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« Le Rwanda est devenu le prétexte pour tous les gauchistes de la place de Paris de régler leur compte avec François Mitterrand, la Ve République, la France comme puissance… » Hubert Védrine est en colère. Dans un long entretien accordé à la livraison de juin/juillet de la revue identitaire Éléments, à l'occasion de la sortie de son Dictionnaire amoureux de la géopolitique (Plon/Fayard), l'ex-ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, figure reconnue du paysage politique français aujourd'hui âgé de 73 ans, ne tape pas que sur ces « gauchistes » mais aussi sur la presse qui les laisse s'exprimer. « Si les journaux étaient tenus comme autrefois, ça ne durerait pas une minute », balance-t-il.
De quoi faire sursauter ses camarades, et les autres, alors qu'Emmanuel Macron, depuis Kigali, capitale du Rwanda, la semaine dernière, a reconnu « les responsabilités » de la France dans le génocide des Tutsis. Un dossier qui empoisonne le PS depuis des années et qui oppose, parfois frontalement, les proches de l'ancien président Mitterrand à ceux qui voudraient tourner la page. Pour tenter d'éclairer cette page, les socialistes lancent d'ailleurs, mardi à 17h, une commission présidée par l'ex-député Jean-Marc Germain, en charge des affaires internationales au sein du parti.
Un « débat empoisonné »
Les convictions de Védrine sur le Rwanda sont connues : la France de François Mitterrand ne peut être accusée de rien. « Accuser la France pour son rôle au Rwanda, dit-il à Éléments, c'est un peu comme si l'on accusait les pompiers qui ont tenté d'arrêter l'incendie de Notre-Dame en leur disant qu'il fallait arriver la veille ». D'où sa colère de voir ceux qu'il considère comme des « gauchistes » s'exprimer librement. Parmi ces personnes, se trouve le député européen (Place publique) Raphaël Glucksmann, très engagé sur ce dossier. Il y a deux ans, une polémique avait déjà éclaté, pointant l'influence potentielle de ses convictions sur le PS.
« Ces têtes folles, dénonce encore Védrine, étaient auparavant tenues par le Parti communiste, puis englobées dans la stratégie Mitterrand. Mais aujourd'hui, plus rien ne les retient ». « Ce débat empoisonné est un bon révélateur du degré de masochisme atteint dans notre pays », affirme-t-il, taclant au passage François Hollande « qui n'a pas cherché à faire évoluer la situation ».
Olivier Faure : « Je suis pour la presse la plus libre possible »
À la tête du PS, le député Olivier Faure dénonce sans ambiguïté les propos d'Hubert Védrine sur la presse. « Je suis pour une presse la plus libre possible et qui ne s'embarrasse d'aucune tutelle, qui serait de nature à la disqualifier vis-à-vis du grand public », indique-t-il au Figaro. Président du Conseil national du PS, Luc Broussy a dénoncé de son côté le choix d'accorder un entretien à la revue Éléments, moquant par ailleurs, sur le fond, un discours « rance ».
« S'il va à Éléments pour affirmer des idées qui l'oppose à cette droite extrême, pourquoi pas. Mais si c'est pour obtenir les félicitations de Marion Maréchal, c'est autre chose et les bras m'en tombent », confie-t-il au Figaro.
Le 20 mai lors d'un débat interne au PS, Luc Broussy s'est retrouvé avec le député Boris Vallaud à débattre du Rwanda face à Bernard Cazeneuve, co-rapporteur en 1998 de la mission d'information parlementaire sur la politique de la France au Rwanda et très proche d'Hubert Védrine. Luc Broussy et Boris Vallaud avaient remplacé au pied levé l'historien Vincent Duclerc, auteur d'un rapport de plus de 1200 pages sur le dossier commandé par Emmanuel Macron - La France, le Rwanda et le génocide des Tutsis (Armand Collin) -, fruit de deux ans de travail en équipe. Duclerc avait renoncé à participer au débat après un entretien de Cazeneuve au Monde, critique sur son travail.
Personne au PS ne s'est exprimé sur le Rwanda, pas même Anne Hidalgo
Dans une lettre que s'est procurée Le Figaro, adressée au premier secrétaire du PS et justifiant son refus de participer au débat, Duclerc considère que « le génocide des Tutsi est un sujet trop grave pour être soldé par des manœuvres d'appareil qui font fi des évidences ». Olivier Faure lui, a regretté l'absence de Vincent Duclerc au débat. « Quand on a la responsabilité d'établir un rapport de cette nature avec des acteurs qui sont toujours vivants, il faut accepter la confrontation », confie-t-il.
Le premier secrétaire socialiste salue le travail « très documenté » de l'équipe Duclerc et se dit « partisan de regarder la réalité en face » mais estime que ce rapport « pose des questions » et qu'il reste « des points aveugles ». Son objectif ? Rester à distance des passions, alors que la commission destinée à éclairer la question débute ce mardi son travail. Un travail nécessaire mais tardif. Personne au PS ne s'est officiellement exprimé sur le Rwanda lors de la visite d'Emmanuel Macron, pas même la potentielle candidate du parti à la présidentielle et maire PS de Paris, Anne Hidalgo.
Védrine temporise
La neutralité est difficile pour Olivier Faure alors que les défenseurs de François Mitterrand lui reprochent d'être sous l'influence de Raphaël Glucksmann. Coauteur en 2004 d'un documentaire engagé sur les massacres, l'actuel député européen ne semble pas affecté par les attaques de Védrine. « C'est un immense progrès qu'un tel entretien soit abrité par Éléments », juge-t-il avec ironie. « Le mensonge officiel se déplace vers les marges complotistes et d'extrême droite. C'est une victoire pour la France et pour ceux qui ont combattu pour la vérité. On tourne la page de 27 années de mensonge d'État où les idées de Védrine avaient pignon sur rue. » Glucksmann comprend que ce soit « un moment d'aigreur et de douleur ».
Interrogé par Le Figaro, Hubert Védrine assume de « s'adresser à tous, que ce soit Eric Zemmour, Michel Onfray, le site ThinkerView ou la revue Éléments ». Mais il reconnaît avoir « parlé trop vite, sans aucun tri » et surtout « sans se relire ensuite ». Sur la presse qui serait mal tenue, l'ex-ministre des Affaires Étrangères l'assure : « Jamais je n'ai eu en tête qu'il faudrait revenir à une forme de censure ». « Quand j'emploie cette formule contractée, je veux dire qu'à l'époque du numérique, n'importe qui peut écrire un peu n'importe quoi. Ce qui n'était pas le cas quand des rédacteurs en chef, des directeurs de journaux, contrôlaient les informations avec une véritable hiérarchie de la responsabilité ». Védrine affirme avoir « exprimé maladroitement cette nostalgie-là, qui n'a rien à voir avec la censure ».