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Les adultes ne les ont pas protégés. Ce sont 105 enfants orphelins rwandais, rescapés des tueries, qui mettent douloureusement par écrit, en 2006, leurs souvenirs d'avant, pendant et après le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994. Douze ans ont passé, ils sont alors devenus de jeunes femmes et hommes, mais c'est au présent qu'ils revivent leurs souvenirs. C'est dans des cahiers d'écolier et avec des mots qui sont encore ceux d'enfants (le plus jeune avait 5 ans) qu'ils écrivent la montée vers l'horreur, les atrocités des mois d'avril à juillet 1994, l'insécurité qui perdure plusieurs années encore (au Zaïre en particulier), la survie au milieu des tueurs.
Découvrir cette violence à travers les yeux étonnés d'enfants qui ne savent pourquoi leur instituteur demande leur « ethnie » ni d'où vient que les autres écoliers les briment, ni ne comprennent comment d'autres villageois, compagnons de veillée de leurs parents, se muent en bourreaux le 7 avril 1994 et dans les semaines qui suivent, ni ne savent que faire de leur survie aux massacres, nous aide à saisir un peu mieux la radicale étrangeté de la mécanique exterminatrice qui s'est abattue sur les Tutsi du Rwanda. Une femme se souvient de la fillette de 8 ans qu'elle était : « Je me suis levée parmi les cadavres. Je n'ai pas su quoi faire. De ma vie, je n'avais jamais vu une personne morte. […] J'ai commencé à assembler les têtes coupées aux corps qui leur appartenaient. »
Ces témoignages, rédigés en kinyarwanda avaient été collectés par une ONG de survivants rwandais et sommeillaient depuis dans les archives. Hélène Dumas les a traduits. A partir de ces récits, elle retrace une histoire du génocide immergée dans la documentation vive (on lui devait déjà le remarquable Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Seuil, 2014) et en tire un livre témoin qui écoute, éclaire et commente. Insoutenable et essentiel.
Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi, 1994-2006, Hélène Dumas, La Découverte, 2020, 200 p., 19 E.
François-Xavier Fauvelle est professeur au Collège de France.