Citation
1/ «J’AI PROPOSÉ UNE RELECTURE DE L’HISTOIRE DU DRAME RWANDAIS »
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Péan fait de l’attentat
contre Juvénal Habyarimana,
non pas le prétexte
ou le déclencheur, mais LA
cause, l’origine absolue
d’un génocide qui n’aurait,
sinon, pas eu lieu. Si l’on
peut concevoir que Kagame
a en effet commandité l’attentat
— ce qui n’a jamais
été prouvé et reste une
hypothèse parmi d’autres
—, il n’en reste pas moins
que le génocide a été planifié
et exécuté avec, pour
ressort principal, une haine
des Hutus contre les Tutsis
savamment nourrie pendant
des dizaines d’années.
La théorie du « double
génocide », en assimilant
indûment les crimes de
guerre de Kagame à un
autre génocide, banalise,
relativise ou nie le caractère
absolument spécifique de la
violence dont ont été victimes
les Tutsis. Comme
l’écrit Yves Ternon,
historien spécialiste
de l’histoire des
génocides et des
négationnismes1:
dans le cas du
Rwanda, « le négationnisme
se structura
autour de quelques affirmations
qui permettaient de
dissimuler l’intention criminelle
— constitutive du
crime de génocide — sans
nier la réalité des massacres
et de soutenir la thèse du
« double génocide » […].
Celle-ci fut émise dès le
début du génocide, soutenue
par la France au dix-huitième
sommet franco-africain
de Biarritz, les 8 et
9 novembre 1994. Les massacres
de civils hutus par les
forces armées du nouveau
gouvernement rwandais au
Rwanda et au Zaïre, après le
génocide, renforcèrent cette
approche négationniste,
alors que ces massacres, bien
réels, ne relevaient
pas d’une politique
de génocide ».
Péan cherche à
minimiser la portée
de l’événement
génocidaire en le
réduisant à la
simple étape d’une
séquence historique beaucoup
plus vaste. Le génocide,
englouti comme un
détail, devient alors périphérique
et marginal. Dans
son pavé de cinq cents
pages sur la tragédie rwandaise,
Péan ne consacre
ainsi qu’un chapitre d’une
vingtaine de pages au
génocide lui-même. Et, à
l’intérieur de ce chapitre,
trois lignes au massacre des
Tutsis. Pour ce qui est des
chiffres, il se contente
d’avancer une unique estimation
reposant sur un
unique témoignage, pour
contredire les décomptes
officiels de l’ONU et réviser
à la baisse le bilan des
massacres : il n’y aurait pas
eu 800000 morts tutsis,
mais « seulement »
280000… Tout le reste de
son livre concerne les
crimes de guerre et les
massacres commis par l’armée
du FPR. Jusqu’à lui
faire endosser les trois à
cinq millions de morts des
conflits qui se sont déroulés
dans l’ex-Zaïre et qui,
en dix ans, ont impliqué
une dizaine de pays. Si, à
Charlie Hebdo, nous n’avons
jamais confondu Kagame
avec Mère Teresa, cette
relecture comptable de
l’histoire nous semble
quelque peu exagérée…
1. À lire d’Yves Ternon: Guerres et
génocides au XXe siècle. Architectures
de la violence de masse, Odile
Jacob; Du négationnisme. Mémoire
et tabou, Desclée de Brouwer.
2/ «JE SUIS D’ACCORD AVEC LE JUGE BRUGUIÈRE»
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Péan ne cesse de se référer
aux conclusions du juge
Bruguière, dont il ne fut
pourtant pas le dernier à
reconnaître, sur d’autres
enquêtes, les « méthodes
expéditives » de
« barbouze » et sa propension
à « donner crédit rapidement
à un rapport dont
les trucages [sont]
visibles ». (Dans Manipulations
africaines, Plon, 2001,
un chapitre entier [p. 64-
72] est consacré à une virulente
critique du juge Bruguière.)
Notons que l’un des
« témoins clefs » de l’enquête
sur l’attentat, Emmanuel
Ruzigana, accuse le
juge Bruguière de mensonge
et «réfute
catégoriquement»,
dans une lettre
ouverte, tous les
propos qu’il lui
attribue. Notons
aussi qu’aujourd’hui
le rapport du juge
est surtout appelé en
défense par les présumés
génocidaires qui comparaissent
au TPIR. Et non des
moindres: le « cerveau » du
génocide (Bagosora) et
deux des fondateurs de la
RTLM (Nahimana et
Barayagwiza).
Péan n’est pas en reste.
Depuis la parution de son
livre Noires fureurs, blancs
menteurs, l’enquêteur-
écrivain est
devenu le chouchou
des Rwandais accusés
de génocide et
le cauchemar des
rescapés. Il a ainsi
été cité comme témoin de
contexte par la défense de
l’assassin présumé des dix
Casques bleus belges dont
le procès se déroulait à
Bruxelles, au printemps
dernier.
3/ «IL N’Y A DE MA PART AUCUNE OBSESSION, SAUF CELLE DE LA VÉRITÉ»
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Péan s’étant donné pour
mission de démasquer tous
ceux qui ont intérêt à
cacher « la vérité
officielle », il s’emploie à
dresser la liste de tous les
journalistes, historiens,
chercheurs, intellectuels,
acteurs politiques qui ne
partagent pas son point de
vue et les diffame dans des
attaques ad hominem
ultraviolentes. Dans cette
cinquième colonne sont
répertoriés: les « associations
tiers-mondistes et
humanitaires », la FIDH,
les « anti-France », Jean-
Pierre Chrétien, spécialiste
de l’Afrique des grands lacs
au CNRS, l’ONU,
« les mariés à une
Tutsie », BHL, la
revue Golias et
« une grande partie
de la gauche française
(le PCF, la
LCR, les Verts et une fraction
du PS)… ». Également
classés au rang des
comploteurs: les associations
comme Survie, la
Cimade ou Agir ici,
« le protestant
Michel Rocard », la
plupart des grands
reporters qui ont
couvert les événements,
les institutions
protestantes,
les associations de rescapés
du génocide, une mystérieuse
Imma T., « qui
parlait bien et pleurait
facilement »… Et en Belgique,
la cohorte des
francs-maçons, des laïcs
juifs, des libéraux francophones,
des protestants et
des anticléricaux. Sans
oublier « les stratèges de
l’Empire pour lesquels l’affaiblissement
de la France
en Afrique reste un objectif
prioritaire… ».
4/ «J’AI MENÉ MON ENQUÊTE AVEC MES MÉTHODES HABITUELLES»
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Parlons-en… Péan ne s’est
jamais rendu au Rwanda —
pas plus que Bruguière,
d’ailleurs —, parce qu’il s’estime
déjà suffisamment bien
informé par ses sources françaises,
pourtant incomplètes,
et dont il ne
retient, de surcroît, que
ce qui conforte sa
thèse. Ainsi, dans son
livre Noires fureurs,
blancs menteurs, met-il
en doute la planification du
génocide: « Ce que personne
n’a prouvé jusqu’à maintenant,
malgré les efforts du
TPIR. »
Il est néanmoins avéré,
aujourd’hui — grâce, notamment,
à ces fameuses archives
de l’Élysée que l’enquêteur a
pourtant eues en main (voir
Le Monde du 2 juillet 2007:
« Ce que savait l’Élysée ») —,
que, dès 1990, la France avait
une connaissance précise de
la dérive génocidaire du gouvernement
de Kigali.
Et que Paris, malgré
cela, a continué d’encadrer
et de former
les militaires du
régime génocidaire,
couvert les exactions,
reçu officiellement, le
27 avril 1994, deux des
hommes les plus compromis
dans les massacres (le
ministre des Affaires étrangères,
Jérôme Bicamumpaka,
et le leader extrémiste du
CDR, Jean-Bosco Barayagwiza),
poursuivi ses livraisons
d’armes malgré l’embargo
voté par l’ONU, exfiltré et
accueilli en France les cerveaux
planificateurs du
régime, refusé de sauver le
personnel tutsi de sa mission
diplomatique… Autant de
détails sur lesquels Péan
n’insiste pas.
Par ailleurs, il nous
reproche de ne pas pouvoir
« contester les faits [qu’il]
avance ». Voici donc un petit
fait que l’on conteste pour la
route… Péan explique que
sous le régime d’Habyarimana,
jusqu’à la guerre d’octobre
1990, « aucune violation
majeure à caractère
ethnique n’a eu lieu ». Ah
bon? Le régime d’Habyarimana
était pourtant basé sur
une discrimination raciale où
les mentions de l’ethnie
étaient inscrites sur les
cartes d’identité et où, du
fait des statistiques raciales
et de la politique des quotas
ethniques, les Tutsis étaient
tenus à l’écart de la vie
politique.
5/ COLETTE BRAECKMAN ET RENÉ DÉGNI-SÉGUI
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Colette Braeckman, spécialiste
de la région des
grands lacs et grand
reporter au quotidien
belge Le Soir, s’insurge
contre l’utilisation que
Péan fait de son travail,
estimant que ses analyses
sont totalement dévoyées
dans ce droit de réponse.
Elle déclare à Charlie
Hebdo: « Sur l’Afrique on
s’autorise à proférer de
telles ignominies, à rendre
les victimes et leurs
proches responsables de la
tragédie. Si en Europe
quelqu’un s’avisait de
rendre les sionistes — qui
rêvaient de fonder un État
juif — directement ou
indirectement responsables
d’Auschwitz, il serait mis
au ban d’infamie. Non seulement
Péan a fait un
mauvais livre, sur la base
d’une enquête incomplète
et biaisée, mais surtout, il
s’est rendu coupable
d’une mauvaise
action qui
aggrave encore la
douleur des victimes
du génocide
et creuse le fossé
rwandais. »
Quant à René Dégni-
Ségui, détourner à ce
point ses propos est un
tour de force. Cela fait
treize ans que l’ancien
rapporteur spécial de
l’ONU répète inlassablement
que, si l’attentat
contre l’avion du président
Habyarimana semble
bien être la « cause
immédiate » du génocide,
il n’en est pas pour
autant le fondement:
« En janvier 1994, nous
révélions déjà qu’un génocide
se préparait
au Rwanda: la
population était
conditionnée, des
armes étaient distribuées
aux habitants
et aux
milices dont on
assurait l’entraînement. »
L’attentat contre l’avion a
offert aux génocidaires le
« prétexte providentiel »
qu’ils attendaient, a-t-il
encore une fois martelé,
le 26 avril dernier, lors du
procès de Bernard Ntuyahaga,
devant la cour d’assises
de Bruxelles.
6/ «CHARLIE HEBDO M’ATTRIBUE UNE PHRASÉOLOGIE RACISTE»
RÉPONSE DE CHARLIE HEBDO
Vous en voulez une
preuve de plus ? Selon
Péan, le « lobbying »
machiavélique de l’internationale
tutsie est tel
que leurs associations
« ont infiltré les principales
organisations internationales
et d’aucuns
parmi leurs membres ont
su garder de très belles
femmes tutsies vers des
lits appropriés… ». Péan,
qui est poursuivi pour
« diffamation raciale » et
« incitation à la haine
raciale » par SOS
Racisme, tente d’accréditer
ses thèses en s’abritant
derrière les discours
de ceux qu’il présente
comme d’éminents spécialistes.
Ce faisant, il ne
s’interdit pas de manipuler
la vérité : par
exemple, contrairement à
ce qu’il affirme, les
« travaux » de l’« historien
» Nyetera — auxquels
il consacre quasiment
un chapitre —
n’ont pas eu l’heur de
convaincre les juges du
TPIR. Son Analyse historico-
socio-politique et culturelle
du Rwanda, de l’ère
précoloniale à nos jours n’a
tout simplement pas été
examinée par la cour :
« Non pertinent », a tranché
le juge. Quant à
l’« historien » lui-même :
« Au vu de son curriculum
vitæ, je ne
constate aucun
domaine d’expertise
précis au-delà des
beaux-arts », a
sobrement relevé le
substitut du procureur.
Le TPIR lui a donc
refusé le statut de témoin
expert par deux fois, le
7 février 2002 et le
4 juillet suivant. Seuls les
avocats de la défense des
« présumés » génocidaires
ont su saluer la fulgurance
de sa pensée : il a été cité
comme témoin des faits
par trois fois au TPIR. Cela
peut se comprendre. Non
seulement Nyetera est
devenu l’un des experts de
la « culture du mensonge »
chez les Tutsis, mais, en
plus, il est le champion de
la théorie de la relativité
génocidaire. Au procès de
l’ex-ministre des Transports
Ntagerura, en
juillet 2002, il a doctement
déclaré : « Jusqu’à
aujourd’hui, le TPIR n’a pas
trouvé la preuve d’un complot
de génocide, ni
dans le temps, ni
dans l’espace… »
Selon Nyetera, les
Tutsis qui se sont
fait découper à la
machette par les
Hutus sont ceux
« dont la complicité avec
le FPR était notoire ». Et à
la question du représentant
du parquet : « Les
bébés massacrés étaient-ils
aussi des complices ? »,
Nyetera a sobrement
répondu qu’il s’agissait là
de « débordements », la
situation étant devenue
« pourrie, gâtée », suite à
l’intensification des combats
par le FPR. Voilà le
bonhomme auquel se
réfère Péan comme s’il
s’agissait de Lévi-
Strauss…
Quant à Paul Dresse,
que cite également Péan,
c’est encore autre chose.
Présenté comme étant un
« ancien agent territorial
», il est avant tout un
écrivain nationaliste,
catholique réactionnaire et
admirateur de Maurras, qui
ne cache pas ses compagnonnages
idéologiques :
pour rédiger la préface
élogieuse de son Ruanda
d’aujourd’hui (1940), il
choisit Pierre Daye, député
rexiste, journaliste dans la
presse pronazie belge et
dans Je suis partout, qui
sera condamné à mort pour
collaboration en 1946…
Péan prétend, en parlant
de sa propre enquête,
qu’il « apporte un matériau,
comme doit le faire un historien
». Il fait beaucoup
plus: il épouse la lecture
ethniciste et raciste des
auteurs auxquels il se
réfère. Ainsi finit-il par
réciter sa leçon bien
apprise: « La culture du
mensonge et de la dissimulation
domine toutes les
autres chez les Tutsis. »
Cette dernière phrase appartient
en propre à Péan.