Citation
Ce mois de juillet s’annonce
décisif pour l’accès aux
archives françaises classées
secret-défense.
Jamais, dans
un passé récent, il n’a été aussi difficile
aux historiens et chercheurs
de consulter les documents nécessaires
à leur travail, notamment
pour ceux traitant de la guerre
d’Algérie, malgré les promesses
du président Macron d’ouvrir les
archives pour permettre d’élucider
le sort des disparus algériens.
Depuis janvier 2020, l’application
stricte, par le secrétariat général
de la défense et de la sécurité
nationale, d’une circulaire administrative
de 2011 obligeant les
administrations à déclassifier les
documents un par un à partir du
délai de prescription, a entraîné
un engorgement massif confinant
à la censure. Cette situation a
entraîné une mobilisation de la
communauté scientifique – représentée
par trois associations, celle
des archivistes, celle des historiens
contemporanéistes de l’enseignement
supérieur et de la recherche
et celle de Josette et Maurice
Audin – qui a saisi le Conseil
d’Etat pour obtenir l’annulation
de l’instruction générale interministérielle
de 2011, ainsi qu’une
autre de 2020, destinée à l’actualiser
sans rien changer sur le fond.
Alors que le Conseil d’Etat doit
rendre sa décision dans les tout
prochains jours, le Parlement est
en train d’adopter le projet de loi
relatif à la prévention des actes de
terrorisme et au renseignement,
dont l’article 19, justement,
refonde le régime de déclassification
jusqu’ici régi par la loi de
2008 sur les archives et par les circulaires
de 2011 et 2020. Quel sera
le résultat de cette collision entre
les calendriers judiciaire et législatif
? L’arrêt rendu par le Conseil
d’Etat devrait avoir un impact sur
le texte législatif en discussion.
« Fermeture massive »
Pour la Ligue des droits de
l’homme (LDH), cette concomitance
doit conduire l’exécutif à
amender son projet de loi. Dans
un communiqué du 25 juin, la
LDH apporte son soutien aux
demandes du Collectif accès aux
archives publiques, qui regroupe
les différentes associations et
chercheurs mobilisés.
Elle met en garde contre le texte
actuellement en discussion au
Parlement, qui « n’est en rien une
loi d’ouverture. [Le projet de loi]
permettrait de reporter au-delà
du délai de cinquante ans la communication
d’archives définies de
manière vague comme relatives
aux “procédures opérationnelles”
et aux “capacités techniques” de
nombreux services de renseignement
ou de sécurité ». « Ce texte risque
d’entraîner une fermeture massive
de nombre d’archives nécessaires
à l’écriture de notre histoire
contemporaine », conclut la LDH.
Sur le front judiciaire, le Conseil
d’Etat, dont la décision est attendue
très prochainement, devrait
suivre l’avis de son rapporteur
public – il le fait dans 90 % des
cas – qui préconise l’annulation
des deux instructions de 2011 et
2020. Ce dernier estime que la
communication des archives publiques
couvertes par le secret-défense
n’a aucune raison d’être systématiquement
précédé d’une
déclassification par l’autorité
compétente une fois expiré le délai
de libre communicabilité. Une
pratique inventée en 2011, estime-t-il,
pour faire face à l’ouverture
des archives de la guerre d’Algérie.
En revanche, il n’est pas évident
que dans son arrêt le Conseil
d’Etat reprenne les recommandations
du rapporteur, qui plaide
pour une définition nettement
plus restrictive de ce qui constitue
une menace grave à la sécurité
nationale et qui doit continuer
à être couvert par le secret.
Dans le texte adopté en
première lecture par l’Assemblée
le 2 juin et qui doit être débattu au
Sénat à partir de mardi 29 juin, la
règle est désormais la déclassification
automatique au bout de
cinquante ans, sans réclamer
de démarche spécifique de chaque
administration. Mais quatre
domaines restent protégés par le
secret-défense
pour une durée
indéterminée : les sites sensibles,
le matériel de guerre, les armes de
dissuasion et les techniques de
renseignement. C’est ce dernier
domaine qui pose problème aux
historiens, tant son acception
peut se révéler extensive et vague.
Lors du passage en première
lecture à l’Assemblée, aucun des
amendements proposés n’a été
accepté par la représentante du
gouvernement, la ministre des
armées Florence Parly, et le rapporteur
de la commission des lois.
Le Sénat s’est montré plus
scrupuleux dans son travail préparatoire
: la commission de la
culture, qui s’est saisie du problème
comme il est d’usage sur
les questions d’archives, a recommandé
de porter le délai d’ouverture
à soixante-quinze
ans, avec
une révision tous les dix ans.
Ce n’est finalement pas le choix
fait par la commission des lois,
qui a validé deux amendements
dont l’un, surnommé « Bureau
des légendes », interdit de reclassifier
des documents dévoilant
des « procédures opérationnelles »
et des « capacités techniques » du
renseignement déjà connues du
public, comme le craignent les
chercheurs. « Une solution équilibrée
», selon la rapporteuse, la
sénatrice de la Seine-Maritime
Agnès Canayer.