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Depuis l'attentat du 6 avril, qui a coûté la vie au président
Habyarimana et à son collègue burundais, le président Ntaryamira, on
ignorait où se trouvait la boîte noire de l'avion rwandais abattu, un
Falcon-50. Enregistrant les conversations dans le poste de pilotage
ainsi que les données techniques du vol, la boîte noire serait un
élément essentiel en cas d'enquête internationale sur la mort des deux
chefs d'État.
Jusqu'à présent, on croyait savoir que le document - recueilli sur
l'épave de l'appareil par un coopérant militaire français, le
commandant de Saint-Quentin - se trouvait à Paris, et, à Bruxelles, on
s'étonnait du secret qui l'entourait. Le voile est aujourd'hui levé,
sur un point en tout cas: la précieuse boîte, recueillie par un
«officiel», est dans les mains d'un «privé». Et quel «privé»! Le
capitaine Paul Barril, ex-gendarme du GIGN (le groupe d'élite de la
gendarmerie française) et de la cellule de gendarmes de l'Élysée,
aujourd'hui reconverti dans la sécurité privée, au service notamment
de chefs d'État africains dont le président gabonais Bongo.
Paul Barril, qui s'est mis au service de la famille Habyarimana et a
été chargé d'enquêter sur la mort du chef d'État, a révélé au «Monde»
puis à l'Agence France-Presse qu'il détenait la fameuse boîte noire.
(Toutefois, Dassault, le constructeur de l'avion, affirme n'en avoir
pas équipé lui-même le Falcon-50, tout en reconnaissant que le client
pouvait l'avoir montée lui-même.) Barril l'aurait récupérée lui-même à
Kigali où le document serait resté après l'attentat: la radio locale
l'assurait en tout cas voici deux semaines, précisant que le
gouvernement intérimaire n'avait pas eu le temps de s'en occuper.
Les investigations rwandaises de Paul Barril devraient nourrir le
dossier que constitue une avocate française, Hélène Clamagirand,
chargée par la famille du président défunt de déposer dans les
prochaines semaines une plainte pour assassinat devant la Cour
internationale de justice de La Haye.
Cette plainte en croisera sans doute d'autres: les Belges, qui
poursuivent eux aussi leur enquête sur les circonstances de la mort de
nos dix paras, enregistrent en effet des accusations mettant en cause
la responsabilité de Mme Habyarimana dans la mort des Casques bleus et
dans l'assassinat du Premier ministre Agathe Uwilingiymana.
Paul Barril en tout cas reprend largement les thèses développées par
ses clients dès le premier jour, et qui étaient déjà diffusées par des
«sources» françaises: l'attentat serait l'oeuvre du Front patriotique,
avec la complicité de militaires belges. Barril dénonce en effet la
complicité belge dans cet attentat, affirmant que les tirs de missiles
provenaient de la zone de l'aéroport placée sous le contrôle des
troupes belges des Nations unies (Minuar). Il estime que les missiles
ont été tirés depuis Massaka, une zone contrôlée par le FPR, et que la
mise à feu des SAM 7 a bénéficié d'une aide extérieure,
vraisemblablement de Belges. Cette implication d'étrangers est
également reprise par «Le Monde» qui se demande si les «Blancs» sont
des Européens ou des Sud-Africains.
La thèse de Paul Barril rejoint effectivement des éléments déjà
publiés par «Le Soir», à savoir le lieu d'origine des tirs et le type
de lanceur. Mais il y a une divergence de taille entre la version de
l'ex-membre du GIGN et celle des enquêteurs belges: au moment de
l'attentat, la zone de Massaka, située à l'arrière du camp militaire
de Kanombe, était contrôlée par la garde présidentielle rwandaise et
non par le FPR. Celui-ci, le 6 avril, était toujours cantonné dans le
CND (le Parlement rwandais) et l'avion avait d'ailleurs modifié son
itinéraire pour ne pas avoir à survoler ce lieu potentiellement
dangereux.
Cette apparition du capitaine Barril dans la tragédie rwandaise, dix
jours après que des informations provenant de Kigali et corroborant
sur certains points l'enquête menée en Belgique, eurent mis en cause
des ressortissants français dans l'attentat contre l'avion
présidentiel, est pour le moins surprenante. Pour plusieurs raisons:
la première est que des témoins assurent avoir vu Paul Barril à Kigali
avant l'attentat. La deuxième est que l'ancien commandant du GIGN, qui
fut décoré de la Légion d'honneur par le président Mitterrand, est un
spécialiste des montages: il aurait été la cheville ouvrière du
scandale des «Irlandais de Vincennes» (le 28 août 1982, trois
Irlandais étaient arrêtés par un groupe du GIGN commandé par Paul
Barril, à Vincennes, sous l'accusation d'appartenir à une organisation
clandestine irlandaise. Cette affaire devait se révéler un montage, et
le capitaine Barril fut mis en disponibilité de la gendarmerie, à sa
demande, en mai 1984).
Par la suite, le «supergendarme» mit ses compétences au service de
plusieurs chefs d'État africains, grâce à l'appui de son ami François
de Grossouvre, qui fut l'une des éminences grises de l'Élysée, jusqu'à
sa disgrâce en 1985. François de Grossouvre, qui avait gardé de
nombreuses relations et affaires en Afrique, s'est suicidé le 7 avril
dernier, au lendemain de l'attentat contre l'avion du président
Juvénal Habyarimana.
COLETTE BRAECKMAN
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