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Vingt-sept ans après le génocide des Tutsis perpétré par un régime longtemps soutenu par Paris, Emmanuel Macron a affiché jeudi, à Kigali, sa volonté de regarder la vérité en face.
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Editorial. Concilier diplomatie et vérité historique ne va pas de soi, surtout entre deux pays que sépare le plus ignoble des crimes, un génocide. Vingt-sept ans après la tuerie systématique qui a coûté la vie, en cent jours, à 800 000 Tutsi au Rwanda, Emmanuel Macron a trouvé les mots justes pour sceller la réconciliation entre la France, proche alliée du régime Habyarimana, organisateur du génocide des Tutsi en 1994, et le Rwanda d’aujourd’hui, dirigé par Paul Kagame, héritier de ses victimes.
En reconnaissant solennellement la « responsabilité accablante [de la France] dans un engrenage qui a abouti au pire », le président de la République est sorti du long déni officiel sur le rôle de Paris dans ce génocide. Il y a été aidé par les conclusions claires du rapport qu’il avait demandé à l’historien Vincent Duclert et dont il a repris presque littéralement certaines formulations. En 2010, Nicolas Sarkozy, initiateur du rapprochement avec Kigali, n’avait reconnu que « de graves erreurs d’appréciation ».
Apaiser la guerre mémorielle
Reconnaissance mais non repentance. Le chef de l’Etat s’en est tenu à la ligne de conduite qu’il s’est fixée. Elle consiste à admettre la vérité historique, même dérangeante, et à parvenir à un récit partagé, aussi bien au sein de la société française qu’au Rwanda, afin d’apaiser la guerre mémorielle. En écartant toute « complicité » de la France, le rapport Duclert avait ouvert la voie à ce discours franc mais apaisé. La rhétorique présidentielle écartant les excuses, portes ouvertes vers l’oubli, pour espérer le pardon des rescapés, seuls à pouvoir l’accorder, a subtilement introduit le thème de la « dette envers les victimes » sans qu’il soit question de repentance.
De part et d’autre, on revient de loin. Il a fallu quinze ans pour passer d’une hostilité réciproque haineuse à ces retrouvailles. Des mandats d’arrêt lancés par la justice française contre des proches du président Kagame, en 2006, et des menaces rwandaises de poursuites contre des personnalités politiques françaises à ce rapprochement politique s’appuyant sur une analyse du passé acceptable des deux côtés. La diplomatie a repris ses droits. Kigali a abandonné ses accusations de « complicité ». Paris a accepté de regarder son rôle en face.
Parvenir à ce moment où les deux pays souhaitent « sortir de cette nuit et cheminer à nouveau ensemble » nécessitait du temps. Mais il a fallu aussi que s’exprime une volonté réciproque fondée sur des intérêts. Le président rwandais, dont le régime efficace mais autoritaire est désormais critiqué dans le monde anglo-saxon, a besoin de nouveaux alliés. Emmanuel Macron, lui, tient à prendre ses distances avec l’ancien pré carré, la « Françafrique » des anciennes colonies. Cette volonté de diversifier les partenariats de Paris constitue un rééquilibrage bienvenu de la diplomatie africaine de la France, longtemps centrée sur les pays francophones.
Plus audacieuse et incertaine est la démarche du président de la République visant à lutter contre les discours antifrançais en Afrique comme dans l’Hexagone, en incarnant une démarche nouvelle et vertueuse et un dialogue direct avec le continent, assumant le passé colonial et désireux de le mettre au clair pour le dépasser. Le discours de Kigali marque une étape positive dans cette « diplomatie de la mémoire » à visée réconciliatrice. La réussite d’une pareille démarche entamée vis-à-vis de l’Algérie n’est pas pour demain. Mais le long cheminement qui s’est achevé par le discours de Kigali encourage à suivre cette voie.