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Lors de sa visite au Rwanda, en septembre 1990, Jean-Paul II avait déclaré qu’il aimerait canoniser un couple et que ce soit un couple rwandais. « Les Rugamba ne l’avaient pas rencontré, mais tout le monde, alors, avait pensé à eux », sourit François-Xavier Ngarambe, responsable de la communauté de l’Emmanuel au Rwanda (1), qui les a bien connus.
Ce vœu du pape polonais pourrait bien se réaliser… En effet, vendredi 17 septembre, l’archevêque de Kigali, Mgr Thaddée Ntihinyurwa, ouvrira officiellement les causes de canonisation de Cyprien et Daphrose Rugamba, dans la cathédrale Saint-Michel de la capitale rwandaise. « La réputation de sainteté de ce couple, répandue dans tout le pays, a poussé la communauté de l’Emmanuel à demander l’ouverture de leurs causes de canonisation », peut-on lire dans un communiqué publié mardi par l’Emmanuel. Cette annonce intervient plus de vingt ans après le génocide qui, dans ce pays alors fleuron du catholicisme africain, a fait plus de 800 000 morts, et où les blessures sont encore vives. Y compris dans l’Église catholique qui a compté en son sein victimes et bourreaux.
« Ce n’est pas pour leur martyre mais pour l’héroïcité de leurs vertus que l’on ouvre ce procès »
Eux-mêmes, Cyprien et Daphrose Rugamba furent assassinés au premier jour de ce génocide, le 7 avril 1994. Toutefois, « ce n’est pas pour leur martyre mais pour l’héroïcité de leurs vertus que l’on ouvre ce procès », précise François-Xavier Ngarambe. « De leur vivant déjà, ils étaient admirés et aimés par tous », poursuit-il, rappelant qu’en lançant un premier week-end communautaire les 22 et 23 septembre 1990, le couple avait fondé l’Emmanuel dans le pays. Quatre ans plus tard, la communauté y comptait une centaine de membres ; elle en rassemble aujourd’hui un millier, ce qui fait du Rwanda le second pôle de l’Emmanuel après la France.
Au début de leur mariage, en 1965, Cyprien, alors âgé de 30 ans, n’avait plus la foi. « Il l’avait perdu pendant ses deux années et demie au séminaire », précise François-Xavier Ngarambe. Après des études d’histoire au Burundi et en Belgique, ce haut fonctionnaire avait acquis une certaine célébrité dans le pays comme musicien, compositeur et chorégraphe. Daphrose, née, elle, en 1944 et originaire du même village que Cyprien, dans le sud du Rwanda, était enseignante ; elle se consacrera par la suite à l’éducation de ses dix enfants.
Leurs premières années conjugales furent difficiles et Daphrose priait pour la conversion de son mari. C’est au sanctuaire de Kibeho où il s’était rendu en 1982 – peu après les apparitions mariales, un an plus tôt – qu’il « revint au Christ ». « Sa conversion avait fait du bruit à l’époque, car il était très connu dans les milieux culturels et dirigeait l’Institut national de recherche scientifique », commente François-Xavier Ngarambe.
Cyprien et Daphrose s’engagent pour l’évangélisation des couples africains
À partir de cette date, la vie du couple se transforme : leur amour déborde autour d’eux. Convaincus de l’action guérissante du Christ au sein des familles, Cyprien et Daphrose s’engagent pour l’évangélisation des couples africains. Avec leur groupe de prière charismatique, ils témoignent aussi d’une attention particulière aux malades et aux enfants abandonnés. Leur nom a d’ailleurs été donné au centre « Cyprien et Daphrose Rugamba » qu’ils avaient créé à Kigali deux ans avant le génocide, pour recueillir une quarantaine d’enfants des rues, et qui est géré depuis 1995 par Fidesco.
S’il avait refusé de s’engager politiquement – Cyprien aimait dire qu’il « était du parti de Jésus » –, ce chrétien courageux n’en dénonçait pas moins les appels à la violence entre Hutus et Tutsis et le climat croissant de guerre civile. « Ses chansons engagées déplaisaient à certains et faisaient de lui une personnalité inscrite en tête sur la liste des gens à abattre », poursuit François-Xavier Ngarambe. Les Rugamba furent assassinés à leur résidence, avec six de leurs dix enfants. Ils avaient passé toute la nuit en adoration eucharistique, pressentant leur fin prochaine mais ne cherchant ni à fuir, ni à se cacher. Leur fils rescapé, l’artiste Dorcy Rugamba est l’un des auteurs de la pièce de théâtre « Rwanda 94 » qui sera récompensée par de nombreux prix internationaux (2).
Pour mener à bien ces deux causes de canonisation, le diocèse de Kigali a nommé une commission diocésaine. Le postulateur choisi à Rome est Waldery Hilgeman (également vice-postulateur de la cause de Chiara Lubich), assisté par deux vices postulateurs : le religieux philippin Reginald Cruz et François-Xavier Ngarambe.
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L’Église au Rwanda, blessée par le génocide
Il n’existe pas de statistiques sur la composition ethnique du clergé catholique rwandais en 1994. On estime que 70 % des 400 prêtres étaient tutsis et que 7 évêques (sur neuf) étaient hutus.
130 prêtres, 65 religieuses et 47 religieux auraient perdu la vie au cours du génocide, victimes de l’un ou l’autre camp.
Le 5 juin 1994, le Front patriotique rwandais a tué trois évêques à Kabgayi : Mgr Thaddée Nsengiyumva (évêque de Kabgayi et président de la Conférence épiscopale), Mgr Vincent Nsengiyumva (archevêque de Kigali) et Mgr Joseph Ruzindana (évêque de Byumba). Ils ont été tués avec neuf prêtres, ainsi que le supérieur général des frères joséphites.
Plusieurs prêtres et religieuses rwandais ont été condamnés pour avoir participé au génocide : deux sœurs réfugiées en Belgique ont été condamnées par un tribunal de Bruxelles en 2001 ; trois prêtres ont été jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), dont le P. Hormisdas Nsengimana, acquitté ; les P. Athanase Seromba et Emmanuel Rukundo, jugés coupables, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement.
(1) Rescapés de Kigali, de François-Xavier Ngarambe, Yvonne-Solange Kagoyire et Jean-Marie Twambazemungu (trois membres de l’Emmanuel ayant survécu au génocide de manière « miraculeuse »), Éd. de l’Emmanuel, 265 p., 22 €, avec un CD de François-Xavier Ngarambe (lire La Croix du 12 juin 2014).
(2) Créée en 2000 aux théâtres de Liège et de Bruxelles.