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Le collectif d'organisations et de personnalités réclamant la «vérité» sur le Rwanda s'estime en état de légitime méfiance. Hier, lors d'une conférence de presse au siège de Médecins sans frontières (MSF), il a énuméré ses desiderata avant même que le rapport de la mission parlementaire d'information sur le Rwanda, annoncé pour décembre, soit publié. Pour ne pas être déçu, Rony Brauman a donné le ton en avertissant : «Nous ne lâcherons pas le morceau. Si le rapport est flou, nous continuerons à nous battre jusqu'à ce que la vérité soit établie.» Ni l'ancien président de MSF ni, à ses côtés, Claudine Vidal, chercheuse au CNRS, ne semblaient convaincus par les déclarations du président de la mission, Paul Quilès, qui a annoncé, le 15 septembre, que «l'intégralité des 106 heures d'auditions», conduites entre mars et juillet, serait annexée au rapport. Fustigeant la «pratique du secret», le «caractère ultraconfidentiel du travail de la mission», voire une «opacité soigneusement entretenue», les deux porte-parole ont réclamé un engagement ferme sur la publication des auditions à huis clos, de même que des documents confidentiels «déclassifiés» auxquels les parlementaires auront eu accès. «Nous demandons aux parlementaires de résister aux divers clans politiques de l'exécutif, a expliqué Claudine Vidal, rappelant que 53 des 88 auditions ont eu lieu à huis clos. Devant la commission d'enquête parlementaire belge sur le Rwanda, seulement 9 sur 109 auditions ont été conduites à huis clos.»
Le 8 avril, peu après la constitution de la mission parlementaire française, Lionel Jospin a imposé le huis clos pour l'audition des fonctionnaires d'Etat. Ainsi, sur 32 militaires interrogés par les députés, 30 l'ont-ils été à huis clos, et 19 diplomates sur 20. Puis, cet été, la «déclassification» de documents sensibles n'a été concédée par l'exécutif qu'à la suite d'âpres débats. «Le doute est nourri par les huis clos», a résumé Brauman. Le collectif estime qu'une «liste exhaustive des documents relatifs au Rwanda, dont les autorités civiles et militaires ont disposé entre 1990 et 1994, avec un résumé des informations que contient chaque document» devraient être joints au rapport.
Un questionnaire, adressé à la mission d'information, identifie les zones d'ombre persistantes. Le collectif voudrait que le rapport rende «visible la chaîne des décisions successives» ayant engagé la France au Rwanda, qu'il explique l'absence de réactions face aux «dérives criminelles» du conflit et qu'il clarifie la nature des «pressions» exercées par Paris pour y mettre fin. Sur le plan militaire, la lumière devrait être faite sur les «implications» de soldats français, les livraisons d'armes après le début du génocide et les opérations militaires de la France au Rwanda. La dernière d'entre elles, l'opération Turquoise en juillet 1994, «n'a pas été conçue comme une intervention armée devant s'opposer militairement aux tueries». Or, selon le collectif, «l'idée qu'il était possible de s'opposer avec succès au génocide paraît crédible».
Depuis l'appel du collectif, en mars, revendiquant une enquête parlementaire sur les responsabilités françaises au Rwanda, l'ONG Survie s'est ajoutée aux signataires (associations pour la défense des droits de l'homme, organisations humanitaires et personnalités du monde académique). Cette adhésion a suscité des débats, Survie étant un lobby partisan et son président d'honneur, Jean Carbonare, conseiller à la présidence rwandaise.