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Il n’existait jusqu’ici aucun outil permettant d’identifier et de localiser toutes les sources disponibles relatives à la période coloniale belge. Les chercheurs et la société civile réclamaient une boussole pour faciliter l’accès aux archives. C’est désormais chose faite.
Les Archives générales du royaume et l’Africa Museum ont publié un guide en deux volumes. Ce sont deux livres de plus de 1000 pages chacun, qui permettent comme un GPS de se repérer dans 20 kilomètres d’archives sur les colonies belges, dans plus de 80 institutions de conservation en Belgique.
Deux ‘pavés’ qui ont pour titre : "Belgique, Congo, Rwanda, Burundi. Guide des sources de l’histoire de la colonisation". Volume 1 et 2, édités chez Brepols. Ils sont vendus à 65 euros, à la boutique des Archives générales du Royaume. Mais surtout, on peut consulter le contenu de chaque volume sur les sites web des Archives de l’état www.arch.be et de l’éditeur www.brepolsonline.net.
Un outil qui répond à une triple nécessité : scientifique, sociétale et mémorielle, soulignent les archivistes qui ont travaillé à l’ouvrage. "On voit que le débat sur les colonies belges est très passionné, ajoute le secrétaire d’Etat en charge de la politique scientifique, Thomas Dermine. C’est pour cela qu’il est nécessaire de s’appuyer sur une base scientifique, factuelle. Les archives sont une excellente base. Encore fallait-il y avoir accès de manière tout à fait transparente". Ce travail a reçu le soutien notamment de la Politique scientifique fédérale (Belspo).
"Je pense que nous sommes à un moment historique, poursuit Thomas Dermine. La plupart des membres du gouvernement et du parlement n’ont pas vécu la période coloniale. Il y a une responsabilité historique au sein du gouvernement et du parlement, de faire ce travail de mémoire".
Que contiennent ces deux volumes ?
Chaque livre répertorie des fonds d’Archives, c’est-à-dire un ensemble d’archives (registres, images, lettres, cartes, plans, PV etc.) qui sont produites par une personne (un particulier, un missionnaire) ou une institution (la Défense, la Sureté de l’état ou encore les Affaires étrangères), dans l’exercice de ses fonctions.
"Dans ces deux volumes, chaque fond d’archive est renseigné à l’aide d’une notice", explique Bérengère Piret, archiviste aux Archives de l’Etat. "D’une part, elle identifie le producteur d’archive : une institution ou l’individu. D’autre part, elle donne une description de ce fond d’archive".
Ces deux volumes ne sont donc pas des inventaires d’archives. "Cette description reste au niveau macro", précise encore Bérengère Piret. "Par ailleurs, il existe des inventaires qui ont déjà fait l’objet de publications. D’autres inventaires n’ont pas encore commencé, comme celui de la Sureté coloniale dont les archives viennent d’être confiées aux Archives de l’Etat".
L’ouvrage, qui a été rédigé par plus d’une trentaine d’archivistes et historiens, reste un travail collectif immense, sur une période de dix ans.
En quoi cet outil est-il utile ?
Ces deux volumes permettent d’identifier et de localiser toutes les sources disponibles relatives à la période coloniale belge. "Cela peut intéresser un chercheur qui prépare une thèse en histoire de la justice durant la période coloniale ou une métisse issue de la colonisation qui cherche à retrouver sa mère dont il a été séparé, un citoyen belge qui souhaite partir sur les traces de son grand-père fonctionnaire colonial ou encore un gouvernement africain qui cherche à régler un litige frontalier", énumère Marie Van Eeckenrode, archiviste aux Archives de l’Etat.
C’est elle qui a notamment la charge du transfert des archives africaines depuis les Affaires étrangères aux Archives de l’Etat.
L’outil sera également utile à la mise en œuvre du programme de restitution qu’a proposé Thomas Dermine. A priori, deux catégories d’objets préservés dans les collections muséales belges sont concernées : la première rassemble des pièces dont on a la preuve scientifique qu’elles ont été acquises ‘de manière illégitime’. L’autre catégorie regroupe des objets dont il n’a pas pu être déterminé que la Belgique les a acquis de façon légitime. Ces pièces-là doivent encore faire l’objet d’études de provenance.
Pour autant, toutes les archives ne sont pas consultables. "Il y a deux exceptions, nuance Bérengère Piret. Les documents classifiés ne peuvent pas être donnés en consultation. Ensuite, il existe une législation qui protège la vie privée, parmi lesquelles le RGPD (les Règles de protection de la vie privée)".
De fait, certaines archives de la Défense concernant l’assassinat de Patrice Lumumba sont encore classifiées. Et dans le cas d’une personne métisse qui est à la recherche d’un parent biologique, la consultation n’est pas toujours possible. "Cela dépend, explique Marie Van Eeckenrode. Si la personne qui fait l’objet de la recherche est décédée, le dossier est alors consultable. En revanche, si elle est encore en vie, le demandeur attendra le décès. La vie privée s’arrête avec la vie".
Ce guide intéressera de nombreux chercheurs et citoyens. "C’est un outil très important. Il y a vingt ans, il n’aurait pas vu le jour. Cela n’aurait pas été possible", souligne Jean Omasombo, chercheur et politologue au Musée de Tervuren.
L’outil intéressera certainement aussi la Commission parlementaire dite ‘Commission Congo’, qui depuis un an est chargée d’examiner le passé colonial belge. Le sujet est très sensible pour beaucoup de congolais et belgo-congolais. Tous réclament la vérité.
"L’Histoire n’est pas faite uniquement pour lire le passé, ajoute Jean Omasombo. C’est parce que le présent fait mal, parce que le présent est difficile à maîtriser qu’on se réfère à l’Histoire. Connaître les bases de cette Histoire, nous permet d’avancer pour le futur".
Pour autant, Jean Omasombo attend de voir. "Qu’y a-t-il dans ces archives et quels types d’archives s’y trouvent ? Parfois, nous ne les connaissons pas". Et d’ajouter avec amertume : "Tout le monde ne participe pas à ce travail. Le Rwanda, le Burundi, le Congo restent des mains qui reçoivent. Le mal que nous ressentons aujourd’hui, nous Africains, c’est que nous ne participons aux choix. Nous restons encore des enfants et cela nous fait mal".
Parmi les sujets sensibles, Jean Omasombo en énumère deux. "Je regrette par exemple, qu’aujourd’hui encore, on continue à dire ‘La sécession du Katanga’. Je pense que c’est faux ! ‘Il y a eu sécession’ au Katanga. Un certain nombre d’acteurs ont été poussés par les Belges. Concernant l’assassinat de Lumumba, je dirais que 90% de choses sont connues. Il y a les archives qui sont ouvertes et celles qui sont encore classifiées. Pourquoi celles-là ne sont pas encore ouvertes ?".
Et Jean Omasombo de conclure : "Ce guide est un grand pas. Mais cela ne doit pas être une fin".
Un outil lisible ?
Pour autant, sur des sujets aussi sensibles, ces deux volumes rendent-ils visibles des données dont nous n’aurions pas eu connaissance sans eux ? "Cette question est triple", répond Pierre-Alain Tallier, chef de département pour les archives de l’Etat. Il a supervisé la rédaction du guide. "Elle concerne la classification, la description et l’accessibilité. Concernant la classification, on y a recours dans certains cas pour des raisons de sécurité. Par exemple, pour protéger des sources ou protéger des intérêts économiques. Mais il faut que cette classification puisse être levée à un moment donné, pour contrôler ce que fait l’Etat. Des lois ont été proposées en ce sens et nous avons bon espoir que le travail parlementaire aboutisse".
"Concernant la description et la description", ajoute Pierre-Alain Tallier, "quand bien même les documents classifiés ne sont pas consultables, ils sont listés et décrits dans le guide. Concernant les dossiers sur Lumumba et sa mort, on a fait un effort particulier pour le signaler".