Fiche du document numéro 29009

Num
29009
Date
Vendredi 17 septembre 2021
Amj
Taille
35031
Sur titre
Procès
Titre
Rwanda : la guérilla d’un ancien héros de Hollywood financée depuis l’Europe
Sous titre
Le procès de Paul Rusesabagina, l’ex-héros du film «Hôtel Rwanda» accusé d’être devenu un opposant à la tête d’un groupe armé, a permis de révéler l’importance des flux financiers venus d’Europe pour financer sa guérilla.
Nom cité
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Lieu cité
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RDC
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FLN
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
«Continuez, nous sommes ensemble», encourageait Paul Rusesabagina dans un message envoyé sur Whatsapp à un certain «Jeva», le 21 janvier 2019. Le premier est alors en Europe, le second dans une jungle perdue au cœur de l’Afrique centrale. Plus précisément en république démocratique du Congo (RDC), d’où ce chef de guerre, de son vrai nom Antoine Hakizimana, avait lancé un mois auparavant une attaque meurtrière contre le Rwanda voisin, qui officiellement n’est pas en guerre. Mais depuis 2018, des attaques récurrentes visent le sud-ouest du pays, attribuées à un groupe armé, le Front de libération national (FLN), qui cherche à déstabiliser le régime en place à Kigali, entre les mains encore aujourd’hui de ceux qui ont pris le pouvoir après le génocide des Tutsi en 1994.

Les encouragements formulés par Rusesabagina depuis l’Europe ne sont qu’un des nombreux textos présentés au cours des huit mois d’audiences du procès de cet ancien hôtelier de 67 ans, longtemps considéré comme un héros au moment du génocide, avant de révéler un visage bien plus sombre. Ce lundi, le verdict de ce procès entamé en février devrait être rendu. Le procès visait celui qui avait inspiré en 2004 à Hollywood le film Hôtel Rwanda. A ses côtés dans le box des accusés, 17 autres assaillants et responsables présumés impliqués eux aussi dans des attaques meurtrières, qui n’ont fait que des victimes civiles, assimilées à du «terrorisme» par le parquet de Kigali. Dès les premiers interrogatoires après son arrestation fin août 2020, Rusesabagina avait reconnu avoir personnellement transmis 20 000 euros au FLN et avoir organisé des levées de fond pour le groupe armé.

Mais sans surprise, le verdict (il risque la perpétuité) suscitera de véhémentes polémiques. Car l’homme qui a longtemps prétendu avoir préservé la vie de plus d’un millier de Tutsis à l’hôtel des Mille Collines à Kigali en 1994 bénéficie toujours de nombreux soutiens aux Etats-Unis comme en Europe, où ses proches mais aussi de nombreuses fondations et ONG le considèrent encore comme un héros. Lui le Hutu, l’ethnie au nom de laquelle a été perpétré le génocide, apparaît encore à leurs yeux comme ce «Juste» qui n’a écouté que son courage. Pourtant, la légende a depuis longtemps été écornée par ceux qui l’accusent d’avoir été bien plus passif, et d’avoir même monnayé la survie des Tutsis cachés dans son hôtel. Mais entre-temps, le héros hollywoodien est également devenu un farouche opposant en exil au président rwandais Paul Kagame, alors à la tête de la rébellion qui fera fuir les génocidaires hors du pays en juillet 1994, avant de prendre le pouvoir. Du coup, les accusations sur le rôle réel de l’hôtelier pendant le génocide ont été systématiquement rejetées par ses partisans comme autant de manipulations pour le discréditer.

Financements venus d’Europe



Reste que le procès qui s’est ouvert à Kigali en février n’était pas celui d’Hôtel Rwanda, mais bien du rôle joué par Rusesabagina depuis son exil en Belgique (où il a vite obtenu la nationalité belge) puis depuis les Etats-Unis, où s’était récemment réinstallé cet homme devenu richissime grâce à ses conférences, son autobiographie devenue un best-seller (Un homme ordinaire) et sa fondation.

Au fil des audiences et des éléments du dossier judiciaire, s’est dessinée une galaxie complexe de soutiens et de réseaux de financements organisés principalement depuis l’Europe pour mener une guerre secrète en Afrique. Ces organigrammes de flux financiers via Western Union, qui figuraient dans le dossier d’accusation, ont en réalité été établis grâce à l’enquête de travail de la police judiciaire belge dont la coopération avait été sollicitée par Kigali. Le 21 octobre 2019, la police belge perquisitionnait ainsi simultanément le domicile de Paul Rusesabagina près de Bruxelles et ceux de plusieurs de ses complices présumés. Elle saisissait alors des carnets, du matériel informatique et ces téléphones où vont apparaître les fameux échanges avec le terrain, dont celui cité plus haut.

Selon un document saisi sur l’ordinateur de l’opposant, ce dernier exprimait le souhait d’«intensifier les opérations des FLN à l’intérieur du pays». Les relevés d’opérations financières découverts attestent de transferts d’un montant de 38 482 euros en faveur de la lutte armée visant à déstabiliser le Rwanda. La Belgique cherche aujourd’hui à identifier ces donateurs et mène désormais sa propre enquête pour financement du terrorisme.

«Quotas ethniques»



Dans son ordinateur, Rusesabagina détenait également une liste de contacts en France, disposant même de relais dans quatorze structures associatives de la diaspora rwandaise implantées dans l’Hexagone. L’activisme de Paul Rusesabagina lui a également permis d’approcher les milieux d’anciens militaires français qui ont servi au Rwanda entre 1990 et 1994. Dans la liste des sympathisants actifs de son parti en France figure ainsi un certain Charles Geldof, membre de l’association France Turquoise. Depuis 1994, cet homme défend «l’honneur de l’armée française» contre les soupçons sur son rôle au Rwanda avant le génocide, comme pendant l’opération humanitaire Turquoise déclenchée in extremis lorsque les génocidaires commençaient à perdre la guerre face à la rébellion de Kagame. Lors des assises de son parti en 2012 à Bruxelles, Rusesabagina avait d’ailleurs salué la présence de Charles Geldof qui s’était donc rendu sur place. «Notre ami Geldof a représenté France Turquoise lors d’une conférence, point final. Il n’y a aucune relation entre France Turquoise et Paul Rusesabagina», affirme aujourd’hui le colonel de gendarmerie à la retraite Michel Robardey, vice-président de l’association.

Mais quelle aurait donc été la vision de Paul Rusesabagina s’il avait pris le pouvoir ? Au nom de quelles idées revendiquait-il ces opérations militaires ? La réponse se trouve dans un document stocké sur l’ordinateur de l’ancien hôtelier et sobrement intitulé «projet de gouvernement». S’il était parvenu à prendre le pouvoir, Paul Rusesabagina prévoyait notamment d’organiser la vie du pays selon des «quotas ethniques». Une politique raciste similaire à celle qui conduisit à la mort d’un million de personnes au Rwanda entre avril et juillet 1994.

Au regard de ces révélations, les conditions rocambolesques de l’arrestation de Paul Rusesabagina apparaissent sous un nouveau jour. Certes, l’opposant devenu chef d’un groupe armé n’est pas rentré de son propre gré dans son pays natal, qu’il avait quitté en 1996. Et où il n’était brièvement revenu qu’en 2004, lors de la projection du film Hôtel Rwanda. Piégé par un de ses contacts, un évangéliste, devenu en réalité la taupe des services secrets rwandais, l’opposant pensait se rendre au Burundi voisin en jet privé lorsque l’avion a en réalité atterri à Kigali, le 28 août 2020. Un enlèvement, comme l’ont aussitôt dénoncé ses proches et plusieurs associations des droits de l’homme ? Tout dépend justement de l’étiquette que l’on attribue à Rusesabagina : opposant ou chef de groupe armé terroriste ? Sur place, les Rwandais ont suivi avec assiduité ce procès diffusé en direct à la télévision. Mais en refusant d’assister aux audiences, laissant ses avocats se contenter de dénoncer «un procès politique», l’ex-héros d’Hollywood a en réalité accentué l’impact des révélations sur les financements venus d’Europe pour mener une guerre dans un petit pays d’Afrique.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024