Fiche du document numéro 28537

Num
28537
Date
Mercredi Mars 1995
Amj
Taille
537444
Sur titre
Autopsie d'un génocide planifié au Rwanda
Titre
Comment se prépare la « reconquête »
Sous titre
Dans les camps du Zaïre et de la Tanzanie, comme dans ceux installés au Rwanda, les responsables du génocide contre les Tutsis renforcent leur contrôle sur les réfugiés et se préparent à la reconquête du pays (1).
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
HRW
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
M. Théodore Sindikubwabo, ancien président de la République par intérim, et Jean
Kambanda, premier ministre du gouvernement qui a perpétré le génocide, ont été
récemment nommés pour diriger un nouveau gouvernement en exil (…). Selon de
nombreux observateurs dans la région, ce gouvernement en exil mène une
propagande intense pour préparer les réfugiés à reprendre la guerre. Human Rights
Watch (Afrique) a eu un exemple de cette propagande sous forme d'un tract intitulé
"Le peuple rwandais accuse…" Les responsables du génocide décrivent "la situation
catastrophique" du peuple rwandais, résultat du "travail diabolique" du Front
patriotique rwandais (FPR), avec "la collaboration massive" de certaines puissances
étrangères, c'est-à-dire les États-Unis, la Belgique, l'Ouganda et les Nations unies.
Selon ce pamphlet (…), le FPR serait responsable du génocide et les Hutus en seraient
les victimes (…).

Les troupes de l'ancien gouvernement rwandais s'entraînent dans de nombreux
endroits, y compris aux alentours des camps de Katindo et de Mugunga (…). Ces
soldats sont bien armés. Bien que certains aient dû remettre leurs machettes et leurs
fusils quand ils sont arrivés au Zaïre, beaucoup d'autres ont passé la frontière avec
leurs armes, y compris avec de l'armement lourd. Les soldats rwandais gardent des
obusiers et des transports de troupes cachés dans des entrepôts qui sont supposés être
sous le contrôle des militaires zaïrois [suit une liste d'équipements en leur
possession : 6 hélicoptères, 50 armes antichars, 40 à 50 missiles SA-7, 255 mortiers, 6
105 obusiers, etc.].

Tandis qu'elles préparent des attaques contre le Rwanda, les autorités qui ont dirigé le
génocide intensifient la terreur et la violence contre les réfugiés hutus qu'elles ont
contraints à les suivre en exil (…). Elles refusent de laisser ces réfugiés rentrer chez
eux car elles s'en servent comme moyen de pression sur la communauté
internationale et, à travers elle, sur le gouvernement rwandais. Elles savent que,
entourées par un grand nombre de partisans en apparence très déterminés, elles
seront plus difficilement capturées et traduites devant un tribunal pour génocide.
Elles utilisent des menaces et la violence contre quiconque veut retourner chez lui (…).

Les autorités confisquent la nourriture et les équipements destinés à aider les pauvres
et les faibles, les laissant à la merci de la maladie et de la mort. Confortablement
installés dans des villas en dehors des camps, les politiciens vendent ces aides pour un
profit immédiat ou les accumulent pour préparer l'invasion du Rwanda. Ils ont refusé
un recensement des réfugiés dont le nombre serait inférieur de plusieurs centaines de
milliers aux estimations officielles. Une comptabilité exacte entraînerait une réduction
de l'aide et diminuerait donc leurs profits.

Les auteurs du génocide, en collaboration avec l'armée et les milices, ont rétabli dans
les camps les structures politiques qui existaient au Rwanda avant le génocide (…).

Dès le début, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les
agences d'aide et le gouvernement hôte se sont appuyés sur les anciennes autorités
pour faciliter la distribution de l'aide. Dès qu'elles ont contrôlé la nourriture et les
données essentielles de la vie, les autorités ont utilisé cet instrument pour renforcer
leur emprise sur la population des camps (…). En Tanzanie, le HCR a encouragé la
création d'une force de sécurité formée d'anciens soldats gouvernementaux dont le
passé n'a pas été contrôlé.

Le gouvernement en exil a établi un système pour taxer les réfugiés qui louent leur
force de travail aux paysans de la région : sur un salaire journalier moyen de 1 000
zaïres [moins de 2 francs] un ouvrier est contraint de payer 200 zaïres aux autorités
(…).

Les agents des organisations internationales, officielles et non gouvernementales, ont
été menacés par les milices et les soldats. A plusieurs reprises, les organisations d'aide
ont réduit leurs activités pour protester contre de tels incidents et pour protéger leur
personnel. Médecins sans frontières a arrêté ses opérations à Bukavu parce qu'il était
"éthiquement impossible" de continuer à aider les responsables du génocide qui ont
instauré un règne de terreur dans les camps (…).

Le gouvernement du Rwanda ne doit pas seulement faire face à des attaques
imminentes de l'extérieur, mais aussi à une renaissance de l'activité militaire des
personnes déplacées à l'intérieur du pays. Les déplacés (…) ont trouvé refuge dans la
"zone humanitaire de sécurité" créée par la France dans le cadre de l'opération
"Turquoise". On compte parmi eux de nombreux tueurs (…). Et, dans une pâle mais
inquiétante imitation de ce qui se passe à l'extérieur du pays, les anciennes autorités
ont reconstruit leurs bases de pouvoir, en partie à travers le contrôle de l'aide
humanitaire. Elles encouragent activement les déplacés à ne pas retourner chez eux,
affirmant qu'ils seraient tués par l'armée populaire. De plus, des groupes utilisent les
camps comme bases pour voler et pour tuer les habitants de la région (…). Certaines
de ces attaques relèvent du gangstérisme, mais d'autres ont des motivations politiques
évidentes : déstabiliser et démontrer que le nouveau gouvernement ne contrôle pas la
situation.

(1) Ce texte est extrait d'un rapport de l'organisation Human Rights Watch (Afrique),
Rwanda : A New Catastrophe ? 33, Islington High Street, Londres N1 9LH,
Royaume-Uni, décembre 1994.

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