux entre
le major Weber, conseiller militaire de Tshombé, et Trinquier, met un terme
à cet épisode (71). Clémens observe que le départ de Trinquier ne règle pas
tout. Il a laissé derrière lui des volontaires. Ces experts techniques, « recrutés
parmi la pègre », et trois officiers français, ont été reçus par le major Weber.
Ils resteront au Katanga et seront priés d’abjurer leur engagement à l’égard
de Trinquier (72).
Le 28 mars, un dernier rapport de Clémens relève :
« Vous avez appris les développements qui ont conduit, après maintes
difficiles péripéties, admirablement maîtrisées par le Major Weber – au
départ de Trinquier (pour Athènes) le samedi 11 mars. C’est à un véritable
gang que l’on avait à faire. Je ne considère pas les choses comme définitivement terminées à cet égard, mais le coup qui leur a été porté est décisif.
Les 5 officiers français restés après son départ sont du même tonneau. Ils
ont voulu s’engager...mais en échappant aux conditions normales. Trois
d’entre eux ont signé finalement un contrat, mais se faisaient attribuer par
leur déclaration un grade supplémentaire, qui leur est refusé à présent.
Internationalisés, l’accord est général s’il s’agit d’engager des non-belges
mais la ‘bande Trinquier’ constitue un véritable gang » (73).

En parallèle, la donne évolue sensiblement à Bruxelles. D’une part, PaulHenri Spaak succède à Pierre Wigny le 25 avril. Il a immédiatement souligné
que le nouveau cabinet s’opposerait sans ambigüité à la sécession. D’autre
part, la représentation belge à Paris, durant les mois de mars et d’avril 1961,
a négocié de manière très serrée afin d’obtenir la prorogation de la garantie
des intérêts belges au Congo par la France, tels qu’ils sont assurés depuis
l’été 1960. À Léopoldville, Paul Charpentier, le représentant de la France,
tient pourtant à mettre fin à cette garantie (qui, toutefois, était remboursée
par l’État belge...) (74). Finalement, les diplomates belges gagnent du temps,
et Marcel-Henri Jaspar obtient de Charpentier que la garantie soit maintenue
jusqu’au rétablissement des relations entre Bruxelles et Léopoldville (qui
aura lieu le 27 décembre 1961). Cet accord a été obtenu moyennant une

(70) J. GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, op. cit., p. 196-197.
(71) R. PASTEGER, Le visage des affreux, op. cit., p. 117-121.
(72) Note de Clémens 28 mars 1961 (doc. pers.).
(73) Note de Clémens 27 mars 1961 (Idem).
(74) Précisons que cet avis n’est pas unanimement partagé. En juillet 1961, Raymond
Bousquet, ambassadeur de France à Bruxelles, signifiera à Jean Van den Bosch, secrétaire
général des Affaires étrangères, que la France tient à conserver la garantie des intérêts
belges. Il est vrai que Paris avait un intérêt matériel à prolonger cet état de fait (Van den
Bosch au Département, 24 juillet 1961 (AMAEB, n° 13786)).

1074

9*(1,1

contrepartie : la promesse de soutenir la cession à la France de plusieurs
bases au Congo, dont, pour l’heure, l’ONU est dépositaire (75). Il est également
vraisemblable, mais cela relève davantage de l’hypothèse, que les Belges
aient consenti à une autre concession. Décidés à ce que l’ONU n’intervienne
plus militairement et ne se substitue plus aux autorités congolaises, la
France souhaite la démission du chef de l’ONUC, l’Indien Rajeshwar Dayal,
soupçonné de sympathie communiste (76). Toutefois, s’étant refusé à apporter
son écot à l’ONUC, Paris ne dispose d’aucun poids décisionnel au comité
consultatif de l’ONU. C’est pourquoi, il semble qu’elle ait demandé aux
agents belges en France de convaincre Walter Loridan, représentant belge
à l’ONU, de la nécessité d’évincer Dayal (77). Cette démarche n’aboutit pas,
et avait, il est vrai, peu de chances de réussir, au regard de l’appartenance
« spaakienne » de Loridan et, selon Pierre Wigny, auquel il rend peu de
comptes, de sa tendance à se laisser « trop impressionner, pénétrer, affecter
et vicier par l’atmosphère onusienne » (78). L’affaire fut sans suite et Dayal
quitta ses fonctions en mai 1961, suite à son rappel en Inde (79).
Mais, ces questions mises à part, l’avenir du Congo, de ses techniciens
occidentaux, du rôle de l’ONU et de l’infiltration communiste, ne peuvent
toutefois être éclaircis sans que ne soit éradiquée la situation pendante du
Katanga (80). Spaak tient surtout à ce qu’un meilleur contact soit établi avec
les Américains, et, plus largement, les partenaires de l’OTAN. Les derniers
mois ont surtout été marqués au coin du malentendu et de la désinformation.
Ce lien sera renoué à la faveur de l’invitation que lance le secrétaire d’État
Dean Rusk (1909-1994, à ce poste de 1961 à 1969), à destination de Spaak,
flanqué de ses deux « fidèles », Étienne Davignon et Robert Rothschild.
Il ressort de ces entretiens, qui ont eu lieu à Oslo, que Bruxelles souhaite
d’une part, collaborer avec l’ONU et Léopoldville, et, d’autre part, songer à
une (con)fédération congolaise, seul remède pour résorber la sécession, et,
enfin, à une programmation du départ des conseillers belges du Congo, à la
seule condition qu’une relève soit assurée. Dean Rusk, et son homologue
britannique, Lord Home, abondent dans le sens des Belges. Cet accord,
comme nous le verrons, n’est que temporaire. La pression de Washington,
à l’automne 1961, s’accentuera afin que Spaak soutienne plus ouvertement

(75) Van den Bosch à Wigny, 16 février 1961 (CEHEC, FPW, M11).
(76) François DURPRAIRE, Les États-Unis ont-ils décolonisé l’Afrique noire francophone ?, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 284.
(77) Jaspar à Wigny, téls. n° 788 (27 mars 1961), n° 792 (28 mars 1961), n° 800 (29
mars 1961) (CEHEC, FPW, M11).
(78) CEHEC, FPW, M11, 12 avril 1961.
(79) Armand BÉRARD, Un ambassadeur se souvient, t. 3 : L’ONU Oui ou Non 19591970, Paris, Plon, 1979, p. 204.
(80) La réaction occidentale à la présence de techniciens de l’Est est l’objet d’une note
émanant de l’entourage du colonel Vandewalle : « Certains pays occidentaux, notamment
la France et la Grande-Bretagne, semblent, à des degrés divers, le réaliser et vouloir réagir
là-contre. Mais l’on ne peut guère espérer que les quelques réactions enregistrées à ce jour
suffiront à empêcher que soient balayées d’Afrique centrale toutes traces de la présence
européenne, les manières de faire et de penser que celle-ci y avait lentement introduites, les
croyances religieuses mêmes que plusieurs décades d’évangélisations y avaient suscitées »
(MRAC, FFV, Katanga II, note Congo et Katanga, 22 juin 1961, p. 5).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1075

Léopoldville, tandis qu’échoue la première intervention militaire de l’ONU
contre la sécession (la première, avant celle de décembre 1961 et celle,
décisive, de décembre 1962) (81).
En mars 1961, Belges et Français découvrent la nouvelle administration Kennedy. D’ailleurs la visite-éclair d’Averell Harriman (82) à Paris, les
3 et 4 mars, n’est pas passé inaperçue. Nommé US Ambassador-at-large (83),
Harriman tient à rassurer la France, où certains milieux craignaient l’estampille « intellectuel de gauche » du State Department, à l’instar du représentant américain à l’ONU, Adlaï Stevenson II. Harriman confie que l’inquiétude
belge de voir le Congo échoir aux communistes est infondée, « parce que la
matière à travailler pourrait lui être rapidement hostile (le Russe est blanc),
et surtout parce que le terrain est inexistant (absence de cadres formés) » (84).
Pour lui (encore faut-il sous-peser sa sincérité), l’URSS ne considère l’affaire
congolaise que comme un « hochet diplomatique », et non une fin en soi. Les
Belges l’écoutent, sans être convaincus (85).
En marge, l’opposition américaine à la sécession du Katanga semble,
quant à elle, intangible. Il s’agit également d’une opération de politique
intérieure : se démarquer de l’administration Eisenhower, qui comptait de
nombreux actionnaires de l’UMHK, comme Douglas Dillon, est un enjeu de
poids (86). L’agent chargé de diffuser ce point de vue est George Mennen
Williams (87). Démocrate de la génération du New Deal, comme Harriman, il
est Assistant Secretary of State for Africans Affairs (1961-1966) et gouverneur
sortant du Michigan (1949-1961). Favorable à la déségrégation des mentalités
américaines, alors que 18 millions de citoyens sont noirs, Williams est
un atout dans le jeu ONUsien de Kennedy, persuadé que ce vote-getter de
l’ethnie afro-américaine du Michigan se montrera un interlocuteur habile
avec les chefs d’États africains. Cette perspective de bonne entente entre les

(81) Michel DUMOULIN, Spaak, Bruxelles, Racine, 1999, p. 593.
(82) William Averell Harriman (1891-1986), diplômé de Yale, démocrate, est affecté
de 1937 à 1940 au Department of Commerce’s Business Advisory Council. Intermédiaire
entre Churchill et Roosevelt lors de la Conférence de Téhéran, en 1943, maillon du Plan
Marshall en 1947, Harriman sera le Special assistant d’Harry Truman de 1948 à 1953. First
Ambassador-at-large de Kennedy en 1961, assistant secretary of State For Far Eastern
Affairs, fervent militant d’une intervention militaire contre le Nord-Vietnam, son opinion se
modère à ce sujet pour tourner au scepticisme (C. C. HODGE, « William Averell Harriman »,
dans C.J. NOLAN, ed., Notable U.S. Ambassadors since 1775. A Biographical Dictionary,
Westport-Londres, Greenwood Press, 1997, p. 137-143).
(83) Ambassadeur délégué auprès d’une région du Monde ou d’un organisme international.
(84) Jaspar à Wigny (tél. n° 612), 9 mars 1961 (AMAEB, n° 13786).
(85) Ibid.
(86) Dwight EISENHOWER, The White House Years. Waging Peace 1956-1961, NewYork, Doubleday and co, 1965, p. 573.
(87) Georges Mennen Williams (1911-1988) naît dans un milieu conservateur. Passé au
Parti démocrate au moment du New Deal, il est élu gouverneur du Michigan en 1949. Réélu
six fois, il manie aussi bien l’électorat noir, les diverses ethnies d’Europe orientale que les
syndicats de l’automobile de Détroit. Soutien de Kennedy en 1960, Williams est désigné
aux Affaires africaines de 1961 à 1966. Il sera ensuite ambassadeur aux Philippines (19681969) (Pierre-Michel DURAND, L’Afrique et les relations franco-américaines des années
soixante. Aux origines de l’obsession américaine, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 77-81).

1076

9*(1,1

deux continents ne réjouit guère le Quai d’Orsay, se rassurant en y voyant
une politique « puérile », et une confusion entre les affaires intérieures et
extérieures. Une courte anecdote brosse ce climat de défiance. G.M. Williams
assiste à un dîner offert par le président Joseph Kasavubu (1910-1969), au
début de mars 1961. Lors de son discours, il fait un rapprochement fort peu
diplomatique entre le Congo et les États-Unis, présentés comme deux pays
libérés de la tutelle coloniale. Le représentant français à Léopoldville, Paul
Charpentier, n’est décontenancé qu’un instant. Il ne perd pas la face, se lève
et se risque à une pirouette : il porte un toast à Lafayette... (88).
La création du consulat de France à Élisabethville (avril 1961)
Simultanément, d’autres visites au Congo font parler d’elles. Pierre
Wigny, comme nous l’avons dit, avait défendu à de nombreuses reprises une
reconnaissance de la légitimité de Léopoldville, mais avait peiné à dissimuler
l’attrait presqu’amusé qu’il éprouvait pour la tendance sécessionniste de
d’Aspremont-Lynden. Il a « le goût de l’aventure », à l’instar de ceux que
« nous avons autour de nous, relève Wigny », ces « Lawrence d’Arabie
qui font ce que j’appelle une conspiration à la Tintin » (89). Le 21 avril,
un des derniers télégrammes reçus par Wigny provient du consul belge à
Élisabethville, Henri Crener. Il relate la visite du colonel français François
Bistos au Katanga (90). Cet ancien membre du cabinet de Jacques Soustelle
(1955-1958), intoxicateur du SDECE, a été personnellement chargé par le
premier ministre, Michel Debré, de remettre une missive à Tshombé. On
peut y lire la perspective d’un « appui officieux de la France » au Katanga
et au Sud-Kasaï. Lors d’un dîner offert, le 17 avril 1961, par M. Makonga,
secrétaire d’État au Commerce Extérieur, Bistos a ouvertement porté un
toast à une aide pleinement assumée de la France à la sécession et évoque
une prochaine reconnaissance de Paris (91). Crener tente de prendre du recul.
Après l’expérience Dominique Diur (le recrutement), celle de Trinquier
(l’intervention militaire), les Français privilégient la voie diplomatique, en
vue d’ouvrir un consulat à Élisabethville (92).

(88) Jaspar à Wigny (tél. n° 595), 10 mars 1961 (AMAEB, n° 13786).
(89) CEHEC, FPW, M12, 14 avril 1961.
(90) Connu sous le nom de « Colonel Franck » dans la Résistance, chef du SDECE en
Espagne et en Amérique Latine au lendemain du conflit, conseiller technique de Jacques
Soustelle en 1958, il rejoint le SDECE peu après (Cabinet du général Jacquier). Il décède
en 1981 (R. FALIGOT & P. KROP, La Piscine, op. cit., p. 77, 213-214 ; Déodat DUPUYMONTBRUN, L’honneur de la guerre, Paris, Albin Michel, 2002, p. 100-106).
(91) Bistos se déclarait « attaché au cabinet du président du Conseil pour la coordination
entre les départements sur les problèmes de l’ex-Congo belge » (Benoît VERHAEGEN, Congo
1961, Bruxelles, CRISP, 1961, p. 305 ; J. GÉRARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, op. cit.,
p. 204-205). Il était le représentant du directeur du SDECE, le général Paul Grossin, lors de
réunions où siégeaient Pierre Messmer, Michel Debré, le greffier Thyssens, conseiller de
Tshombé ou l’activiste liégeois Pierre Joly, qui avait proposé à Tshombé, en août 1960, en
vain, de réorganiser la gendarmerie katangaise. Ces réunions étaient organisées par JacquesGaston Santu-Peschard, officier de réserve, ancien de l’Algérie (Fr. BALACE, « Pierre Joly »,
op. cit., p. 72-73).
(92) Crener à Wigny, très urgent, 21 avril 1961 ; 18-19 avril 1961 (CEHEC, FPW, M12).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1077

Ce consulat voit le jour en juin et échoit à Joseph Lambroschini, dont la
sympathie à l’égard des « Affreux » poussera la témérité jusqu’à s’exposer
aux feux de l’ONUC en septembre 1961 (93). Retenons, in fine, que le colonel
Bistos avait tissé des rapports avec Diur, auquel Tshombé accorde sa
confiance ; il l’avait présenté en avril 1961 à Clémens (94). Dans ce milieu, au
fond, assez confiné, des partisans français (ou ex-colonisés de la France) de
la sécession, aucune force vive n’est perdue. Chacune peut, même après un
échec, s’avérer utile. Ce ne fut pas le cas de Trinquier, dont la témérité n’alla
pas jusqu’à se mêler à nouveau à la sécession.
Les desseins territoriaux de Fulbert Youlou
Si, par le biais des phases Diur, Trinquier et Bistos, une intervention
directe des Français en faveur de la sécession du Katanga est décelable,
d’autres canaux sont toutefois susceptibles d’accroître l’influence de
l’Hexagone sur le Congo ex-belge. Des canaux plus indirects, il est vrai.
Le principal catalyseur de ces mouvements parallèles est l’abbé Fulbert
Youlou, président de la République du Congo-Brazzaville (1958-1963). Le
très controversé Youlou, dont les desseins territoriaux (reconstitution d’un
Empire Bas-Congo englobant Brazzaville-Léopoldville-Cabinda) inquiètent
Bruxelles, sème d’autant plus le trouble depuis son prétendu rapprochement,
en janvier 1961, avec les milieux lumumbistes. De plus, il a récemment
affirmé sa volonté d’affaiblir l’influence de ses conseillers français, comme
Alfred Delarue, parangon à tous crins du « pré-carré » francophile et de
la présence française dans l’ex-Congo belge. Déchargé de ses fonctions,
Delarue sera recruté en février 1961 par Albert Kalondji, ancien compagnon
de route (devenu ennemi) de Lumumba, dans le Sud-Kasaï. Delarue est en
contact avec l’ambassade de Belgique à Paris et l’avait d’ailleurs renseignée
sur l’affaire Trinquier (95).
La « gauchisation » de Youlou pose plusieurs questions, en janvier
1961, et avait attiré l’attention de René Clémens. Des bruits avaient couru,
au Ministère belge des Affaires étrangères, à propos d’un soutien belge à
Tshombé, dans le cas où « il envisagerait un rapprochement avec les états de
la Communauté Française et particulièrement Fulbert Youlou » (96). Clémens
n’y accorde aucun crédit, bien que, comme nous l’avons vu, Tshombé, dans
sa lettre du 12 janvier au Roi, avait songé à intégrer la CF, en cas de rupture
avec les autorités belges (cfr. supra). Mais sans mentionner particulièrement
Youlou. Le virage « pro-Lumumba » et « pro-Nassérien » de Youlou rend
impossible, à ses yeux, tout rapprochement avec Tshombé. Il semble que le

(93) Cet ancien du Bureau Central de Renseignement et d’Action, d’extraction Corse,
est Consul Général de France à Élisabethville de juin 1961 à 1962. Il bénéficiait de l’appui
de Michel Debré (P.-M. DURAND, L’Afrique, op. cit., p. 124 ; DDF, t. II, 1968, p. 771 ;
Michel GERMAIN, Histoire de la Milice et des forces du maintien de l’ordre en Haute-Savoie
1940-1945, Les Marches, Fontaine de Siloé, 1997, p. 347).
(94) Note de Clémens, 29 mai 1961 (n° II/2) (doc. pers.).
(95) Jaspar à Wigny, 1er mars 1961 (tél. n° 538) (AGR, FHAL, n° 25).
(96) Note de Clémens, 5 janvier 1961, n° 78 (doc. pers).

1078

9*(1,1

Liégeois tienne ses informations de Delarue, auquel on fait confiance, bien
« qu’il représente encore un certain impérialisme français qui n’a qu’un but :
profiter de la situation pour substituer une influence française aux influences
belges (97) ».
Ces réserves de forme mises à part, Delarue semble favorable aux Belges
et critique l’action de Jacques Duchemin (co-auteur, avec Trinquier et le
Bailly de Notre guerre au Katanga) « et [de] ses disciples », qui exaltent la
fibre anti-belge au Katanga. Cela « affaiblit la position belge sans qu’il soit
certain que la France puisse en profiter » (98). Malgré une défiance mutuelle,
en 1961, les services diplomatiques belges à Brazzaville entretiennent des
relations cordiales avec l’entourage de Youlou. Il n’est pas anodin qu’en
janvier 1961, un de ses conseillers avait confié au consul belge à Brazzaville,
Marcel Dupret, sans circonlocutions, les intentions de Youlou :
« Il ne s’agit plus pour lui de porter seulement quelques coups fourrés à
son frère et rival Kasa-vubu, mais bien de pratiquer une politique délibérée
d’affaiblissement et d’abaissement du Congo. C’est dans cette perspective
que s’explique son revirement en faveur de Lumumba. […] Youlou pratiquerait ainsi une politique de l’équilibre congolais, opposant Lumumba
à Kasa-vubu et Mobutu, et Élisabethville à Léopoldville, et veillant à
ce qu’aucune tendance ne l’emporte définitivement sur l’autre » (99).

Jouant un jeu risqué, l’intérêt de Youlou résiderait dans un épuisement
mutuel de Léopoldville et d’Élisabethville, lassés de l’antagonisme qui les
oppose. Jeu dangereux selon Dupret. En effet, quand bien même Youlou,
défenseur d’un découpage confédéral, mâtiné d’un anticommunisme à géométrie variable, en Afrique Centrale, sortirait vainqueur de cette « partie »,
dans quelle mesure s’affranchira-t-il de l’influence incontournable des milieux lumumbistes ? Ces derniers ne pourraient-il pas, le cas échéant, « rafler
la mise » en Afrique Centrale ?
Or, à contre-courant de sa hiérarchie, l’ambassadeur de Belgique à Paris,
Marcel-Henri Jaspar, n’a jamais dissimulé sa sympathie pour Youlou, en visite
à Paris du 20 au 23 novembre 1961 (100). Sa venue est motivée par son projet de
barrage dans le Kwilu ; il espère qu’une partie de son financement viendra de
France. Raisonnablement, un apaisement entre Élisabethville et Léopoldville
favoriserait ce projet. Mais il ne compte pas délaisser ses rêves de grandeur.

(97) Ibidem ; l’éviction de Delarue attire l’attention du Consul belge à Brazzaville,
Marcel Dupret. D’après ses informations, qui recoupent en grande partie celles de Clémens,
il faut imputer cette disgrâce à certains lumumbistes de l’entourage de Youlou et au
« barbouze » Maurice Bat (Dupret à Wigny, 17 janvier 1961 (tél. n° 62) ; AGR, FHAL,
n° 27). Notons qu’en décembre 1960, la Sûreté Publique belge s’était intéressée à un certain
Bat, proche de Youlou, mais en faisant fausse route, puisqu’enquêtant sur Jean-Claude Bat,
impliqué dans les mouvements communistes de l’ULB et installé au Congo depuis l’été 1960
(d’Aspremont à Caeymaex, 10 décembre 1960 et Caeymaex à d’Aspremont, 27 décembre
1960 ; AGR, FHAL, n° 17).
(98) Ibid.
(99) Dupret à Wigny, 9 janvier 1961 (tél. n° 37) (Idem).
(100) Jaspar à Spaak, 30 novembre 1961 (n° 5269) (AMAEB, n° 13786) ; V. GENIN,
L’ambassade, op. cit., vol. 1, p. 185-186.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1079

Il souhaite éviter la formation d’un État congolais fort (et, de ce fait, cultive
des ambitions contradictoires) (101). En filigrane, la sécession katangaise
permet de maintenir le focus de l’ONU et de la communauté internationale
braqués mille-cinq-cents bornes à l’Est de Brazzaville. Reconstituer un État
Bas-Congo est plus que jamais envisageable, dans ce contexte de temporaire
« tranquillité ». Il estime aussi qu’un Katanga indépendant ne mènerait pas
à une soviétisation de Léopoldville (102). Le Quai d’Orsay adopte une attitude
de refus devant cet optimisme mâtiné d’opportunisme territorial, de la part
d’un homme dont les craintes à l’égard des communistes étaient d’une acuité
remarquable un an auparavant. Plus que jamais, Youlou représente un élément
instable, à l’idéologie mouvante.
Par ailleurs, un rapprochement de Tshombé avec Bruxelles implique un
réchauffement des relations entre la Belgique et Youlou, défenseur de la
sécession. Or, cette perspective ne rassure pas le président congolais, Joseph
Kasavubu. Le 4 novembre 1961, dans le contexte de la création de l’Union
Africaine et Malgache, entité tendant à rassembler les forces vives de la CF, et
de bruits relatif à une adhésion de Léopoldville à celle-ci, il est naturel qu’un
entretien ait lieu entre le représentant français sur place, Paul Charpentier, et
Kasavubu. L’UAM est une organisation politique d’appoint pour l’Organisation
Africaine et Malgache de Coopération Économique (OAMCE), mise sur pied en
mars 1961 (103). On y compte des territoires francophones comme le Tchad, la
République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville, le Dahomey ou le Gabon.
Le Quai d’Orsay avait rapidement saisi l’intérêt à exploiter l’UAM dans sa
politique congolaise (si tant est qu’il y ait une politique africaine en marge
de celle de Foccart). Brandissant l’argument que toute intervention française
exciterait les éléments extrémistes, le Quai souhaite intervenir en douceur,
par le canal de l’UAM, afin de renforcer Kasavubu. L’heure n’est plus, pour
le Quai d’Orsay, à la défense de la sécession. Il s’agit non seulement d’un
pari incertain, mais aussi d’une attitude fort proche de celle adoptée par les
Britanniques qui, bien qu’attachés à leur sphere of influence, n’avaient pas
soutenu la sécession katangaise, afin de ne pas froisser certaines populations
du Commonwealth. « Pour ce qui nous concerne, note le Directeur de
l’Afrique-Levant, Jean Sauvagnargues, l’action auprès du Gouvernement
central serait beaucoup facilitée si elle pouvait s’exercer par l’intermédiaire
du groupe des États africains d’expression française » de l’UAM. Il songe à
intégrer Léopoldville à l’UAM (chose faite en 1965) (104). Quant à l’entretien
Charpentier-Kasavubu du 4 novembre 1961, le Français y a vu le président
congolais se lancer « dans une longue diatribe contre les Belges », accusés
d’avoir voulu démanteler le Congo en faisant pression sur son « cousin »
Youlou, essais de division au Bas-Congo, « intrigues » à Coquilhatville ou
sécession au Katanga (105).

(101) Jaspar à Spaak, 30 novembre 1961 (n° 5269) (AMAEB, n° 13786).
(102) Jaspar à Spaak, 22 décembre 1961 (n° 5662) (Idem).
(103) Yacouba ZERBO, « La problématique de l’unité africaine (1958-1963) », dans
GMCC, 2003/4, p. 121.
(104) Note de Jean Sauvagnargues, 5 octobre 1961 (DDF, t. II, 1961, p. 466-472).
(105) Charpentier à Couve de Murville, 4 novembre 1961 (AMAEF-LC, Afrique-Levant
1960-1965, Léopoldville, n° 45, téls. n° 2640-2644).

1080

9*(1,1

Charpentier termine son rapport en glissant une légère pique –
consciemment ? – à des agents du SGC de Jacques Foccart, « Monsieur
Afrique » de De Gaulle (106) : « Les agents belges agissaient avec beaucoup
de maladresse : c’était les Belges et un certain nombre de Français comme
M. [Christian] Jayle (107) qui poussaient l’abbé Youlou dans sa politique de
destruction du Congo » (108). Or, nous n’avons retrouvé aucune trace tangible
d’un soutien ferme de la Belgique à l’égard de Youlou ; à la rigueur des
signes de sympathie. Pour sa part, depuis plusieurs mois, Charpentier estime
qu’une influence plus douce, d’ordre culturel, de la France, sur le Congo
ex-belge, était une piste à exploiter. Ne cultivant aucune sympathie pour
les Belges, Foccart ou, bien sûr, l’ONU, il adopte un point de vue somme
toute classique, sinon suranné, concernant l’influence française. Il remarque
que devant l’arrivée de diplomates de l’Est et des pays du « groupe de
Casablanca » (109), il faut « maintenir la primauté de la langue française »
en soulignant que « les Britanniques ne sont pas restés impassibles ».
Il propose que s’ouvre une première « fournée » de consulats de la CF au
Congo, afin de prendre soin des biens de la Communauté et de la France.
L’ascendant considérable dont jouit l’Hexagone sur les pays de la CF lui
permet d’envisager le développement d’un maillage consulaire au Congo,
sans pour autant s’attirer les foudres de l’ONU. Les Britanniques ne le fontils pas par le canal de la Fédération de Rhodésie-Nyassaland, en envoyant
des « évolués » de l’Ouganda et du Tanganika occuper prochainement le
consulat d’Albertville ? Comme eux, Charpentier propose que la France
émette aussi des émissions-radio en Swahili. Il pense à l’injection future de
capitaux français (avec l’accord du FMI (110) ou du BIRD (111)) sur les ruines du
« capitalisme aberrant du temps des grandes compagnies belges ». Utiliser
la secte des Kimbanguistes (2 millions de fidèles) pour mieux diffuser la

(106) Sur les réseaux Foccart : J.-P. BAT, Le syndrome Foccart, op. cit.
(107) Christian Jayle (1905-1987) est maître de requêtes au Conseil d’État avant 1940,
et d’être le chef de Cabinet de Pierre Barthélémy, ministre du Maréchal Pétain. Déchu de
ses droits en 1945, il s’envole pour l’AEF. Il fonde l’Union du Moyen-Congo et s’associe
à Youlou (l’UDDIA) à l’occasion des élections de 1956, qu’ils remportent. Président de
l’Assemblée, Jayle assiste au « Coup d’État constitutionnel » de 1958. Secrétaire d’État à
l’Information en 1959, il quitte ses fonctions en avril 1960 (Philippe MOUKOKO, Dictionnaire
général du Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 156-157).
(108) Charpentier à Couve de Murville, 4 novembre 1961 (AMAEF-LC, Afrique-Levant
1960-1965, Léopoldville, n° 45, téls. n° 2640-2644).
(109) Conférence qui s’est tenue en janvier 1961, et réunissant plusieurs pays (Maroc,
Égypte, Ghana, Guinée, Mali), en plus d’un représentant du Gouvernement Provisoire de
la République Algérienne, et d’un observateur congolais de tendance lumumbiste. Ils sont
décrits comme les défenseurs de l’« Afrique Révolutionnaire », celle d’une unité possible
en marge de l’Occident et de l’Est (« neutralisme positif »). On les oppose à l’« Afrique
Réformiste », celle du Congrès de Brazzaville de décembre 1960, réunissant le CongoBrazzaville, le Cameroun, le Centrafrique, le Dahomey, le Sénégal, le Niger, la Côte
d’Ivoire, le Gabon, la Haute-Volta, Madagascar et la Mauritanie. C’est de ce groupe de
Brazzaville qu’émane en février 1961 le projet d’Organisation Africaine et Malgache de
Coopération Economique (OAMCE) (Jean-Michel DE LATTRE, « Organisation Africaine et
Malgache de Coopération Économique », dans Politique Etrangère, n° 6, 1960, p. 584-604).
(110) Fonds Monétaire International.
(111) Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1081

culture française fait également partie de ses desseins. Il conclut sa note sans
ambages : « Depuis l’indépendance, nous avons tiré parti de notre réserve et
de notre discrétion. Mais les temps ont changé…L’évolution peut être rapide.
Nous devons être prêts à nous adapter à une situation nouvelle (112) ».
Intervention de l’ONU et veille de Paris (novembre 1961-mars 1962)
À la fin 1961, une nouvelle forme de présence française au Congo
ex-belge prend son essor. Toutefois, cette action manque de forme, de
structure. Elle n’a pas de moelle épinière. Le fruit n’est pas mûr. L’ONUC est
encore omniprésente. Il s’agit encore d’une période de transition. Les évènements du printemps 1961 n’ont pas encore été assimilés. Paris refuse encore
(ce qu’elle fera, dès 1963) de condamner publiquement les « Affreux »,
mais ne soutient plus la sécession, officieusement ou non. Les Belges
restent toutefois attentifs à toute implantation française. Les appréhensions
de certaines autorités belges (des conseillers de Tshombé ?) se développent,
en novembre 1961, à l’égard de l’influence de l’Hexagone, à l’heure où
le contentieux linguistique affaiblit la position des conseillers belges (113).
Malgré le caractère minoritaire de la colonie française au Katanga, « les
Français exercent cependant une influence certaine sur la marche des affaires
dans les départements d’importance politique comme le secrétariat d’État à
la Défense Nationale, l’Information, le Ministère des Affaires étrangères et le
Ministère de l’Intérieur (114) ». Souhaitant organiser, selon la ligne politique
de médiation qu’il s’est imposée, une rencontre entre Adoula et Tshombé,
Spaak ne précisera-t-il pas, lors d’un entretien avec Dean Rusk et Georges
Ball (Under Secretary of State), « même si [Tshombé] est entouré d’aventuriers français » (115) ? Puis, n’omettons pas que de nombreux mercenaires,
interdits en France, sont encore bloqués à Élisabethville. Spaak confie à ses
interlocuteurs anglo-saxons que « Habiles à se faire valoir, ils [les Français]
compromettent parfois la politique officielle de l’État par leur manque de
discrétion ». Il revient sur la Consulat d’Élisabethville, créé en avril 1961 :
« Ce fait montre l’importance que Paris attache à ce pays de langue française,
n’ayant jamais fait partie de la Communauté » (116).
Pour sa part, Kasavubu propose au représentant français à Léopoldville,
Paul Charpentier, de faire cesser les attaques contre la France dans l’affaire

(112) Charpentier à Couve de Murville, 7 août 1961 (DDF, t. II, 1961, p. 230-233).
(113) Cet aspect avait attiré l’attention d’Harold d’Aspremont-Lynden, qui, après avoir
été déchargé du maroquin des Affaires africaines, était redevenu sénateur PSC. Il confie,
d’une part, à Robert Rothschild, que les conseillers belges, coupés des milieux indigènes,
s’effacent derrière les Français et, d’autre part, le fait que, d’après lui, appartenir au
rôle néerlandophone et au PSB (in petto être un obligé d’Henri Fayat) sont devenues les
conditions sine qua non pour devenir conseiller (d’Aspremont à Rothschild, 27 juillet 1961
(AGR, FHAL, n° 109)).
(114) Rapport sur la situation du Katanga, 3 novembre 1961 (AGR, FHAL, n° 110).
(115) Entretien Spaak-Rusk-Ball, 20 février 1962 (FPHS, 332/6279).
(116) Ibid.

1082

9*(1,1

katangaise. Il faut peu à peu oublier les démêlés du printemps 1961 (117). Mais
il se rend rapidement compte que d’autres problèmes prennent le dessus :
devant le retour des troubles, ne croyant qu’à la négociation, Spaak poursuit
ses entretiens et songe à de possibles médiateurs (Houphouët-Boigny ou
Léopold S. Senghor) afin de parlementer avec Tshombé. Il est question, vers
les 20-24 novembre 1961, d’initier cette médiation depuis Londres ou Paris.
En vain. L’ONU rejette cette option, au bénéfice d’une nouvelle intervention
des casques bleus contre la gendarmerie katangaise, le 5 décembre. Spaak
condamne ce recours aux armes (118). En marge, l’européiste Richard
Coudenhove-Kalergi avait soumis un projet d’autodétermination du Katanga à
Jaspar. Celui-ci lui répond, résigné : « Malheureusement – ou heureusement –
il ne semble pas que ce soit dans cette voie que s’engagent les États-Unis ni
les gouvernements alliés » (119).
Il semble toutefois que Paris, à défaut d’avoir été un lieu de négociation, pourrait être un lieu de coordination du cessez-le-feu. Le 14 décembre,
Marcel-Henri Jaspar reçoit un appel de Maurice Schumann. Président MRP de
la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée Nationale, il était aux
côtés de Spaak en faveur de la Communauté Européenne de Défense (120). La
Commission lui a donné son blanc-seing afin de négocier un cessez-le-feu au
Katanga. Il doit se rendre à l’ambassade des États-Unis à Paris, et s’en ouvrir
au général Gavin. Jaspar suggère à Spaak de se rendre à son ambassade et se
propose d’organiser une Table autour de laquelle Gavin, Schumann et Spaak
traiteraient de la question (121). Ce projet reste lettre morte. Charpentier sent
que la France aurait dû saisir ce rôle de médiateur. Les États-Unis, en la personne de son ambassadeur à Léopoldville, Edmund Gullion (1913-1998), ont
été plus incisifs, plus volontaires, pour aboutir à un accord (122). Charpentier
ne voit pas ce retour en force de l’ONUC avec réjouissance. Celle-ci et ses
défenseurs « désigneront comme responsables de l’échec de la politique
d’unité les Belges, l’abbé Youlou et les Français, note-t-il. Les Fouga (123),

(117) Déjà à l’automne 1960, Charpentier se plaignait des agents belges qui
« grenouillent » au Congo. Il estime qu’ils doivent davantage coopérer avec l’assistance
technique de l’ONU. Il avait alors rencontré Jaspar, notant qu’« il [Charpentier] constate ainsi,
avec regret, que certains experts belges, munis d’un mot de recommandation de quelque
professeur d’université [René Clémens ? Marcel Dubuisson ? Ferdinand Campus ? Arthur
Doucy ?], arrivent à Léopoldville via Brazzaville et se font engager au Congo à la suite de
quelque intrigue. Plusieurs de ces techniciens n’ont pas la préparation psychologique voulue
pour travailler avec les Congolais et en outre, ils déploient parfois une activité anti-onusienne
trop ouverte. C’est de celle-ci que découle en grande partie l’animosité des Nations-Unies à
l’égard de la Belgique » (Jaspar à Wigny, 24 novembre 1960 (tél. n° 2402) ; AGR, FHAL, n°
24). Charpentier demandait, de plus, que la Belgique définisse une ligne politique précise
au sujet de la sécession.
(118) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 596-597.
(119) Jaspar à Coudenhove-Kalergi, 5 décembre 1961 (AGR, FMHJ, n° 491).
(120) Schumann à Spaak, 10 septembre 1954 (FPHS, F316/D6004).
(121) Jaspar à Spaak, 14 décembre 1961 (AGR, FMHJ, n° 1611).
(122) Charpentier à Couve de Murville, 21 décembre 1961 (AMAEF-LC, Afrique-Levant
1960-1965, Léopoldville, n° 45, téls. n° 3006-3010 en particulier).
(123) Référence aux avions Fouga Magister, livrés au Katanga.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1083

les mercenaires, les vols de l’UAT (124), la présence de M. Diur en France, le
récent séjour à Paris de M. Tshombé [...], sont retenues (sic) contre nous ».
Il ajoute, sur le ton du regret : « La France qui avait au Congo une position
de choix est décriée, sans que nous ayons tiré le moindre profit de l’aventure
katangaise. Il est vrai que les Congolais sont versatiles. (125) »
Une influence diffuse et sereine de la France au Congo n’est pas encore
à l’ordre du jour et ne se fera qu’au prix d’un abandon total du soutien au
Katanga et de l’oubli progressif des tribulations du printemps 1961. C’est le
discours que Charpentier tient à Adoula en mars 1962, au moment de son
retour en France (126). Le successeur de Charpentier, à Léopoldville, Ghislain
Clauzel (127), rencontre Adoula en juin 1962 et entend un discours assez
similaire à la « diatribe » belgophobe de Kasavubu. Depuis l’automne 1961,
la compétition franco-belge est de plus en plus alimentée par Léopoldville.
Critiquer les Belges en présence d’un diplomate français est devenu monnaie
courante chez les autorités congolaises. Tout en faisant comprendre au
diplomate français en question que son pays a adopté une posture beaucoup
trop réservée. Adoula déplore devant Clauzel que la France ne se soit guère
« préparée au rôle qu’il (sic) lui revenait de jouer au moment de l’accès
du Congo à l’indépendance et de ne s’être cantonnée depuis deux ans
dans une attitude d’observation plutôt indifférente. Lors de la rupture avec
la Belgique, c’était normalement de la France [...] que le Congo attendait
l’aide technique qui lui était indispensable, car elle était dépositaire du
trésor culturel où il puisait lui-même et qu’elle était la seule grande
nation du monde libre vers laquelle il était naturel que se tournent les
Congolais » (128).

Assurer la place de la France au Congo. Premiers jalons (avril 1962-1963)
En 1962, la réduction des derniers « Affreux » et le rétablissement
des relations diplomatiques entre Bruxelles et Léopoldville (27 décembre
1961), contribuent à un mûrissement du dossier colonial. Certains vont
jusqu’à évoquer un « apaisement » des questions africaines, non sans raison.
Relevons toutefois que les Américains, à plusieurs reprises, entre décembre
1961 et mars 1962 (mission de l’amiral Kirk à Bruxelles), par le canal de
Spaak et de l’UMHK, tenteront de déstabiliser Moïse Tshombé et de l’affaiblir
politiquement. Or, Spaak ne souhaite pas que l’ONU ait à nouveau recours à
la force, en vue de briser la sécession. Il craint surtout que les infrastructures

(124) Union Aéromaritime des Transports, qui sera supplantée au Congo de manière
décisive en 1965 par la Sabena.
(125) Charpentier à Couve de Murville, 28 décembre 1961 (AMAEF-LC, Afrique-Levant
1960-1965, Léopoldville, n° 45, téls. n° 3042-3047).
(126) Charpentier à Couve de Murville, 13 mars 1962 (DDF, t. I, 1962, p. 244-245).
(127) Ghislain Clauzel (1907-1992) est licencié en droit. Décrit comme un réactionnaire,
ambassadeur à Léopoldville, de 1962 à 1963, il prend sa retraite en 1972 (Qui est qui en
France. Dictionnaire biographique 1989-1990, Paris, Jacques Laffitte, 1989, p. 448).
(128) Clauzel à Couve de Murville, 2 juin 1962 (DDF, t. I, 1962, p. 548-550).

1084

9*(1,1

soient détruites (ce que Tshombé évitera, en janvier 1963) (129). En juin 1962,
lors de plusieurs entretiens avec des diplomates américains, un dîner avec le
président Kennedy et, in fine, un contact fructueux avec Dean Rusk, Spaak
obtient que l’attitude des États-Unis soit identique à l’égard de Léopoldville
et d’Élisabethville, en soulignant que Tshombé ne fut pas le seul à commettre
des erreurs. Adoula aussi. Il est également suggéré d’accroître l’aide belgoaméricaine au Congo. Toutefois, cet accord n’atteint pas la perfection, ni
même la mise en pratique que ses défenseurs avaient souhaité. Comme on le
sait, le « plan de réconciliation nationale », dit « Plan Thant », du nom du
secrétaire général de l’ONU (depuis 1961), n’aboutira pas (130).
Le 12 décembre 1962, le général De Gaulle condamne à nouveau
l’ingérence ONUsienne au Congo. Charles De Gaulle critique surtout l’État
congolais unitaire tel que l’imaginent les États-Unis. Selon lui : « Nous
avons fait les plus grandes réserves sur l’opération militaire de l’ONU. Notre
réputation africaine n’y a pas perdu » (131). Il ajoute, le 9 janvier 1963,
tandis que la sécession est résorbée : « Le Katanga se retrouvera donc dans
la même situation chaotique que le reste du Congo. Il y a au Congo une
anarchie latente. Nous avons bien fait de ne pas nous en mêler... » (132). Si
la France a effectivement toujours rejeté l’intervention de l’ONU, ces paroles
sont à interpréter cum magna cautela. Rassérénée de ne pas avoir soutenu
officiellement la sécession, elle semble parfois oublier les aides officieuses
qu’elle a dispensé aux colonels Trinquier et Bistos, par exemple.
De plus, la réduction de la sécession pose plusieurs questions, à Paris,
sur l’avenir du Katanga. La province tissera-t-elle des liens avec le FLN ou le
MPLA (133), que Tshombé contenait, au contraire de Léopoldville ? Ce dernier,
parti se réfugier en Espagne, conserve la sympathie de Clauzel, espérant
son retour, en février 1963 : « C’est un homme qui s’adapte aux réalités
et s’attaque aux problèmes par étapes successives, à l’instar du combat des
Horaces et des Curiaces » (134).
Quant à la perspective d’une plus grande influence française au Congo,
elle reste présente, notamment chez certains Belges francophiles. Il serait
toutefois audacieux d’élever cette francophilie au rang de généralités. Citons
un exemple atypique, celui du professeur de l’ULB (et de Gand) Victor Van
Straelen (1889-1964), géologue, paléontologue et minéralogiste (135). Il avait
été la cheville ouvrière de l’Institut national pour l’Étude agronomique
au Congo (INEAC), « dont je préside encore les débris à la demande du
gouvernement Adoula » (136), précise-t-il en avril 1963 à Claude Hettier de
Boislambert, gaulliste fervent, rompu aux affaires africaines, et collaborateur
officieux de Jacques Foccart. Selon Van Straelen, ultra-gaulliste, critique
(129) G. VANTHEMSCHE, La Belgique, op. cit., p. 265.
(130) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 596-597.
(131) Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, Paris, Gallimard, 2002, p. 1057-1058.
(132) Ibid.
(133) Mouvement Populaire de Libération de l’Angola, de tendance marxiste-léniniste.
(134) Clauzel à Couve de Murville, 6 février 1963 (DDF, t. I, 1963, p. 175-180).
(135) Bernard ADERCA, « Victor Van Straelen », dans Biographie belge d’Outre-Mer,
t. 7A (1973), Bruxelles, ARSOM, col. 444-456.
(136) Van Straelen à Hettier de Boislambert, 22 avril 1963 (AN, FJF, FPU, n° 441,
Belgique et territoires ex-belges 1960-1966).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1085

acerbe du « falot Baudouin », suite au départ des structures belges, « il revient
à la France [l’Institut français d’Afrique noire] de combler ce vide. Elle seule
est capable de sauver, de faire fructifier l’immense capital scientifique » (137).
Selon lui, « Spaak et beaucoup de gens ici n’y ont rien compris. Cependant,
aujourd’hui même, La Libre Belgique – toujours hostile en principe à la
France et à Charles De Gaulle – amorce une courbe rentrante » (138).
Un autre élément, bien plus profond, pourrait favoriser un retour en
force de la France en Afrique Centrale. En effet, dès l’été 1963, plusieurs
diplomates belges prennent la mesure de l’UAM, décrit plus haut, et créée
en septembre 1961. Comme indiqué, certains y voyaient un succédané à
la CF. Des diplomates français, comme le directeur de l’Afrique-Levant,
Jean Sauvagnargues, avaient estimé (dès la fin 1961) que l’introduction
de Léopoldville dans l’UAM serait une bonne opération pour la France.
Le Quai d’Orsay tente de soigner son image, bon an mal an, auprès de
Léopoldville, depuis l’automne 1961. Il réfute son accointance avec les
mercenaires du Katanga ; malgré son implication (139). Mais la partie n’est
pas gagnée pour Paris. Il faut rassurer les Congolais, gagner leur confiance.
Pourtant, Léopoldville apprécie peu la bonne entente affichée entre Paris
et Brazzaville, dont le chef d’État, Fulbert Youlou, malgré ses sympathies
lumumbistes d’hier, garde une image positive de Tshombé (140). Relevons
aussi, en août 1963, des déclarations de Victor Nendaka (141), chef de la
Sûreté à Léopoldville, faisant allusion à des « intrigues françaises au Congo,
tendant à placer notre ancienne colonie sous la tutelle française par le canal
de l’UAM » (142). Cela ne contribue guère à détendre l’atmosphère.
Des bruits courent-ils autour d’une intégration de Léopoldville à l’UAM ?
Les pays de l’Union seraient-ils un succédané de la Communauté ? Le
consul de Belgique à Élisabethville, René Panis, successeur de Crener, est
chargé de prendre contact avec Nendaka, afin d’y voir plus clair. De son
côté, le conseiller de Jaspar, Werner de Mérode (1914-1995) (143), se rend
au Quai d’Orsay et y reçoit des échos rassurants. La chose était attendue.
Elle correspond d’ailleurs à l’esprit d’un récent rapport de l’ambassadeur
de France à Bruxelles, Francis Lacoste. Celui-ci affirme que les relations
entre Paris et Léopoldville se limitent à une « aide technique et financière »,
supplétive à celle de la Belgique. En février 1963, le Congo n’avait pas
souhaité retenir la France parmi les éventuels signataires d’un accord de
coopération militaire technique (144). Il fallait sans conteste y voir la main

(137) Ibid.
(138) Ibid.
(139) Une note de Sauvagnargues datée du 6 octobre y fait allusion. Il affirme que les
Français encadrant Moïse Tshombé sont moins d’une dizaine mais que, par leur aptitude,
ils ont davantage fait parler d’eux que d’autres ressortissants (Note de la Direction de
l’Afrique-Levant, 6 octobre 1961 (DDF, t. II, 1961, p. 482-484)).
(140) Ibid.
(141) Sur lui : Emizet FRANÇOIS KISANGANI & Scott BOBB, Historical Dictionary of
the Democratic Republic of the Congo, Lanham (Maryland), Scarecrow Press, 2009, p. 394.
(142) Jaspar à Spaak, très confidentiel, 13 août 1963 (n° 3855) (AMAEB, n° 14198).
(143) Sa biographie dans V. GENIN, L’ambassade, op. cit., vol. 1, p. 73 et sv.
(144) Cet accord sera signé en 1974.

1086

9*(1,1

de Congolais « unitaristes » mais aussi de certains conseillers Belges (145).
En attendant cette entrée de Léopoldville dans l’UAM, un moyen terme a été
imaginé, faisant bon marché des premières intentions congolaises, à savoir
la signature, le 17 juillet 1963, d’un accord franco-congolais de coopération
culturelle et technique, entériné en décembre 1963 et entré en vigueur en
mars 1966 (146).
Il serait toutefois erroné d’interpréter cet accord comme un gage significatif
de rapprochement franco-congolais. En effet, entre juin 1960 et juillet 1963,
Paris n’a pas signé moins d’une trentaine d’accords, presque tous bilatéraux,
avec les républiques africaines (147). De plus, aux yeux des Congolais,
cet accord résonne comme une nécessité. Certes, depuis 1962, le colonel
américain Michael Greene avait prévu qu’une assistance, provenant des ÉtatsUnis, d’Israël, de Norvège, d’Italie, de Belgique et du Canada, se charge de
la modernisation de l’ANC (Plan Greene). Toutefois, l’ONU refusa d’agencer
le ravitaillement et d’organiser le Plan, auquel la France ne participe pas. Si
bien que, quelque peu contraint, Adoula fit appel à chacun de ces six pays, à
un niveau bilatéral, afin de canaliser cette assistance. C’est dans ce contexte
que l’accord du 17 juillet 1963 a lieu (148). La France, évincée du Plan Greene,
doit se faire une place au Congo. En toute indépendance. Il est aussi permis de
se demander dans quelle mesure cet acte est une réponse française à l’accord
d’assistance militaire belgo-congolais du 28 juin 1963 (« arrangement belgocongolais en matière d’assistance militaire »), décidé sous les auspices du
colonel Guy Logiest. Cet accord est une manifestation de ce que Spaak appela
le « redressement » de la Belgique au Congo, qu’il attribue en grande partie
au rétablissement d’une bonne entente avec les États-Unis. En vertu de cet
accord, les Belges se voient confier non le commandement opérationnel, mais
bien l’instruction de recrues et la direction des écoles de gradés (149). Quant à
l’accord franco-congolais, il implique surtout l’organisation d’une assistance
technique au Congo ex-belge et le recrutement d’enseignants, à la demande
de Léopoldville. Son application sera d’ailleurs longue à mettre en place et
sera au cœur de plusieurs entretiens, en avril 1964, entre Habib-Deloncle,
secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et les services d’Adoula (150).
Les appréhensions de certains diplomates belges face à l’activité de
la France sont propres à une période où la donne à change. À l’issue des
journées des 13-15 août 1963, Fulbert Youlou est renversé, à Brazzaville,

(145) Sur ces conseillers, pour la période antérieure : Jean-Claude WILLAME, « Les
‘conseilleurs’ belges d’hier et d’aujourd’hui : acteurs ou figurants des crises congolaises ? »,
dans Cahiers Africains, n° 9-1, septembre 1994, p. 42-52 ; Lien VERCRUYSSE, Politieke
bekommernis of ‘hidden agenda’ ? Belgische adviseurs in Katanga 1960-1961, mémoire de
licence en histoire, KUL, 2005-2006.
(146) J.-Br. MUKANYA & S. PAUL, « Cavalier seul », op. cit., p. 117.
(147) Guy FEUER, « Les accords culturels passés entre la France avec les États africains
et malgache », dans Annuaire français de droit international, vol. 9, 1963, p. 905.
(148) Congo 1964, Bruxelles-Léopoldville, CRISP-INEP, 1965, p. 96.
(149) Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Alain FOREST & Herbert WEISS, éds,
Rebellions-révolution au Zaïre 1963-1965, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 12-13.
(150) Couve de Murville à Kosciusko-Morizet, 29 avril 1964 (DDF, t. I, 1964, p. 452).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1087

pour céder la place à Massamba-Débat, ancré à gauche (151). Le général De
Gaulle ignore de quoi demain sera fait à Brazzaville, jouant jusqu’alors le
rôle de pivot de l’influence française en Afrique Centrale. En normalisant
ses rapports avec Léopoldville par un accord bilatéral, Paris faisait donc un
placement sur l’avenir, assurait la sécurité de son influence, qui était alors
réduite et incertaine, à Brazzaville comme à Élisabethville. Cet accord
n’était pas seulement technique et financier, comme l’affirme un rapport,
mais surtout culturel, garant d’une influence plus durable, plus diffuse et
plus innovante (152). Des diplomates belges ne dissimulent pas leur inquiétude
face à ces récentes démarches qui, à leurs yeux, sont l’arbre qui cache la
forêt. Selon de Mérode, le SDECE n’est pas loin. Et, « en cas d’incident »
provoqué par ce dernier, il s’attend, selon une méthode éprouvée, à ce que le
Quai d’Orsay désavoue l’initiative (153).
Toutefois, le diplomate ne voit pas que des inconvénients à ce que des
agents français intriguent dans le secteur :
« Par contre, leur réseau de contacts pourrait être utilisé un jour si la
politique gouvernementale venait à être infléchie ou modifiée […] Vous
comprendrez qu’il m’est extrêmement difficile de recueillir des renseignements sur les intrigues que la France poursuit à Léopoldville ou
Élisabethville, et sur la rencontre qui aurait eu lieu entre un émissaire du
général de Gaulle et M. Nendaka » (154).

Cet accord franco-congolais symbolise un tournant. En signant ce texte,
Léopoldville fait sentir que les influences belge ou américaine ne sont pas
exclusives et démontre qu’en 1963 la coopération franco-belge accuse de
sensibles lézardes. Les liants de leur coopération se dissolvant progressivement, Paris et Bruxelles se retrouvent davantage dans une posture de compétiteurs. Une compétition sans grands dommages sans doute. Et le 18 août, Jean
François-Poncet, le très européen sous-directeur à l’Europe Occidentale (155),
affirme – très diplomatiquement – à Marcel-Henri Jaspar que l’application de
l’accord du 17 juillet ne peut se concevoir qu’en partenariat avec les ambassades de Belgique à Paris et à Léopoldville (156). Timeo Danaos...
(151) Il existe plusieurs versions de cet évènement (Jean-Marie SOUTOU, Un diplomate
engagé. Mémoires 1939-1979, Paris, 2011, p. 319, inspiré de Philippe DE GAULLE,
Mémoires accessoires, t. II, Paris, Plon, 2000, p. 144 affirmant que de Gaulle n’a ordonné
aucune intervention militaire en faveur de Youlou) et de l’évasion de Youlou (R. FALIGOT
& P. KROP, La Piscine, op. cit. p. 235 et Pierre PÉAN, L’homme de l’ombre. Éléments
d’enquête autour de Jacques Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de
la Ve République, Paris, Fayard, 1990, p. 303 ; consulter : J.-P. BAT & P. GENESTE, « Jean
Mauricheau-Beaupré », op. cit., p. 95 ; Kosciusko-Morizet à Couve de Murville, 29 mars
1965 ; AMAEF-LC, Afrique-Levant 1960-1965, Léopoldville, n° 34, téls. n° 628-632).
(152) D’autres accords suivront : sur les transports aériens (1964 et 1965), sur la
recherche agronomique (1965), concernant l’enseignement supérieur (1970) etc. (J.-Br.
MUKANYA & S. PAUL, « Cavalier seul », op. cit., p. 117-118).
(153) Jaspar à Spaak, très confidentiel, 13 août 1963 (n° 3855) (AMAEB, n° 14198).
(154) Ibidem.
(155) Ce qui lui vaudra une mise à l’écart (Jean FRANCOIS-PONCET, 37, Quai d’Orsay.
Mémoires pour aujourd’hui et pour demain, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 93).
(156) Jaspar à Spaak, 18 août 1963 (tél. n° 3906) (AMAEB, n° 14198).

1088

9*(1,1

Pour une « large coopération » française (printemps-automne 1964)
Jacques Kosciusko-Morizet
En 1963, la place de la France au Congo a engagé un tournant. Ses
contours ne sont toutefois pas encore définis, mais plusieurs constats s’imposent : allusions nouvelles à une entrée de Léopoldville dans l’UAM ; accord
franco-congolais ; marginalisation de Paris dans l’assistance au Congo ; pression du SDECE. L’évolution, le mûrissement de la situation, le passage à un
cran supérieur est également le fait d’un personnage élémentaire, à savoir le
successeur de Paul Charpentier et de Ghislain Clauzel, en qualité de représentant de la France à Léopoldville : Jacques Kosciusko-Morizet (157). Selon
L’Essor du Katanga du 23 mars 1964, cette année est celle de la « nouvelle
politique française de large coopération » au Congo. Dès mars, KosciuskoMorizet a l’intention d’appliquer l’accord franco-congolais de juillet 1963,
en s’en tenant, du moins dans un premier temps, à la coopération culturelle
et technique (158). La note qu’il rédige, le 14 avril 1964, à destination d’Alain
Plantey (°1924), adjoint de Foccart, livre une parcelle de ses intentions. Pour
lui, la coopération franco-congolaise doit englober le domaine militaire, malgré le fait que l’action française « se heurte, comme vous le savez, à beaucoup de susceptibilités et d’oppositions étrangères » (159). Il estime que les
implantations françaises au Congo doivent gagner en autonomie, à l’instar du
domaine de l’imprimerie, par exemple, tenu par les Belges et les Allemands.
Entouré de son conseiller commercial (M. Bourg) et de son attaché militaire
(le lieutenant-colonel Aron), « petit à petit, je mets en place une équipe cohérente, loyale et active. Mais que de passif à remuer ! » signale-t-il (160). Son
but est d’ouvertement « damer le pion » aux autres puissances occidentales,
à commencer par la Belgique, dont « l’influence demeure forte » (accord
belgo-congolais de juin 1963), bien que mal acceptée, selon lui (161).
La France cherche à se tailler un domaine réservé, un pré-carré au sein
duquel son influence sur les congolais pourra être efficace. Bien qu’elle
ait signé, comme précisé plus haut, un accord de coopération culturelle
avec le Congo, en juillet 1963, la France est sensiblement marginalisée du
mouvement d’assistance technique et militaire qui annonce l’après-ONUC
(dont le mandat prend fin à la mi-1964). Elle a tenté de faire oublier les affres
du printemps 1961 et certains de ses liens avec l’instable Youlou. Elle ne
participe pas à la réorganisation/modernisation de l’ANC, telle qu’elle avait
été planifiée par le « Plan Greene » (cfr. supra). Paris se situe ipso facto en
(157) À son sujet, nous renvoyons à AN, FJKM, n° 282AP/30 et 582AP/31. Jacques
Kosciusko-Morizet (1913-1994) est agrégé de Lettres et licencié de morale et de sociologie.
Professeur jusqu’en 1946, il est nommé directeur de cabinet adjoint du président de
l’Assemblée Nationale. Délégué au Conseil de l’ONU (1957-1963), il part ensuite vers
Léopoldville où il remplace Paul Charpentier de 1963 à 1968. En marge de sa Carrière, il
a mené une action politique au Rassemblement pour la République (Qui est qui, op. cit.,
p. 916).
(158) Congo 1964, op. cit., p. 89-90.
(159) Kosciusko-Morizet à Plantey, 14 avril 1964 (AN, FJF, FPU, n° 2038, C. Adoula).
(160) Ibid.
(161) Ibid.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1089

marge des Américains, des Canadiens, des Belges (chargés de l’instruction de
l’infanterie), des Italiens (pour l’aviation), des Norvégiens (pour la marine) et
des Israéliens (pour les parachutistes) :
« Face à cette situation, il nous est possible de profiter de l’avantage de la
langue et de la confiance affichée par les Congolais dans l’enseignement
militaire du français. Sans entrer d’une manière très officielle dans le
‘club’ des puissances qui accordent leur aide militaire au Congo, il nous
est possible d’accroître notre influence. […] Dans le domaine culturel,
les officiers congolais se montrent en général très intéressés par nos
revues militaires. Un effort a déjà été entrepris pour augmenter le nombre
de revues et publications diffusées dans l’ANC. […] Pour l’instruction
des cadres militaires, les Belges s’en occupent, mais il semble que les
Congolais désirent nous confier progressivement le perfectionnement de
leurs cadres. […] Handicapé par le retard initial, le champ de notre action
dans le domaine militaire est encore limité. Quelque perspective favorable
nous est cependant ouverte » (162).

L’activité de Kosciusko-Morizet à Léopoldville, depuis décembre 1963, est
d’une remarquable célérité. Au surplus, elle ne dissimule pas ses buts. Dans
une Note sur le Congo, non datée (que nous situons en avril-mai 1964), il
tente de donner une structure à son action. Il la décline en cinq points. Primo,
il met en avant la « position morale et sentimentale privilégiée » de la France,
qui, elle, ne fut jamais colonisatrice au Congo. Il ajoute, « bien que certains
de nos compatriotes aient été accusés d’avoir joué la sécession katangaise, cet
épisode est oublié et nous en avons plutôt bénéficié à nous être tenu à l’écart
de l’action militaire de l’ONU » (163). Secundo, il souhaite exploiter le potentiel
d’un pays se proclamant être le « deuxième État d’expression française du
monde après la France » (164). Au contraire des Belges, qui, à ses yeux, ont
à leur actif une expérience déplorable quant à l’enseignement dispensé aux
indigènes (à peine quelques diplômés universitaires en 1960). Tertio, pour
lui, la défense de la langue française est indissociable de l’unité congolaise
(sur laquelle Paris s’affirme de plus en plus), « car si le Congo éclatait,
le Katanga irait vers la Rhodésie, l’Uélé, l’Illiu, le Kivu, vers l’Uganda.
Les régions les plus riches du Congo basculeraient donc vers les pays
d’expression anglaise » (165). Quarto, il estime que la France doit contribuer
à mettre fin à la « discrimination ostensible » (166) qui perdure entre blancs
et indigènes. Il n’y voit qu’un reliquat des « habitudes de la colonisation
belge ». Enfin, en guise de conclusion, il note que le désordre congolais n’est
pas si inopportun. Il prône une influence culturelle et économique, structurée,
dépolitisée et dépassionnée. « Notre action ne peut être ni de substitution, ni
d’hostilité à l’égard des Belges [...] Nous devrons nous attacher à garder dans
nos interventions, notre originalité et notre indépendance » (167).

(162) Ibid.
(163) Note de Kosciusko-Morizet, avril-mai 1964 (Idem).
(164) Ibid.
(165) Ibid.
(166) Ibid.
(167) Ibid.

1090

9*(1,1

Quelle fut la réaction du Gouvernement français à l’égard de ce plan ?
Nous l’ignorons. En a-t-il eu connaissance ? Rien n’est moins sûr. Il est fort
probable que cette Note, ne portant le nom d’aucun destinataire, soit parvenue
à Alain Plantey, collaborateur de Foccart (168). Par ailleurs, cette note étaitelle destinée à donner une matière documentaire aux fonctionnaires parisiens
(Quai d’Orsay etc.) qui, du 21 au 25 avril 1964, reçoivent Cyrille Adoula ?
La piste est fort probable. Nous n’avons aucune trace faisant toutefois état
d’un entretien Plantey-Adoula ou Adoula-Foccart (169). Foccart se souviendra
qu’Adoula, au contraire de Tshombé, ne recherchait pas l’appui matériel de
la France. Cela suffit-il à déduire qu’ils ne se sont pas entrevus ? La question
reste ouverte (170).
Quoi qu’il en soit, plus qu’une note informative, il s’agit d’un plan d’action politique, caractéristique des velléités françaises en Afrique Centrale.
Jacques Kosciusko-Morizet est une synthèse de cet esprit, mâtiné d’un gaullisme viscéral, défenseur d’une France dont l’œuvre civilisatrice (par l’enseignement de la langue, la diffusion de la culture, une éviction de la mainmise
britannique (sans mention des Américains) et une influence économique profitable à tous) ne se mêle guère au Belge-boutiquier, pour lequel le Congo n’est
qu’une liste de dividendes et l’indigène une marchandise, dépourvue de toute
humanité. La note précise aussi que l’on accuse les Français d’avoir soutenu
la sécession katangaise, sur le ton de la dignité offensée, en se gardant bien
de rappeler que le Quai d’Orsay (ou d’autres départements), in illo tempore,
ont donné leur blanc-seing aux colonels Trinquier et Bistos. Enfin, persiste la
crainte (que certains pourraient classer parmi les « forces profondes ») d’une
perte d’influence française, aux bénéfices des Britanniques, malgré la dissolution, en 1963, de la Fédération de Rhodésie-Nyassaland, agrégat politique
aux rouages trop compliqués et tourné en dérision par les petits colons de
Rhodésie du Sud, et la naissance d’une période politique instable dans ce qui
formera le Malawi, la Zambie (1964) et le Zimbabwe (1980) (171).
En parallèle, l’UAM, créée en septembre 1961, et dont on reparle depuis
la fin 1963, revient sur le devant de l’actualité à la fin avril 1964. Cette
Communauté qui ne dit pas son nom n’augure rien de bon pour MarcelHenri Jaspar, ambassadeur belge à Paris. Le Quai d’Orsay le rassure en
affirmant que l’UAM abandonnera toute influence politique et fait mine de se
détacher des affaires africaines, dont il réalise qu’il est évincé depuis cinq
ans par les réseaux Foccart (172). Jaspar estime que le ver est dans le fruit
de l’UAM depuis sa genèse. L’entité, menaçante pour l’influence belge, est

(168) Relevons, à titre informatif que, le 7 juin 1964, Alain Plantey fonde l’Institut
international de droit d’expression et d’inspiration françaises (IDEF). Cet organisme
se penche sur l’influence des droits belge et français dans les ex-colonies (Bernadette
RENAUD, Marie-Françoise RIGAUX & Paul MARTENS, éds, Les couples, les enfants et la
cour constitutionnelle, Waterloo, Kluwer, 2008, p. VII).
(169) Jaspar à Spaak, 27 avril 1964 (n° 2628) (AMAEB, n° 14363).
(170) Jacques FOCCART, Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, t. 1, Paris,
Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 265.
(171) L’éclatement de la Fédération en trois états rend difficile l’apparition d’une historiographie relative à la Fédération. Toutefois, on ne peut éluder Richard WOOD, The Welensky
Papers : a History of Federation Rhodesia and Nyassaland, Durban, Graham Pub, 1983.
(172) Jaspar à Spaak, 24 avril 1964 (n° 2616) (AMAEB, n° 14363).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1091

toutefois traversée par plusieurs dissensions intestines. L’échec du projet de
pacte militaire entre les membres de l’Union, le développement de forces
centrifuges et le « putsch sec » du Gabon – dont le Quai fut exclu – n’ont
rien arrangé à cette situation (173).
Du 21 au 25 avril 1964, le premier ministre congolais, Cyrille Adoula,
comme indiqué plus haut, se rend à Paris. Pour Jaspar, c’est l’occasion d’en
savoir davantage sur les modalités de l’accord franco-congolais de juillet
1963 et, par définition, d’en savoir plus sur le rôle que pourrait y jouer son
ambassade, ainsi que Jean François-Poncet l’avait sous-entendu. Très vite,
Jaspar se montre fort critique à l’égard de cette visite (174). Ne souhaitant
pas s’attirer l’ire des Belges, Couve de Murville obtient que le contenu des
entretiens leur soit communiqué. On ménage les Belges. Preuve de cette bonne
volonté : Werner de Mérode est convoqué à la Direction de l’Afrique, peu
avant le départ d’Adoula. Cette Direction, désormais dirigée par Jean-Marie
Soutou (175), est chargée de l’Afrique qui ne fut pas française (176). Couve
avait accrédité Soutou à ce poste afin d’être mieux informé qu’auparavant
des affaires africaines, indubitablement monopolisées par la « Maison
Foccart » (177).
Jean-Marie Soutou est un interlocuteur de choix. Diplomate expérimenté, jouissant de la confiance de son ministre, européen convaincu (178), il
souhaite reprendre les prérogatives que Foccart lui a ouvertement usurpées,
étant donné que le Congo ne relève pas de l’ex-Communauté. Au surplus, il
diverge autant avec lui qu’avec De Gaulle au sujet de la Belgique. Soutou avait
connu Paul-Henri Spaak en 1954, durant les négociations de la Communauté
Européenne de Défense, et n’adhérait pas à la façon dont l’Élysée envisageait
la « coopération » africaine avec la Belgique. Soutou plaide pour une coexistence franco-belge. Voici ses mots, tandis que Tshombé a été rappelé par
(173) Ibid. ; Y. ZERBO, « Problématique », op. cit., p. 121.
(174) Spaak, de passage à Léopoldville en 1964, se fera une idée moins négative
d’Adoula (Paul-Henri SPAAK, Combats inachevés, t. II : de l’espoir aux déceptions, Paris,
Fayard, 1969, p. 268-269 ; M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 605-607). Quelques mois plus
tard, le Quai d’Orsay note que si Spaak a un « faible » pour Adoula, il admire davantage
les capacités de Tshombé. Paris ira plus loin, peu après, en parlant de la « duplicité » belge,
alternant contacts avec Tshombé et Adoula, afin de faire pression sur l’un et sur l’autre
(Spitzmüller à Couve de Murville, 23 octobre 1964 (AMAEF-LC, Afrique-Levant 1960-1965,
Léopoldville, n° 45, n° 1151)).
(175) Jean-Marie Soutou (1912-2003), délégué en Suisse (1943-1944) du commissariat
de l’Information, secrétaire des Affaires étrangères, est affecté au cabinet de Pierre MendèsFrance (1954-1955). Directeur des Affaires Africaines et Malgaches et chargé de l’AfriqueLevant (1962-1966), il sera, en outre, ambassadeur en Algérie (1971-1975) (Qui est qui en
France, op. cit., p. 1472 ; Georges-Henri SOUTOU, « Épilogue », dans J.-M. SOUTOU, Un
diplomate engagé, op. cit., p. 529-540).
(176) Jean BAILLOU, Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, t. II,
Paris, CNRS, 1984, p. 689-691.
(177) J.-M. SOUTOU, Un diplomate engagé, op. cit., p. 311-312.
(178) Matthieu OSMONT, « Europe politique versus Europe économique ? Rivalités et
répartition des rôles dans les dossiers européens entre la direction des Affaires Politiques et
la direction des Affaires économiques et financières au Quai d’Orsay (1955-1974) », dans
Michele AFFINITO, Guia MIGANI & Christian WENKEL, éds, Les deux Europes. Actes du IIIe
colloque International Richie, Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 205.

1092

9*(1,1

Kasavubu pour diriger son Gouvernement (juillet 1964) et qu’une dissidence
lumumbiste se profile à Stanleyville (cfr. infra). Ces lignes sont instructives :
« À peine suis-je arrivé à la direction que je constate avec effarement que
nous sommes engagés contre les Belges dans toutes les affaires du Congo
ex-Belge qui viennent d’éclater soudainement. Toutes les ambitions sont
là. Or je connais bien certains Belges. Spaak [...] ne comprend pas : nous
devrions marcher main dans la main. Je trouve qu’il est sincère. La réponse de l’Élysée tombe comme un couperet : pas du tout, c’est un instrument des Américains, ce sont les Américains ! Spaak était le type même
du Belge d’origine flamande mais de formation entièrement francophone.
Il ne demandait qu’un peu de respect de ses idées. En 1956, Spaak était
le seul qui ait vraiment défendu notre politique algérienne à l’ONU. Or, au
moment de la crise du Congo Belge en 1960, il demandait le soutien de la
France pour qu’on organise une coopération dans le cadre de l’Alliance.
Rien que cela, ça lui aliène le Général» (179).

Spaak est considéré comme un instrument des Américains par le Quai
d’Orsay. Toutefois, il ignore sans doute les récents démêlés qui ont lieu
entre le ministre des Affaires étrangères et le Secretary of State, Dean Rusk.
En effet, en janvier 1964, les États-Unis, parangons d’une intervention
de l’ONU, opposants de la sécession katangaise, résorbée depuis un an, et
souhaitant, de concert avec les Belges, renforcer l’ANC, avaient affiché une
grande inquiétude devant la perspective d’un retrait de l’ONU du Congo. La
principale crainte est motivée par un risque d’accroissement de l’infiltration
communiste dans le Kwilu. Comme toujours, au contraire des Américains,
Spaak prône la médiation, et non un recours à la force. Il craint qu’une
intervention ne plonge les Occidentaux dans un scénario « indochinois » ou
« algérien ». Or, comme on le sait, la « subversion », active depuis juillet
1963, sous la direction de Pierre Mulele (1929-1968), formé par les Chinois,
va progressivement se déporter du Kwilu vers l’Est, et provoquer, suite à la
révolte des Simba d’avril 1964, les évènements de Stanleyville, à l’automne
1964 (180). Nous y reviendrons.
Revenons, en attendant, à l’entretien de Mérode-Soutou du 24 avril 1964.
S’il rassure le diplomate belge, ce dernier reste sur la défensive. Il estime que
le traité franco-congolais de juillet 1963 est pour le moins flou, il « forme un
cadre très large dans lequel on ne mettrait jamais assez pour Léopoldville. Aux
300 techniciens demandés, Paris oppose un maximum de 50 ». Techniciens
et enseignants français semblent peu enclins à briguer une mission au Congo
ex-belge, et, s’ils s’y rendent, ce n’est que moyennant un cahier des charges
bien défini (181). Afin d’y voir plus clair, Paris souhaite envoyer au Congo
l’économiste gaulliste François Perroux, habile interlocuteur (182).

(179) J.-M. SOUTOU, Un diplomate engagé, op. cit., p. 329.
(180) G. VANTHEMSCHE, La Belgique, op. cit., p. 267 ; M. DUMOULIN, Spaak, op. cit.,
p. 606.
(181) Jaspar à Spaak, 27 avril 1964 (n° 2628) (AMAEB, n° 14363).
(182) François Perroux (1903-1987) est titulaire de la chaire d’Économie au Collège
de France de 1955 à 1974. Critique du libéralisme, du keynésianisme et du marxisme, ce

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1093

Après avoir entendu Adoula et les craintes qu’il formulait au sujet du
Conseil National de Libération (CNL) émigré Brazzaville, un autre son de
cloche parvient le 3 juillet 1964, dans une note consacrée à la visite à Paris
du nouveau président du Congo-Brazzaville, à la suite de Youlou, Alphonse
Massamba-Débat. Werner de Mérode se rend au Quai d’Orsay (183). Celui-ci
a d’ailleurs obtenu ses informations de l’Élysée, avouant sans détours qu’il
« ignorait tout » des entretiens (184). Le Belge s’en remet donc aux bons
offices de l’Élysée et demande à son interlocuteur (un homme de Foccart
sans doute) si la France serait prête à enrayer une éventuelle intervention des
troupes de Léopoldville, désireuses de réduire le CNL (185). Tout en affirmant
que des accords pousseraient la France à y participer, la perspective d’une
telle opération lui semble improbable. Puis, on en vient à l’ex-Congo Belge.
« À l’en croire, précise de Mérode, l’Élysée estime que M. Tschombé (sic) a
eu tort de se rendre directement à Léopoldville, car il risque fort d’y gâcher
ses chances » (186). La suite ne manque pas d’intérêt : « Il eût mieux valu
en fait de retourner à Élisabethville pour tenter de renflouer le Katanga et
se faire ensuite désirer à Léopoldville » (187). Enfin, le fonctionnaire élyséen
admet qu’il était favorable, en 1958, à la création de grands ensembles en
Afrique (in petto, un Empire Bas-Congo dirigé par Fulbert Youlou ?). Or,
il est aujourd’hui convaincu que « le fractionnement en petits États des
anciennes colonies africaines se révèle seul viable » (188). Seul le fédéralisme
peut épouser les complexités ethniques de l’Afrique Centrale. Si cette
dernière réflexion éveille l’attention, l’Élysée, rejoint par Kosciusko-Morizet,
souhaite désormais, et ouvertement, un Congo unitaire. Cette opinion ne
fut pas toujours la règle, notamment au moment où les États-Unis s’en
faisaient les défenseurs et que la sécession katangaise n’avait pas encore été
condamnée par Paris. En 1964, la France s’est adaptée à cette unité, et s’y
est ralliée. Comme dit plus haut, elle en fait même un élément indissociable
de la défense de la langue française au Congo.
Force est de constater qu’à l’Élysée, la politique qui avait été menée en
1960, visant à la formation d’un grand ensemble francophile en Afrique,
ou à la reconstitution d’unités territoriales au prix de recoupages de l’exColonie belge, après plusieurs coups d’États et plusieurs sécessions, est
passée de mode (189). Notons par ailleurs qu’il se dégage de ces entretiens une

gaulliste effectue plusieurs voyages dans les pays décolonisés (Raymond BARRE, Gilbert
BLADORNE & Henri SAVALL, éds, François Perroux. Le centenaire d’un grand économiste,
Paris, Economica, 2005).
(183) Jaspar à Spaak, 3 juillet 1964 (tél. n° 227) (AMAEB, n° 14363).
(184) Jaspar à Spaak, 3 juillet 1964 (n° 3957) (Idem).
(185) Le CNL était alors soutenu par l’Algérie, le Soudan, l’Égypte de Nasser et, bien
sûr, le Congo-Brazzaville.
(186) Jaspar à Spaak, 3 juillet 1964 (n° 3957) (AMAEB, n° 14363).
(187) Ibid.
(188) Ibid.
(189) Ces projets étaient soutenus par l’avocat Jacques-Arnold Croquez. Vétéran de
1939-1945, il avait été appelé à Léopoldville suite à une demande du « Comité de Défense
Abako » posté à Brazzaville. Conseiller de Youlou, il est aussi l’avocat de Kasavubu
(Charles-André GILIS, Kasa-Vubu au cœur du drame congolais, Bruxelles, Europe-Afrique,
1964, p. 143 ; V. GENIN, L’ambassade, op. cit., vol. 1, p. 165, 174, 220).

1094

9*(1,1

palpable sympathie pour Tshombé, revenu aux affaires le 30 juin. Mais cette
sympathie ne fut pas unanime : le retour de Tshombé a été accueilli avec une
certaine surprise par Spaak (qui, bien que ne l’admirant guère, n’espérait
pas le départ d’Adoula) et un sentiment d’inquiétude chez les Américains,
s’interrogeant sur les conséquences de cette nomination sur la « subversion »
de Pierre Mulele, dont l’influence, au départ du Kwilu, s’est étendue à l’Est
du Congo (cfr. infra) (190). Depuis plusieurs semaines, la tension est montée
d’un cran. En témoigne la démarche effectuée par Adoula, quelques jours
avant de quitter son maroquin, en juin 1964. Il avait délégué à Bruxelles un
émissaire, Lengema, chargé de solliciter une aide militaire des Belges. Spaak
hésite, ne tranche pas, et consulte l’ambassadeur américain à Bruxelles,
MacArthur II Douglas (successeur de Burden). Ce dernier affirme qu’aucune
opération militaire ne peut être envisagée sans un aval américain (191). La
politique de la consultation américaine de 1960 est toujours en vigueur.
Quant aux réseaux Foccart, ils sont moins dithyrambiques à l’égard
d’Adoula que ne le prétend la diplomatie belge. Il est jugé trop faible (192). Son
départ du pouvoir semble proche. Un conseiller du SGC se risque au pronostic :
« Atouts de Tshombé : sa popularité, ses alliances, les divisions de la
gauche […] Inconnues : Gizenga (détenu), Mobutu, ‘l’armée ne doit peutêtre pas faire de politique, mais en Afrique, la politique dépend toujours
de l’armée’. (193) »

Contre le CNL. Éviter de répéter l’« Affaire Trinquier »
Avec le départ d’Adoula, le retour de Tshombé aux affaires et
l’intensification de la rébellion déjà mentionnée, l’avenir devient incertain
au Congo. Mais qu’en est-il, au juste, de cette rébellion à laquelle nous
avons fait plusieurs fois allusion ? Suite à l’éviction des parlementaires
lumumbistes des Chambres, à Léopoldville, le 29 septembre 1963, les partis
composant cette opposition fondent un Conseil National de Libération (CNL),
le 3 octobre. Ce dernier plaide en faveur d’une « décolonisation totale et
effective du Congo dominé par la coalition des puissances étrangères ». Ce
CNL, notamment mené par le lumumbiste Christophe Gbenye, se réfugie
à Brazzaville, dont le gouvernement est, depuis août 1963, aux mains
d’Alphonse Massamba-Débat, plus sensible que Youlou aux projets de ces
opposants. En marge, depuis 1963, la « subversion » de Pierre Mulele, ancien
ministre de l’Éducation nationale de Lumumba, et représentant de Gizenga
au Caire, prend de l’importance. Exilé à Beyrouth en avril 1962, il y avait
tissé d’étroits contacts avec l’ambassade de Chine populaire et s’était vu
initié aux techniques de la guerilla. De retour au Congo en juillet 1963,
il jette les bases de sa guerre révolutionnaire au Kwilu. Plusieurs de ses
émissaires prennent contact avec le CNL de Brazzaville, bien que Mulele
(190) McSweeney à Davignon, 31 juillet 1964 (FPHS, 334/6401).
(191) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 607.
(192) Note sur le Congo, mai 1964 (AN, FJF, FPU, n° 265).
(193) Ibid.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1095

gardera toujours une certaine indépendance par rapport au CNL. En parallèle,
sur le front de l’Est (Nord-Katanga), en avril 1964, une autre révolution,
tendant également à faire tomber Adoula, est exportée par des activistes du
CNL de Brazzaville. Elle se met en marche, sous la direction des Simba,
dont la force se coule dans l’Armée Populaire de Libération (APL). Face à
la gravité de la situation, Joseph Kasavubu remplace Adoula par Tshombé,
revenu d’Espagne, au poste de premier ministre. Le président espère ainsi,
d’une part, éviter que Tshombé ne rallie la révolution, et, d’autre part,
qu’il parvienne à sceller la réconciliation nationale. En vain. Son retour, au
contraire, contribue à envenimer la situation. Le 5 août 1964, Stanleyville
tombe aux mains de l’APL. Le 5 septembre, la République populaire du
Congo, dirigée par Christophe Gbenye, meneur du CNL, y est proclamée.
Toutefois, ce CNL souffre de luttes intestines (nationalistes lumumbistes de
Gizenga ; partisans de l’URSS de Gbenye ; maoïstes de Mulele etc.) (194).
D’une part, Paul-Henri Spaak conseille à Tshombé de se rapprocher de
chefs d’États africains modérés. D’autre part, il prône un retour au calme à
Gbenye, chef du CNL. Il le reçoit à deux reprises en Ardenne, fin août (195).
Spaak espère un apaisement. Mais c’était sans compter sur les conseillers
de Christophe Gbenye et leurs « pernicieuses influences » (196). Le 19 août,
une « source américaine » – l’ambassadeur à Paris Charles Bohlen (197)? G.
M. Williams ? – affirme à Marcel-Henri Jaspar que Tshombé a contacté le
secrétaire général de l’ONU, U Thant, et celui de l’Organisation de l’Unité
Africaine (OUA) (198). Dans un langage évasif, on affirme à Jaspar que les
Américains seraient prêts à laisser l’OUA trancher les différends intraafricains. Mais il n’y croit guère. Les Américains veulent avant tout mettre
un « frein à l’anarchie », probablement soutenue par Pékin (199).
Cette crainte de Pékin n’est pas infondée, d’autant plus que sa
reconnaissance par la France fait depuis plusieurs mois les gros titres de la
presse internationale (200).
Le 20 août 1964, Jean-Marie Soutou reçoit George Mennen Williams,
chargé des African Affairs au State Department (201). Celui-ci revient d’un

(194) I. NDAYWEL È NZIEM, Nouvelle histoire du Congo, op. cit., p. 492-498.
(195) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 610.
(196) P.-H. SPAAK, Combats inachevés, op. cit., t. II, p. 273-275.
(197) Contact privilégié de Marcel-Henri Jaspar à Paris, Charles Eustis Bohlen est né
en 1904. Diplômé de Harvard, où ses condisciples commencent à l’appeler Chip, il est en
poste à Moscou (1934), et fut un des premiers diplomates à prendre connaissance du Pacte
d’Acier. Ambassadeur à Paris de 1963 à 1968, il se retire en 1969. Ses souvenirs posthumes
sont publiés en 1973 (Witness to History 1929-1969). Il décède en 1970 (C.J. NOLAN,
Notable U.S. Ambassadors, op. cit., p. 20-26).
(198) Créée suite à la conférence d’Addis-Abéba (mai 1963), l’OUA regroupe trente
pays décolonisés. Critique face aux ingérences de l’ONU au Katanga, on y retrouve autant
des membres du groupe de Brazzaville que de celui de Casablanca (Y. ZERBO, Nouvelle
histoire du Congo, op. cit., p. 125-127).
(199) Jaspar à Spaak, 19 août 1964 (tél. n° 267) (AMAEB, n° 14363).
(200) A. PEYREFITTE, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1078-1094.
(201) Le témoignage de Jean-Marie Soutou, bien que précieux, compte certaines
erreurs. Ainsi parle-t-il en août 1964 de sécession du Katanga, sans dire mot de Stanleyville.
Ce genre de confusion est sans conteste imputable au temps. En effet, ce livre est le fruit
d’entretiens qui ont eu lieu entre 1999 et 2003.

1096

9*(1,1

séjour à Léopoldville. Il a cherché à y contacter des agents français (202).
Williams a aussi croisé des Belges, sans donner de précisions sur ces
rencontres. Malgré la bonne impression que lui fait Tshombé, la pression
qu’il subit des lumumbistes et l’appui fragile qu’il reçoit de Kasavubu le
desservent fortement. Williams, dont l’opinion correspond aux échos reçus
par les diplomates belges, craint surtout que la Chine ne se mêle à l’affaire,
par le canal de Brazzaville, où se réfugie le CNL, et où la chute de Youlou
a ouvert des perspectives aux communistes (203). Un peu comme Paris et
Bruxelles, où l’on estime que les circonstances du retour de Tshombé ne sont
pas optimales, Washington est embarrassée par la situation. Les États-Unis
balancent, d’une part, entre une aide militaire à Tshombé, et, d’autre part,
un attentisme prudent. Celui-ci aurait pour but l’érosion de l’autorité déjà
contestée de Tshombé et, à terme, l’engagement de réels pourparlers avec
Kasavubu, plus apte, d’après Williams, à traiter avec les Simba. En marge
de cette réserve, Jacques Foccart souhaite relancer le soutien inconditionnel
de la France à Tshombé, qu’il préfère à Adoula, mais ne convainc guère De
Gaulle. « C’est un trop gros morceau » pour les services de Foccart dira
Soutou. Et puis, le président ne souhaite pas soutenir un prétendu homme
de paille de la CIA, pour la sauvegarde d’intérêts français qui ne sont ni
nombreux, ni lourdement menacés (204). La France a suffisamment pris de
risques dans les péripéties katangaises du printemps 1961.
Le 12 septembre, Werner de Mérode se rend derechef au Quai d’Orsay.
Il y expose la politique congolaise de Spaak. Le Quai lui confie qu’il
communiquera ces éléments aux 34 représentants de l’OUA « afin de les
informer de votre politique et leur demander d’user de leur influence pour
l’appuyer » (205). Ce soutien français à la Belgique est pour le moins réservé.
La distance est de mise. Il n’y aura pas de répétition de la politique katangaise
de la France, en 1960-1961, du genre de l’expédition du colonel Bistos. De
l’eau est passée sous les ponts.
Si les rapports entre Paris et Brazzaville se sont dégradés depuis la chute
de Youlou, le Quai d’Orsay se veut moins négatif que Jean Rossard, hautreprésentant de la France sur place. On glisse à de Mérode que ces troubles
n’ont rien d’alarmant. Ces pays doivent faire leur « maladie de jeune chien ».
Ils reviendront vers Paris, une fois déçus de Pékin et de Moscou. Le Quai
affirme ne jamais avoir craint une pénétration chinoise en Afrique, même si

(202) J.-M. SOUTOU, Un diplomate engagé, op. cit., p. 330.
(203) Lors d’une tournée africaine qu’elle effectue de janvier à mai 1964, le Dr. Elsie
Kuhn-Leitz (1903-1985), allemande de confession juive, définie comme une philanthrope,
est un soutien de Tshombé, louant sans mélange les bienfaits du colonialisme (Katrina M.
HAGEN, Internationalism in Cold War Germany, Michigan, ProQuest, 2008, p. 167-168).
Elle estime qu’un développement du communisme à Brazzaville risque d’accoucher d’un
« deuxième Vietnam », d’où partirait la subversion en direction de Brazzaville. Elle déplore
la passivité des Occidentaux à l’égard de la rébellion, en particulier celle de la France
(MRAC, FFV, Katanga II, Elsie Kuhn-Leitz au secrétaire général de l’OCD[E ?], 4 août 1964).
Un rapport de Kuhn-Leitz figure aussi dans Siegfried MUELLER, Les nouveaux mercenaires,
Paris, France-Empire, 1965, p. 263-287.
(204) R. FALIGOT & P. KROP, La Piscine, op. cit., p. 257-258 ; J.-M. SOUTOU, Un
diplomate engagé, op. cit., p. 332.
(205) Jaspar à Spaak, 12 septembre 1964 (tél. n° 310) (AMAEB, n° 14363).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1097

des liens entre Pékin et Brazzaville sont indéniables. Mais un constat, certes
à l’emporte-pièce, emporte leur opinion : « Trop de méfiance oppose le noir
au jaune » (206).
Ce scepticisme du Quai est sans doute l’expression d’une indifférence,
d’une lassitude d’être désinformé par rapport à l’Élysée. Depuis plusieurs
mois, la situation s’est tendue entre l’Elysée et le Quai. Les diverses sorties
de Foccart (parfois bridées par De Gaulle) suite aux chutes de Fulbert
Youlou, de Léon M’Ba, au Gabon, et devant la rébellion Simba, ont envenimé
ce contentieux institutionnel franco-français. Jaspar reçoit régulièrement
des télex peu optimistes d’André Bayot, diplomate en poste à Brazzaville.
Il relativise en une courte phrase l’esprit critique qu’il faut garder face aux
déclarations du Quai : « au-dessus du Quai, il y a l’Élysée » (207). Le Quai
est mis à l’écart.
Le Quai et l’Élysée divergent en profondeur sur leur conception de la
Belgique. Le premier tient à maintenir de cordiales relations avec Bruxelles
et ne souhaite pas les sacrifier en affichant un appui trop affirmé à Moïse
Tshombé. Le 18 octobre, ce dernier est à Paris. Il y rencontre Jacques Foccart.
Celui-ci lui promet une assistance technique française, complémentaire à
celle de la Belgique. Mais Jaspar relève qu’en plus de risquer de s’attirer
la susceptibilité belge, Paris doit ordonner ses rangs. Car ces techniciens
dépendent, selon leurs compétences, du Ministère de la Coopération, du Quai
d’Orsay ou des services de Foccart. Avant tout, le Quai souhaite éviter tout
incident avec Bruxelles (208). Et a fortiori sur la question de soutenir Tshombé
qui, s’il a un grand capital sympathie, à défaut d’être solidement soutenu par
Kasavubu, occupe une position fort instable au Congo.
Le retrait français (novembre 1964-janvier 1965)
La situation s’aggrave dans les semaines suivantes : échec des négociations
de Spaak en vue de garantir la protection des Européens de Stanleyville ;
début novembre, il convient, avec Averell Harriman, devenu Under Secretary
of State aux Political Affairs, d’une intervention de sauvetage, lors de laquelle
les parachutistes belges seraient aéroportés par des avions américains (209).
On avait pensé au même moment à coordonner cette opération avec un
renfort de troupes françaises, venu de Bangui (République Centrafricaine).
Mais l’ouverture française se rétracte dès que Paris apprend la participation
américaine (210). Il est toutefois remarquable que Bruxelles tienne la France
au courant de la situation en primeur. Dès les 16-17 novembre, c’est-à-dire
deux jours avant que Jaspar et Léopoldville ne le sachent, l’ambassadeur de

(206) Jaspar à Spaak, 8 octobre 1964 (n° 5530) (Idem).
(207) Ibid.
(208) Jaspar à Spaak, 19 octobre 1964 (tél. n° 344) (Idem).
(209) Spitzmüller à Couve de Murville, 13 août 1964 (DDF, t. II, 1964, p. 157-158, et,
de manière plus détaillée : AMAEF-LC, Afrique-Levant 1960-1965, Léopoldville, n° 45, téls.
n° 582-584, 586) ; Francis BALACE, « Les paras sautent sur Stanleyville », dans Les grands
évènements du XXe siècle en Belgique, Bruxelles, Reader’s Digest, 1987, p. 246-247.
(210) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 612.

1098

9*(1,1

France à Bruxelles, Henry Spitzmüller, est informé des détails de l’opération.
Ce geste est capital, d’autant plus que la France ne s’investit pas dans le
projet (211).
Il ne faut pourtant pas y voir un ostracisme de Jaspar, étant donné que
Louis Scheyven, son homologue à Washington, n’est pas non plus mis dans
la confidence. Il s’agit surtout de limiter le nombre de fuites éventuelles. Et
Spaak – si telle était sa pensée – n’a pas été mal inspiré. Le 19 novembre,
il envoie à Marcel-Henri Jaspar (à Paris), Louis Scheyven (à Washington),
Jacques de Thier (à Londres), André de Staercke (à l’OTAN) et Walter
Loridan (à l’ONU) un pli renfermant le déroulé des opérations et certaines
instructions. Toutefois, une fuite, venue de Londres, informe Tshombé de son
contenu, dans la soirée du 19. La presse s’empare rapidement de l’affaire.
Le Gouvernement belge publie un démenti, dans un premier temps, avant de
mettre fin aux ambigüités et de céder, dans la soirée du 20 (212). Bruxelles et
Washington obtiennent au forceps l’autorisation de Kasavubu de procéder à
l’opération, le 21. Dès lors, l’opération Dragon Rouge, prévoyant le largage
de 383 parachutistes belges sur Stanleyville, peut s’effectuer, de concert
avec l’opération Ommegang dirigée par le colonel Frédéric Vandewalle, à
la tête de cinq colonnes marchant sur le même objectif, le 22 novembre.
Le but est clair : mettre un coup d’arrêt à la rébellion. Le 24, André De
Staercke, représentant belge à l’OTAN, tient ses homologues au courant des
évènements (213).
Le 26, Jaspar obtient une audience de Couve de Murville. On y aborde
d’emblée les récents propos tenus à la sortie du Conseil des ministres par le
ministre de l’Information, Alain Peyrefitte, critiquant l’intervention militaire.
Couve tente de garder la face et affirme que ces paroles n’engagent que
son auteur qui, d’ailleurs, ne visait pas le gouvernement belge mais bien la
politique de Tshombé. Pourtant, en ces heures, jeter l’anathème sur Tshombé,
c’est aussi éclabousser Bruxelles. Le porte-parole du Quai d’Orsay, Claude
Lebel (214), donne une conférence de presse afin de dissiper toute équivoque
et déclare le 26, à midi : « Nous nous félicitons de ce que les otages aient
pu être sauvés ». Jaspar sort de l’entretien ; il y a vu un Couve « très
compréhensif de l’action entreprise par [la] Belgique à Stanleyville » (215).
Il n’empêche que les déclarations de Peyrefitte ont fait mouche.
Le 27, Jaspar en dit davantage à Spaak. Il a suggéré à Couve de Murville
de prononcer une déclaration relative à l’opération, au nom du gouvernement
français. Il s’agit d’évacuer le moindre doute. On y lirait, en substance, que
le gouvernement français se félicite de cette intervention « humanitaire »,
« à l’exclusion de tout caractère militaire ». Et qu’il apprécie le fait que
la Belgique compte opérer un retrait de ses troupes sous quarante-huit

(211) Spitzmüller à Couve de Murville, 17 novembre 1964 (DDF, t. II, 1964, p. 460-461).
(212) Kosciusko-Morizet à Couve de Murville, 21 novembre 1964 (Ibid., p. 478-480).
(213) Ibid., p. 614-615.
(214) Sur lui : J. BAILLOU, Les Affaires étrangères, op. cit., p. 691, 696 ; Charles
CHRÉTIEN, Les voies de la diplomatie. Affaires étranges..., Paris, L’Harmattan, 2010, p.
75-76.
(215) Jaspar à Spaak, 26 novembre 1964 (tél. n° 404) (AMAEB, n° 14363).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1099

heures (216). Couve de Murville parcourt ce texte. Il ne peut accéder
directement à cette requête. La Belgique ne peut demander à un ministre
français d’en désavouer un autre, même in petto. Il faut garder la face. Couve
promet qu’il y réfléchirait...Toutefois, en signe de bonne volonté, il délègue
Claude Lebel, afin qu’il répète à la presse étrangère que « le Gouvernement
français se félicite de la libération des otages [...] » (217). Des journalistes
interrogent Lebel sur la substance de l’entretien entre Marcel-Henri Jaspar et
Couve de Muville. Le porte-parole leur oppose une fin de non-recevoir. Que
retire Jaspar de cette affaire ? La suggestion de message qu’il fit à Couve
était sans doute trop ambitieuse, mais a probablement permis que soient
réitérés les bons sentiments de la France. Il n’est pas dupe de l’apparent
coup de crosse du duo Lebel-Couve, à destination de Peyrefitte. Il tente de
faire craquer le vernis, sans trop de difficulté :
« J’ai conclu provisoirement à une incartade de Peyrefitte implicitement
désavouée par [le] Quai [...] Quoiqu’ait pu en dire Couve, ma conviction est
faite à présent que la réticence française obéit à des directives supérieures.
[...] Le journal [gaulliste] La Nation du 27 novembre me paraît traduire
correctement [la] pensée du général de Gaulle en écrivant qu’il faut ‘faire
le départ entre les sentiments qu’un pays éprouve et la politique que le
même pays applique’(218)».

Tshombé se rend à l’Élysée le 1er décembre. De Mérode est convoqué
par Soutou. Ce dernier nie tout lien de cause à effet entre cette visite et
l’affaire de Stanleyville. « Au cours [de] conversations subséquentes, Soutou
a laissé paraître [la] contrariété éprouvée par Couve et son administration
devant [les] déclarations [de] Peyrefitte » (219). Le Quai d’Orsay doit nager
entre deux eaux. Même Soutou, pourtant belgophile, reste sur la réserve.
Jaspar et de Mérode sont bien conscients que Paris ne peut ni condamner ni
soutenir publiquement l’intervention belgo-américaine, au risque de perturber
les « sympathies africaines » de Paris. La France aurait-elle participé à
cette intervention, aux côtés des Belges, en cas de refus américain de s’y
impliquer ? La question reste ouverte. L’hypothèse est vraisemblable. Écartée
du Plan Greene, la France a pris l’habitude de garder son indépendance dans
les affaires africaines. Au nom de cette indépendance, même si cela peut,
dans un premier temps, se faire aux dépens de son influence, la France ne
participe pas à l’opération.
Le 1er décembre, Tshombé est à l’Élysée (220). La presse souligne le bon
accueil de De Gaulle. Les Belges se demandent d’ailleurs s’il « ne cache pas
un jeu français qui se découvre à point nommé et qui pourrait consister en un
plan de neutralisation du Congo » (221). Le 2 décembre, de Mérode rencontre
un collaborateur du général De Gaulle. Le président a déclaré à Tshombé

(216) Jaspar à Spaak, 27 novembre 1964 (tél. n° 406) (Idem).
(217) Ibid.
(218) Ibid.
(219) Jaspar à Spaak, 28-29 (?) novembre 1964 (tél. n° 407) (Idem).
(220) Jaspar à Spaak, 2 décembre 1964 (n° 6584) (Idem).
(221) Ibid.

1100

9*(1,1

qu’il était le seul à pouvoir sauver le Congo. L’Élysée nie toute éventuelle
« neutralisation », et n’y voit que des conjectures « délirantes » du journaliste
Philippe Herreman (222), du Monde. Le chef de l’État aurait également dit
que « l’aide militaire française n’a été ni demandée ni envisagée » (223), ce
qui contredit sensiblement la version de Foccart, dans ses souvenirs (224). La
note poursuit sur ce ton : « Par contre, Tchombé (sic) a demandé [l’]accroissement de l’assistance technique, notamment dans [l’]administration [...]
Sans s’engager De Gaulle a promis un examen » (225). Plutôt qu’un succès
pratique, Tshombé obtient un succès symbolique. Quant à l’accord sur l’aide
militaire, il ne sera signé qu’en 1974, onze ans après l’accord de coopération
technique et culturelle de juillet 1963.
Si l’aspect militaire de l’affaire de Stanleyville est derrière les protagonistes, tout le pan politico-diplomatique reste encore à dessiner et, surtout,
à défendre (226). Le 28 décembre, Werner de Mérode rencontre Jean-Marie
Mérillon (227), bras droit de Soutou. Il informe le Quai des entretiens SpaakTshombé, sans prendre position : « J’ai le sentiment, note de Mérode, que ce
refus de prendre position dissimule [du] scepticisme » (228). Son interlocuteur
se contente de lui confirmer sa (?) conviction que le salut du Congo se trouve
chez les modérés de l’OUA, présentés comme un glacis contre l’extrémisme.
Spaak pense également que Tshombé à tout intérêt à se tourner vers l’OUA,
bien qu’il doute de sa capacité de régulation (229). De Mérode ajoute que
l’anticommunisme du Quai est un « fait nouveau ». Sans conteste. Il faut
toutefois séparer le bon grain de l’ivraie dans ce que le Quai disait auparavant au diplomate belge. Ce dernier fait sans doute allusion à la sérénité des
juristes ou des africanisants du Quai face à une impossible implantation communiste, au contraire des réseaux Foccart. Mais, encore faut-il peser les circonstances dans lesquelles ces paroles sont soit synonymes de sincérité, soit
des litotes proférées afin de ne pas s’engager aux côtés des Belges au Congo.
Les tensions de Nouakchott (printemps-automne 1965)
L’affaire de Stanleyville est abordée par Spaak devant le Conseil Atlantique,
en janvier 1965. Il tente d’obtenir de Moïse Tshombé qu’il se rapproche de

(222) Il s’agit de Philippe Herreman. Le rejet direct de ses propositions par l’Élysée
peut s’expliquer en partie par la campagne qu’il avait menée durant la guerre d’Algérie en
faveur de l’autodétermination, bien avant qu’elle ne soit prônée par De Gaulle (en général :
Patrick EVENO, Histoire du journal Le Monde : 1944-2004, Paris, Albin Michel, 2004 ;
Gérard CHALIAND & Jean LACOUTURE, Voyage dans le demi-siècle. Entretiens croisés
avec André Versaille, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 167 ; Jacques THIBAU, « Le Monde ».
Histoire d’un journal. Un journal dans l’histoire, Paris, Jean-Claude Simoën, 1978, p. 381).
(223) Jaspar à Spaak, 2 décembre 1964 (tél. n° 411) (AMAEB, n° 14363).
(224) J. FOCCART, Foccart parle, op. cit., p. 265.
(225) Jaspar à Spaak, 3 décembre 1964 (tél. n° 413) (AMAEB, n° 14363).
(226) Jan HOLLANTS VAN LOOCKE, De la colonie à la diplomatie. Une carrière en
toutes latitudes, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 65-81.
(227) Qui est qui, op. cit., p. 1127.
(228) Jaspar à Spaak, 29 décembre 1964 (tél. n° 437) (AMAEB, n° 14363).
(229) M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 617.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1101

l’OUA, organisation panafricaniste et opposée à l’ONU. Le 6 janvier, Michel
Habib-Deloncle, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, prend la parole
au Conseil. Jean François-Poncet, sous-directeur à l’Europe Occidentale,
fort critique à l’égard de Spaak (230), souhaite qu’Habib-Deloncle ne se
« mouille » pas et suive ses directives à la lettre. Ce qu’il applique assez
bien ; son intervention est la copie conforme de la note de François-Poncet.
Après avoir formulé l’espoir déçu que la France avait fondé dans Tshombé et
défendu l’assistance technique complémentaire à l’accord culturel de 1963,
il en vient à la question. Il rappelle que la France n’a pas voté la récente
résolution de l’ONU impliquant une future intervention de l’OUA au Congo.
Selon lui, « une intervention ne change pas de nature par le seul fait qu’elle
devient africaine » (231). La France prétend aller jusqu’au bout de sa logique,
et s’oppose aux vues de Spaak. L’OUA est faible, divisée et bigarrée. De
Staercke se demande si l’intervention de l’OUA « ne donnerait-elle pas en
fait l’occasion aux états les plus extrémistes de prétendre imposer telle ou
telle équipe congolaise par des pressions extérieures ? ». Et conclut : « Nous
n’avons pas voulu prendre le risque de nous prêter à une telle manœuvre. (232)»
Le jour de cette réunion, à la Porte Dauphine, le représentant américain,
Averell Harriman, croise Couve de Murville. Harriman avait prêté main forte
à Spaak dans une assistance à l’OUA et agité la menace communiste qui
pèse sur le Congo (233). Harriman propose à Couve de coopérer, afin que la
France court-circuite le canal algérien d’aide aux rebelles congolais. Couve
ne plie pas. La France refuse de se « mouiller » au Congo (234). Harriman
tente une seconde sortie et suggère à Paris de rejoindre les belgo-américains
ou, du moins, de modérer certains pays africains à leur égard. Second
refus. Si la France doit jouer un rôle ou exercer une influence quelconque
en Afrique centrale, elle le fera, certes, mais en toute indépendance. Jaspar
note que, sur la question, le fossé entre le Quai et l’Élysée « s’amenuise ».
On lui rapporte que Paris craint que cette intervention « tapageuse » des
États-Unis – on prend soin de ne pas mentionner la Belgique – ne favorise
l’invasion communiste. Il est vrai que le Quai, initialement peu en proie à un
anticommunisme obsessionnel, a opéré une volte-face. Quant au général De
Gaulle, ses horizons ont sensiblement changé. La reconnaissance de la Chine,
en janvier 1964 et l’influence française en Amérique latine sont ses priorités.
Pour Jaspar, l’Élysée souhaite mettre un terme aux « mythes africains » et
opère un « désengagement prudent (235) ».
Paris et Bruxelles ne vivent décidément plus sur le mode de la coopération.
Mais bien celui d’une compétition en Afrique Centrale, certes mâtinée d’une

(230) Note de Jean François-Poncet sur l’intervention du secrétaire d’état au sujet
du problème congolais, 5 janvier 1965 (DDF, t. I, 1965, p. 4). Selon François-Poncet, la
manœuvre de Spaak « montre clairement que le principal souci à Bruxelles comme à
Washington est de partager avec d’autres en Afrique et en Europe, les responsabilités que
Belges et Américains sont actuellement seuls à endosser ».
(231) Rapport de De Staercke à Spaak, 6 janvier 1965 (FPHS, F335/D6423).
(232) Ibid.
(233) Ibid.
(234) Jaspar à Spaak, 12 janvier 1965 (n° 244) (AMAEB, n° 14642).
(235) Ibid.

1102

9*(1,1

bienveillance de façade et d’une lassitude que la France peine à dissimuler (236).
1964 fut une année charnière : arrivée de Kosciusko-Morizet, application
de l’accord franco-congolais, évocation d’un accord militaire, opération de
Stanleyville, indépendance de la politique français en Afrique centrale, en
partie consécutive de son éviction du Plan Greene. La tension franco-belge
persiste. L’ambassadeur belge à Léopoldville, le comte Charles de Kerckove
de Denterghem, envoie un long rapport manuscrit à Spaak au sujet d’une
intervention militaire belge que souhaite Tshombé, et dont Bruxelles ne veut
pas. La tension entre les Belges et les services de Kosciusko-Morizet enfle.
De Kerckove note, au sujet des « suspicions actuelles », que :
« Celles-ci attisées par les démonstrations de l’Ambassadeur de France [à
Léopoldville, Jacques Kosciusko-Morizet] font des ravages actuellement.
C’est votre personne et votre politique qui sont suspectes parce que c’est
vous qui avez déjà une fois négocié avec le gouvernement congolais sans
lui rendre le portefeuille, c’est vous qui référez le problème congolais à
l’OUA au lieu d’aider son gouvernement légal directement sans souci d’une
opinion internationale, impuissante par ailleurs. Ceci est le leitmotiv des
déclarations publiques de Kosciusko-Morizet y compris dans un speech à
une inauguration de journal !!! » (237).

Manifestement, le projet d’influence française dressé par KosciuskoMorizet en 1964 a porté ses fruits. Il a du moins piqué l’exaspération des
Belges. La situation ne s’améliore pas en février 1965. Pour sortir de l’ornière, Spaak envoie un de ses proches collaborateurs, Robert Rothschild, le
9 février, à Nouakchott (Mauritanie), où se réunissent quatorze dirigeants
africains, afin de fonder l’Organisation Commune Africaine et Malgache
(OCAM) (238). Quelle est, au juste, la mission de Rothschild ? Fin connaisseur
des questions congolaises, devenu ambassadeur belge à Berne, sa présence
est avant tout destinée à inviter la question congolaise dans les débats. Or,
deux émissaires de Moïse Tshombé ont été refoulés de Nouakchott, s’opposant au refus général d’aborder la question d’une contribution des pays
africains à une assistance (notamment militaire) en direction de Léopoldville.
Le Monde du 11 février et Le Courrier d’Afrique du 12 se font l’écho de
cette visite. Le but de Rothschild est donc d’obtenir cette assistance. Spaak
le soutient (239). Emissaire spécial du ministre en Mauritanie, Rothschild est
aussi, pour ainsi dire, le fondé de pouvoir de Tshombé à Nouakchott. Il y

(236) Au sujet de la concurrence franco-belge en Afrique Centrale dans le domaine de
l’assistance technique, de 1945 à 1960, on consultera Étienne DESCHAMPS, « Alliés objectifs
ou frères ennemis en Afrique Centrale ? Jalons pour une histoire de la coopération coloniale
technique franco-belge (1945-1960) », dans Jürgen ELVERT, Michel DUMOULIN & Sylvain
SCHIRMANN, éds, Ces chers voisins. L’Allemagne, la Belgique et la France, Stuttgart,
Steiner, 2010, p. 131.
(237) De Kerckove à Spaak, 20 janvier 1965 (FPHS, F3335/D6435).
(238) Celle-ci a été créée les 10-12 février 1965 à la suite de l’Union Africaine et
Malgache de Coopération Economique (UAMCE), mise en place en mars 1964, à Dakar.
(239) Congo 1965, Bruxelles-Paris, CRISP-INEP, 1966, p. 270.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1103

trouve un climat électrique (240). « L’ambassade de France (241) aussi était un
peu nerveuse, note-t-il. Elle ne comprenait pas bien la portée de ma mission
et croyait y déceler des objectifs machiavéliques dont elle était cependant
bien dépourvue » (242). Sa présence était d’autant plus curieuse, aux yeux
de certains, puisque les observateurs congolais avaient été « expulsés ».
L’ambassade de France en Mauritanie lui reproche, en invitant la question
congolaise, de faire émerger les divergences des États présents à Nouakchott
sur la question, et, ipso facto, de compromettre la création de l’OCAM (243).
Quel était donc son intérêt à demeurer à Nouakchott ? L’émissaire belge
est reçu par la plupart des dirigeants noirs et rencontre chez eux un appui
à Tshombé. Rothschild les rassure : le gouvernement belge souhaite un vif
rapprochement entre son ex-Colonie et les anciennes possessions françaises.
Mais l’OCAM ne peut faire ce pas sans consulter Paris. « Paris continue
d’exercer une influence très réelle dans les capitales de son ancien empire ;
les cadres militaires restent en grande partie français (244)». Plusieurs pays se
déclarent ouverts à une assistance militaire au Congo par le canal de l’OUA,
mais le blanc-seing de Paris, ici encore, est une condition sine qua non (245).
La France ne souhaitait pas que l’on parle du Congo à Nouakchott, alors
qu’il en fut largement question. Ce regroupement était, au fond, le fruit
d’une crainte commune d’être frappé par les mêmes déboires que le Congo.
Désormais, la balle est dans le camp de Tshombé...et de Paris.
La France est prompte à réagir. En apprenant la mission Rothschild, et la
perspective d’une introduction de Léopoldville dans l’OCAM, De Gaulle se
serait exclamé : « Les Belges sont insupportables ! Ils ne comprennent rien à
rien ! Il ne faut pas se laisser engager dans leurs histoires (246)». Marcel-Henri
Jaspar note que « l’irruption » de Rothschild et des émissaires de Tshombé
à Nouakchott a été mal perçue par le Quai (247).
Les diplomates français lui ont affirmé que les entretiens entre HabibDeloncle et Etienne Davignon, délégué par Spaak, se sont toutefois déroulés
dans une « grande franchise ». On lui précise que le « Gouvernement
français applaudit [les] tentatives pour attirer Léopoldville dans [l’]orbite
de l’Afrique francophone modérée (248)». Selon Jaspar, la France ne prendra
aucune initiative directe sans cette affaire, mais souhaite une fructueuse
collaboration franco-belge. Et lorsque Spaak téléphone à Habib-Deloncle,
en lui demandant l’intégration de Tshombé à l’OCAM, il s’entend répondre
que les Africains doivent s’arranger entre eux. Non-content de cette option,

(240) Les archives de Robert Rothschild, déposées à l’ULB, ne nous furent d’aucune
utilité pour l’affaire de Nouakchott. Toutefois, le chercheur y trouvera de nombreux rapports
relatifs à ses missions au Congo (1960-1961).
(241) Elle est dirigée par Jean-François Deniau, futur académicien.
(242) Rothschild à Spaak, 16 février 1965 (FPHS, F335/D6437).
(243) Ibid.
(244) Ibid.
(245) Bien que l’OUA soit également la proie d’une certaine influence anglophone,
tandis que l’OCAM est un levier politique du général de Gaulle (M. DE COSTER, Séjours
insolites au Congo, op. cit., p. 60-61).
(246) J.-M. SOUTOU, Un diplomate engagé, op. cit., p. 329.
(247) Jaspar à Spaak, 13 février 1965 (tél. n° 27) (AMAEB, n° 14642).
(248) Ibid.

1104

9*(1,1

Spaak se propose d’intervenir en personne. Couve de Murville juge préférable
qu’il ne bouge pas (249). Il semble que la volonté d’introduire Léopoldville
dans l’OCAM était surtout la volonté de Jacques Foccart (qui parviendra à
convaincre De Gaulle, au début réticent), afin d’effacer les reliquats de la
sécession katangaise, de contrebalancer l’influence de l’OUA et d’éloigner
le Congo d’une trop grande influence américaine, au grand dam de Larry
Devlin, représentant de la CIA au Congo. Ce dernier est d’ailleurs en froid
avec l’ambassadeur américain, Mac Godley, qu’il juge trop passif (certains
belges, comme Pierre Giraud, conseiller juridique de Tshombé, tenteront
d’exploiter, en 1965, les divergences américaines à Léopoldville) (250).
Quelques jours plus tard, les évènements de Nouakchott paraissent plus
clairs. Ils se décantent. Werner de Mérode rend visite à Habib-Deloncle
et à Jean-Marie Soutou. On lui confirme que la France nourrit les mêmes
sentiments que Rothschild au sujet de Tshombé. Nous y voyons l’aval français
dont les chefs d’États africains ont invoqué l’importance à Nouakchott
(cfr. supra).
« Cependant, il ressort de leurs confidences que plusieurs d’entre eux
étaient gênés, voire indisposés en voyant la Belgique parrainer aussi
ouvertement Léopoldville […] Il n’y a pas de preuve pour autant que
les résultats auraient été meilleurs sans l’apparition de Rothschild. » (251).

Cette clémence à l’égard de Tshombé, pour lequel Nouakchott est
une petit victoire diplomatique (on y a parlé du Congo, il a reçu l’appui
diplomatique du Sénégal, du Tchad, de la Côte d’Ivoire etc.) (252) ne fait pas
l’unanimité. Ainsi, M. Bicoumat, représentant de Brazzaville à Nouakchott,
fait circuler une brochure intitulée Complot contre le Congo-Brazzaville.
Il s’agit d’une référence à un pseudo-projet de Tshombé, visant à diviser les
deux Congo en quatre républiques dont une, fixée à Brazzaville, reviendrait au
président déchu et ancien parangon d’un Empire Bas-Congo : l’Abbé Youlou.
François-Poncet ajoute que « ce plan aurait été inspiré par les Portugais et
appuyé par les Belges » (253). Selon ces bruits, au contraire de la situation
de 1960, il n’est plus question d’un pré-carré francophile lorgnant sur la
future ex-Colonie belge, mais précisément de l’inverse (254). Car, si Youlou
était réinstallé par des belgo-portugais, cet (anti)communiste d’occasion
deviendrait un opposant à toute infiltration communiste, non plus pour le
compte de Foccart, mais bien pour celui de la Belgique. Le temps d’une
brochure, des questions que l’on croyait apaisées depuis trois ans, refont
surface. Certes, de manière éphémère.
Cette suspicion larvée de la France à l’égard de la Belgique se poursuit
au printemps. Marcel-Henri Jaspar reçoit des échos tardifs d’un de ses amis,
(249) Couve de Murville à Spitzmüller, 22 février 1965 (AMAEF-LC, Afrique-Levant
1960-1965, Léopoldville, CB 7-4, tél. n° 757).
(250) M. DE COSTER, Séjours insolites au Congo, op. cit., p. 80, 87-88.
(251) Jaspar à Spaak, 19 février 1965 (tél. n° 33) (AMAEB, n° 14642).
(252) Congo 1965, op. cit., p. 271.
(253) Note de la Direction des Affaires africaines et malgaches, 23 février 1965 (DDF,
t. I, 1965, p. 224-225).
(254) Sur les projets de Youlou en 1960 : V. GENIN, L’ambassade, op. cit., vol. I, p.
170-186 ; ID., « La réclamation », op. cit.

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1105

jeune journaliste de l’AFP, qu’il a connu en 1957, Claude Brovelli (255). Il a
rencontré Rothschild à Nouakchott, « dont la mission auprès de plusieurs
chefs d’État africains ne semblent pas des plus facile…Tout ces noirs
semblent un peu dépassés par l’imbroglio politique international. Quant au
Mali, où je me trouve, il poursuit son flirt très avancé maintenant avec la
Chine communiste ! » (256).
Sûr d’un prochain succès électoral, Tshombé, malgré la complexité de ses
rapports avec Bruxelles, est soutenu par elle. La volonté belge de rapprocher
Léopoldville de l’OCAM, comme nous l’avons vu, est une nouvelle pomme
de discorde entre Paris et Bruxelles. Jaspar en est conscient. Jean FrançoisPoncet affirme qu’à Ouagadougou, Abidjan ou Tananarive, les Belges,
« vraisemblablement soutenus par les États-Unis », soutiennent Tshombé et
sont sans doute à l’origine des troubles de Nouakchott. La main américaine
a donc sans doute été (depuis le début ?) aux sources de ces tensions (257).
Toutefois, le diplomate du Quai, après les tensions du début février, relativise
désormais l’impact de la mission Rothschild, qui, selon lui, n’a pas « obtenu
les engagements concrets qu’il recherchait, à savoir une participation
africaine dans le domaine (sic) militaire et électoral (258)». François-Poncet
ajoute que la politique belge, en plus de faire des vagues et, in fine, de
s’avérer infructueuse, est frappée de duplicité. La « duplicité » belge avait
déjà été pointée par le Quai, en d’autres circonstances (cfr. supra). En effet,
sa défense de Moïse Tshombé, d’une part, ne l’empêche pas de recevoir l’expremier ministre congolais, Cyrille Adoula, à Bruxelles, d’autre part, afin de
« faire pression » sur le premier ministre en fonction.
Léopoldville entre dans l’OCAM le 28 avril 1965. Quant à Tshombé, il se
rend à Paris du 27 au 31 mai. De Mérode s’en informe auprès d’un proche
de Jacques Foccart (259). Les commentaires ont évolué depuis Nouakchott.
Tshombé passe de « monstre belgo-américain » (dixit de Mérode) à « partie
intégrante de la francophonie africaine ». Outre la part de décorum, le bras
droit de Jaspar interprète cette visite comme un prélude à une accalmie des
tensions franco-belges en Afrique, « Peut-être même pourrons-nous espérer
un peu de collaboration active... » (260). Ces derniers mots en disent long
sur l’atmosphère franco-belge en Afrique centrale jusqu’alors. Et lorsque de
Mérode s’interroge sur les risques que court la Belgique dans le cas d’une
aide française trop importante, il estime qu’aucun impérialisme n’est à
craindre de l’Hexagone. Par ailleurs, il ne pense pas que les rivalités entre
assistants techniques français et autres « obéissent à des mots d’ordre venant
du haut » (261). Enfin, il en vient à ce qu’il nomme le « déphasage » entre
le Quai et l’Élysée, dont la démonstration s’accroît chaque jour. À titre
d’exemple, la dernière visite de Tshombé à Paris, dont les détails sont
connus des services de Foccart, n’est toujours pas parvenu à la Direction de

(255) C. Brovelli à l’auteur, 25 avril 2012.
(256) Brovelli à Jaspar, 4 mars 1965 (AGR, FMHJ, n° 332).
(257) Note de la sous-direction de l’Afrique, 5 mars 1965 (DDF, t. I, 1965, p. 261-268).
(258) Ibid.
(259) De Mérode à Spaak, 9 juin 1965 (n° 3204) (AMAEB, n° 14642).
(260) Ibid.
(261) Ibid.

1106

9*(1,1

l’Afrique-Levant (262). Cette réalité est une donnée que la diplomatie belge à
Paris mit un certain temps à réaliser. Ce « déphasage » se manifeste aussi
dans la conception que chacune des deux institutions se fait de la Belgique.
Jean-Marie Soutou ne notera-t-il pas :
« […] Quand on regarde attentivement quelle était l’attitude des Français
à l’époque, il y avait le même mépris à l’égard de la petite Belgique : il
n’y a qu’à laisser faire Léopold, ça dépassera leurs moyens et ça tombera
dans notre escarcelle ! […] Et c’est ce que je vois aussi ici. À aucun
moment, ni chez le général, ni chez Foccart, ni chez Couve, je n’ai trouvé
cette attitude qui aurait tenu compte de la Belgique [...] » (263) ?

L’été 1965 se place sous le signe de l’apaisement. Les « bonnes volontés »
bourgeonnent (264). Il y aura certes encore quelques frictions. Les agents
belges estimaient que l’assistance française avait tendance à y déborder de
son domaine scolaire et sanitaire, en vertu de l’accord de juillet 1963 (265).
Cette éclaircie est cependant toute relative. Elle peut s’expliquer par un
effet d’optique, un tarissement de dépêches sur la question, tandis que les
chancelleries sont accaparées par la crise européenne de la chaise vide, que la
Belgique est en phase pré-électorale et que les forces terrestres américaines
combattent au Vietnam. Et puis, il s’agit d’une période de transition en
Afrique. Les régimes tombent, que ce soit Youlou à Brazzaville ou M’Ba au
Gabon, ils opèrent une évolution sensible, comme Sékou Touré, à Conakry,
et cèdent parfois la place à un militaire, comme ce fut le cas à Léopoldville
en novembre 1965, alors que Tshombé et Kasavubu ne marchaient plus
dans le même sens. Ce tarissement de l’intérêt pour l’Afrique va jusqu’à
provoquer une notable discrétion quant à l’arrivée de Mobutu au pouvoir, le
24 novembre 1965 (266).
Conclusions
Dégageons quelques grandes lignes.
En premier lieu : les moyens et les zones d’influence évoluent. La période
étudiée est celle d’une adaptation de l’attitude des anciens colonisateurs :
comment rétablir une influence, dans un contexte généralisé de décolonisation ? Désormais, les concurrences occidentales en vue d’instaurer des
zones d’influence stables, notamment entre Paris et Bruxelles, se font par
organes interposés, par des canaux, qu’il s’agisse de l’UAM, l’OUA, l’OCAM ou
l’OAMCE, plus ou moins (dé)favorables à l’ONU. Ils sont d’ailleurs à l’origine

(262) Ibid.
(263) J.-M. SOUTOU, Un diplomate engagé, op. cit., p. 332.
(264) De Mérode à Spaak, 25 juin 1965 (tél. n° 161) ; Jaspar à Spaak, 22 juillet 1965
(tél. n° 186) (AMAEB, n° 14642).
(265) D’Avernas à Spaak, 5 novembre 1965 (n° 5611) (Idem).
(266) Marcel-Henri Jaspar notera, dans le bilan de 1965 : « La prise du pouvoir par
le général Mobutu n’a guère suscité de réactions à Paris, où l’on considère cependant son
putsch comme un précédent fâcheux, susceptible d’inspirer des militaires trop entreprenants
dans les pays voisins » (La France en 1965, p. 57 ; AGR, FMHJ, n° 2533-2534).

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1107

de mini-crises, se cristallisant autour de Léopoldville, que ce soit en 1963,
lorsque Bruxelles appréhende son introduction dans l’UAM (entendre : dans le
giron de l’ancienne CF) ou, lorsque, inversement, en 1965, Paris (sauf Foccart)
estime que l’entrée de Tshombé dans l’OCAM (a fortiori sans l’accord de la
France) risque de donner lieu à un « noyautage » de cet organisme par des
conseillers belges.
Notons que l’importance de Léopoldville, aux yeux de Paris, s’est accrue
en 1963, pour plusieurs raisons. D’abord, le renversement de Fulbert Youlou, à
Brazzaville, en août 1963, a rendu la région incertaine et en proie à la menace
communiste, bien que Youlou ait déjà fait des concessions aux lumumbistes,
dès 1961. Ensuite, le Katanga n’est plus au cœur de l’actualité. Il n’est plus
l’Enjeu du monde pour paraphraser le journaliste Pierre Davister (267) : en
janvier 1963, la sécession est totalement résorbée. Enfin, la signature d’un
accord franco-congolais, à l’été 1963, confirme ce déplacement du focus
vers Léopoldville. C’est un moyen, pour Paris, de jeter les bases d’une
politique d’influence et d’assistance, jusqu’alors aux contours fort flous et
incertains. L’année 1961 avait été marquée par des expériences maladroites
au Congo (allant d’expédients militaires à d’autres, diplomatiques), et
l’année 1962 fut une période pour le moins creuse, de transition, quant à la
place de la France au Congo. Se situant en marge de l’ONUC (1960-1964),
évincée du Plan Greene (1962-1963), relatif à l’assistance militaire, Paris
doit s’adapter au contexte et réagir au traité belgo-congolais de juin 1963.
Une politique d’indépendance au Congo s’organise en 1963. Celle-ci est
particulièrement attentive à minorer ses tentatives tapageuses du printemps
1961 au Katanga (Diur-Trinquier-Bistos) et à plaider en faveur de l’unité du
Congo-Léopoldville.
Dans cet échiquier africain, un des éléments les plus intéressants est
l’abbé Fulbert Youlou, président du Congo-Brazzaville, garant, aux yeux
des Occidentaux, d’une canalisation de la menace communiste, du moins
jusqu’en 1961. Après une période d’approche, toute une partie de la diplomatie belge, malgré les découpages territoriaux imaginés par Youlou, en vue
de reconstituer un empire Bas-Congo, au grand dam de Bruxelles, n’a pourtant pas été inquiété par l’abbé. Toutefois, il semble que l’éviction de son
conseiller-« barbouze », Alfred Delarue, en janvier 1961, contribue à raidir
les Belges face à Brazzaville, dont on soupçonne le président d’être sous
l’emprise des lumumbistes. Ses rêves d’ « Empire Bantou », vivaces en 19591960, sont encore vérifiés en décembre 1962. Une réminiscence de ces avatars émergera de manière fugace, après sa chute, en janvier 1965, sans suite.
Par ailleurs, les agents belges attendent avril 1964 pour être convaincus
que l’Élysée ne soutient plus la formation de « grands ensembles africains ».
En février 1965, il est question de bruits relatifs à un retour de Youlou, sous la
houlette belgo-portugaise, en vue de transformer les deux Congo (et l’enclave
portugaise de Cabinda) en quatre républiques. L’entrée de Léopoldville dans
l’OCAM contribuera à rassurer Paris, malgré certains atermoiements, et à
dissiper cette rumeur.

(267) Pierre DAVISTER, Katanga enjeu du monde. Récits et documents, Bruxelles,
Europe-Afrique, 1960.

1108

9*(1,1

Ce qui précède a été l’occasion de mesurer l’impact des tentatives de
développement de l’influence française au Congo sur les relations francobelges et, parfois, à un niveau multilatéral. La période allant de juillet 1960
à janvier 1961 témoigne d’une cordiale entente entre la Belgique et la France,
entente qui sera quelque peu brouillée par les expéditions Trinquier et Bistos
au Katanga. En parallèle, de juillet 1960 aux Accords d’Évian, en mars 1962,
l’attitude de la France à l’égard du Congo est indissociable de la question
algérienne. Lancer une compétition ouverte contre les Belges au Congo ne
serait-il pas compromettre le soutien de la Belgique en faveur de Paris, à
l’ONU, lors d’éventuelles sessions consacrées à l’Algérie (en 1957, Spaak
avait plaidé à l’ONU en faveur de la France) ? La balance du Quai d’Orsay
imposait aux diplomates cet équilibre complexe.
Une atmosphère de concurrence s’affirme dans le courant de l’année 1962, pour être confirmée en 1964, par la note, citée ci-dessus, de
Jacques Kosciusko-Morizet. Jusqu’alors, les diplomates français en poste à
Léopoldville depuis 1960, Paul Charpentier et Ghislain Clauzel, tous deux
conscients de l’importance d’y redéployer l’influence française, n’avaient pas
structuré cette action. À l’exception de l’accord de juillet 1963, sans doute
consécutif de l’éviction de la France du Plan Greene. Il fallu attendre que se
tasse le souvenir de la participation de français à la sécession du Katanga,
que celle-ci se résorbe, que Youlou soit renversé, laissant la place à un régime ancré à gauche à Brazzaville, et que, in fine, Paris réalise qu’il se doit
de réagir et de se faire une place dans le Congo post-ONUC (à laquelle il ne
participa pas). Kosciusko-Morizet sera un moteur de poids. En suivant une
ligne qui, au fond, n’a jamais été perdue de vue par le Quai d’Orsay depuis
l’Acte de Berlin de 1885 : une percée des Britanniques au Congo doit être
compensée par une réponse française. La dissolution de la Fédération de
Rhodésie-Nyassaland (1963) n’a pas totalement dissipé les appréhensions de
Paris. Il est également interpellant de souligner à quel point les Britanniques,
ou, à la rigueur, la nébuleuse « anglo-saxonne », représentent encore une
menace, au détriment des Américains. Même si, après Nouakchott, en janvier
1965, Paris soupçonne Rothschild d’opérer sous l’impulsion des États-Unis,
ce que l’on pensait déjà de Spaak auparavant.
À cet égard, il est intéressant de remarquer une constante dans les
relations belgo-américaines, au sujet du Congo (1960-1965) : la consultation
de Washington (via les ambassadeurs en Belgique, Burden, MacArthur II
Douglas) par Bruxelles, à la veille de toute opération d’envergure. Les deux
pays resserreront leurs liens après le parachutage sur Stanleyville, fin 1964.
Ce climat de bonne entente contribuera fortement à considérer la mission de
Rothschild à Nouakchott, début 1965, comme une tentative belgo-américaine
de tuer dans l’œuf la création de l’OCAM. Le désengagement manifeste de la
France devant l’affaire de Stanleyville, à l’automne 1964, et son agacement
à l’égard de la mission Rothschild mettent fin à une phase de concurrence à
peine feutrée. Les mois courants jusqu’à l’avènement de Mobutu sont frappés
au coin de la bonne volonté. Cette situation, qu’il nous a paru opportun de
choisir comme terminus ad quem, est bien entendu provisoire.
En marge, certains diplomates français (Jean François-Poncet, JeanMarie Soutou) ont ménagé les Belges, en les rassurant régulièrement. Qu’ils
affirment que la France ne trame aucun projet impérialiste au Congo ou,

LA FRANCE ET LE CONGO EX-BELGE (1961-1965)

1109

qu’ils arguent, comme Soutou, avec sincérité, que l’opposition gaullienne à
la Belgique ne mène à rien.
Enfin, une dernière conclusion se dégage : l’accroissement du fossé entre
le Quai d’Orsay et l’Élysée. En 1960, le Quai (bien qu’il eût une attitude
ambiguë en février 1961, face aux menées de Trinquier) s’était opposé à
la sécession du Katanga et avait affirmé sa peur des communistes, tandis
que l’Élysée, lui, craint surtout que les richesses du Congo n’échoient à la
Rhodésie. Le général De Gaulle, au contraire des États-Unis, n’est pas opposé
à la sécession en 1960-1961 ; par la suite, Paris la condamnera. La diplomatie
belge ressentira la différence entre le Quai et l’Élysée, avec acuité, à partir de
l’automne 1964. L’Élysée reçoit Tshombé tandis que le Quai d’Orsay préfère
ne pas hypothéquer ses relations avec Bruxelles ; Alain Peyrefitte critique
l’intervention de Stanleyville, suite à quoi le Quai publie un démenti à peine
voilé ; le Quai affirme sa « Peur du chinois » en décembre 1964, quelques
mois après la reconnaissance de Pékin par De Gaulle. Le Quai se désengage
des affaires africaines et tente de renforcer son identité.
RÉSUMÉ
Vincent GENIN, La France et le Congo ex-belge (1061-1965). Intérêts et influences
en mutation
L’histoire de la décolonisation est indissociable de celle des intérêts de l’Occident
dans les États nouvellement indépendants. Le cas particulier des relations francobelges offre une perspective riche et peu explorée. Mise au ban de l’ONU, à l’été
1960, dans le contexte de la crise congolaise, la Belgique a toutefois pu compter sur
le soutien de la France, elle-même immobilisée par le dossier algérien. Sur la base
d’archives inédites, il paraît instructif d’étudier l’évolution de la politique française
au Congo ex-belge, de 1961 à 1965. Paris, dont la politique d’influence outre-mer
est une donnée primordiale, va-t-elle consacrer autant d’énergie au Congo ex-belge
qu’aux anciens territoires de la Communauté Française ? Quels sont les formes, les
protagonistes et les canaux (officiels et officieux) de cette influence ; dans quelle
mesure s’adapte-elle au contexte postcolonial et exerce-t-elle un impact sur les
relations franco-belges ?
Décolonisation – Congo – Katanga – Nouakchott – Brazzaville – Quai d’Orsay –
Diplomatie belge – ONUC – SDECE – Anticommunisme – Impérialisme – de Gaulle –
Spaak – Relations franco-belges – Mistebel – Communauté Française – Afrique
Équatoriale Française.
SAMENVATTING
Vincent GENIN, Frankrijk en ex-Belgisch Congo (1961-1965). Belangen en
invloeden in mutatie
De geschiedenis van de dekolonisatie is onlosmakelijk verbonden met die van de
belangen van het Westen in staten die pas onafhankelijk werden. Het bijzondere
geval van de Belgisch-Franse betrekkingen biedt een rijk, maar weinig onderzocht

1110

9*(1,1

perspectief. Omwille van de Congolese crisis werd België tijdens de zomer van
1960 in de VN behandeld als een paria, maar toch kon het rekenen op de steun
van Frankrijk, dat zelf werd geconfronteerd met de Algerijnse kwestie. Het loont
de moeite om op basis van nieuwe archieven, een onderzoek in te stellen naar de
evolutie van de Franse politiek in het voormalige Belgisch Congo, van 1961 tot
1965. Voor Parijs bleef de invloed in overzeese gebieden een essentieel element
van de buitenlandse politiek : heeft het evenveel energie gestoken in het voormalige
Belgisch Congo als in zijn eigen ex-kolonies ? Wie waren de hoofdrolspelers van die
officiële en informele invloed, en welke middelen werden aangewend ? In hoeverre
heeft Frankrijk zich aangepast aan de postkoloniale context en heeft die kwestie een
impact gehad op de Frans-Belgische betrekkingen?
Dekolonisatie – Congo – Katanga – Nouakchott – Brazzaville – Quai d’Orsay –
Belgische diplomatie – ONUC – SDECE – Anticommunisme – Imperialisme – de
Gaulle – Spaak – Belgisch-Franse betrekkingen – Mistebel – Franse overzeese
Gemenebest – Frans-Equatoriaal-Afrika.
ABSTRACT
Vincent GENIN, France and the Former Belgian Congo (1961-1965) : Interests and
Influences in Mutation
The history of the decolonization is inseparable of that of Western interests in
recently decolonized states. The specific case of the Franco-Belgian relations offers
a rich and unexplored research domain. While Belgium, as a consequence of the
Congolese crisis, was treated as a pariah in the UN during the summer of 1960, it
could however count on the support of France, itself confronted with the Algerian
affair. On the basis of new archives, it is worth while studying the evolution of French
policy in the ex-Belgian Congo from 1961 till 1965. France considered its overseas
influence as a key element in its foreign policy ; did it invest as much energy in the
former Belgian Congo as in its own former empire ? Which were the forms and the
means (both official and informal) of this influence, and who were its protagonists ?
To what extent did France adapt to the postcolonial context ? Did this problem affect
the Franco-Belgian relations ?
Decolonization – the Congo – Katanga – Nouakchott – Brazzaville – Quai d’Orsay –
Belgian diplomacy – UNOC – SDECE – Anti-Communism – Imperialism – de Gaulle –
Spaak – Franco-Belgian Relations – Mistebel – Overseas French Community –
French Equatorial Africa.

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