Citation
Freud comparait l'œuvre de civilisation à la digue du Zuyderze qui taille dans de
vastes étendues indécidables, y sépare la terre et l'eau, et protège le sol asséché des
polders sur lequel les humains cultiveront leur « être psychique collectif » en quoi
consiste la culture (1). A l'inverse, le retour au magma, c'est ce qu'a connu le Rwanda
avec l'idéologie ethniciste de la colonisation que la modernité marchande aggrava avec
l'émergence de nouveaux riches d'un égoïsme inédit.
Le génocide a laissé des traces indélébiles dans toutes les têtes. Ce qui se dit
difficilement avec des mots résiste, par la réalité des ossements conservés et exposés,
au négationnisme ou au simple désintérêt. Mais le 5 juin 2000 a vu la pose des
premières pierres d'un mémorial laïque d'une autre sorte, qui marque
vraisemblablement le début d'une issue créative au traumatisme collectif, l'amorce
d'une catharsis. Le jardin de la mémoire, conçu par l'artiste sud-africain Bruce Clarke,
sera peut-être la plus grande œuvre collective des temps modernes. Un terrain a été
donné par la ville de Kigali pour que des centaines de milliers de Rwandais, chaque
personne qui se sent touchée par le génocide, posent une lourde pierre marquée en
souvenir d'une victime de la criminalité ethniste : un mémorial à la dimension de la
foule réelle des morts, un lieu partagé pour l'imaginaire aussi, car il faudra bien croire
qu'une pierre peut représenter une personne. Une œuvre vouée à la restauration
symbolique des liens entre les générations, car rien n'est plus durable que la pierre.
Le jardin de la mémoire érigera comme une montagne de roches pour endiguer
l'affaissement mortifère de la civilisation dans ce qui fut autrefois un royaume très
organisé, où l'on n'avait pas attendu le colonisateur pour couvrir le fond marécageux
des vallées de petits polders pourvus d'un remarquable système d'irrigation…
(1) Lire Sigmund Freud, Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse,
Gallimard, Paris, 1984.
Lire :
- Au Rwanda, vivre avec le génocide