Sous titre
Sans papiers, sans statut, sans garantie. L’Etat veut « sélectionner » ses immigrés. Qui pourra rester, qui pourra partir ? Eugène, médecin d’origine rwandaise à Lille, sans-papiers, s’interroge sur son sort…
 
Citation
Eugène Rwamucyo, et
 même plutôt le docteur
 Eugène Rwamucyo, est
 une incohérence administrative.
 Un couac de plus dans les
 pages encore ouvertes de l’immigration
 en France. Une coquille,
 une erreur ? Pour être
 exact, aux yeux de l’administration,
 Eugène Rwamucyo n’est
 pas.
 Il n’est pas un médecin d’origine
 rwandaise âgé de 46 ans,
 avec toutes sortes de diplômes
 4 étoiles qui lui débordent des
 poches, il n’est pas toxicologue,
 spécialiste de l’hygiène au travail.
 Il n’est pas le praticien attaché
 que désespère d’embaucher
 le centre hospitalier de Lille. Il
 n’est pas pour le moment un
 médecin sous-exploité et sous-payé
 pour faire fonction d’« infirmier
 » aux urgences de Calmette.
 Il n’est pas un Rwandais
 qui a appris le russe pour se former
 en médecine à Leningrad,
 chassé de son pays, amoureux
 des idéaux qui font de la France
 une terre d’espoir, de liberté et
 de droits. Il n’est pas père de famille…
 « Je n’ai pas de papiers,
 je ne suis rien, c’est comme un
 déni de mon existence. En plus
 de ne pas avoir le droit d’asile,
 je n’ai pas le droit de vivre ».
 Voilà avec quoi Eugène Rwamucyo
 se réveille tous les matins.
 En ce moment, il entend partout
 parler de la loi Sarkozy sur
 l’immigration dite « choisie » et
 avoue qu’il ne comprend pas
 parfaitement tout. De ce qu’il a
 pu saisir comme informations
 sur les textes votés mercredi à
 l’Assemblée, les nouvelles dispositions
 n’auraient pas que du
 mauvais : « Après tout, quand
 j’écoute les grands principes de
 la loi, je me dis que la carte “talents
 et compétences”, c’est
 tout moi ! ». Ce serait même
 pour lui la fin d’une certaine
 forme moderne d’esclavage.
 Aujourd’hui, Eugène Rwamucyo
 n’a pas le droit de choisir et
 n’est pas en mesure de négocier.
 Employé en contrats précaires
 depuis 2003 au CHRU de
 Lille, ce Rwandais a un temps
 fait fonction de médecin : « Je
 gagnais deux fois moins qu’un
 médecin français. Quand je faisais
 des gardes le week-end, elles
 m’étaient payées 4 fois
 moins ». Depuis quelques mois,
 il est en CDD d’infirmier, « je
 prends ce que je trouve ».
 Eugène Rwamucyo est une
 sorte d’intermittent de la médecine.
 Alors la carte « talents et compétences
 », il a presque envie d’y
 croire : « Si ce n’est pas une loi
 gadget, l’immigration choisie,
 moi je suis d’accord. Mais j’espère
 qu’ils vont me choisir
 moi ! ». Lui. Et les autres ? C’est
 tout le débat que soulèvent justement
 les textes de Nicolas
 Sarkozy. « Immigration choisie
 », ça veut bien dire que la
 France va faire un tri. Pour
 Eugène, l’affaire est encore plus
 complexe. Il a aujourd’hui
 épuisé tous les recours possibles.
 L’office français de protection
 des réfugiés et apatrides
 (OFPRA) lui a tout refusé. Il
 s’est fait aider, son dossier est remonté
 jusqu’au cabinet du ministre
 de l’Intérieur. Il demandait
 l’asile territorial, on lui a
 promis plus : une carte de séjour
 a été libellée à son nom.
 « Je l’ai vue, je l’ai même touchée,
 mais la Préfecture refuse
 de me la donner ». Résultat,
 Eugène Rwamucyo a perdu en
 route son récépissé de demandeur
 d’asile, son seul papier valable.
 Aujourd’hui, l’administration
 française ne lui reconnaît
 donc aucune existence et pourtant
 c’est bien l’Etat qui lui
 verse tous les mois son salaire,
 de médecin ou d’infirmier, cela
 dépend…
 Eugène Rwamucyo est un « cas » administratif. Sans papiers, sur sa carte de visite il est marqué « praticien attaché au CHRU de Lille ». Photo Ludovic Maillard