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Stéphane Audoin-Rouzeau, historien spécialiste du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, salue un discours historique de la part du président français. Il espère que le regain d’intérêt suscité par l’événement va permettre d’approfondir le travail d’investigation sur cette question.
Citation
Génocide des Tutsis au Rwanda : « La
reconnaissance des responsabilités françaises
était fondamentale »
William Gazeau
La Croix, 27 mai 2021
capés. Revenir sur le génocide et ses
mécaniques me semble très important.
En
tant
qu’historien,
attendiez-vous cette reconnaissance avec impatience ?
S. A-R. : Cette reconnaissance
est formidable. Je ne pensais pas voir
cela de mon vivant. 27 années se sont
écoulées depuis le génocide des Tutsis
au Rwanda mais seulement deux mois
séparent la remise du rapport Duclert
de la reconnaissance des responsabilités françaises par le président Macron.
Je suis stupéfait par cette accélération. Prenons le cas du rôle du régime de Vichy dans le génocide juif.
Plus de vingt ans ont passé entre les
premiers discours de vérités des historiens et le discours de Jacques Chirac sur la rafle du Vél’ d’Hiv en 1995.
Dans le cas du génocide des Tutsis au
Stéphane Audoin-Rouzeau,
historien spécialiste du génocide
des Tutsis au Rwanda en 1994,
salue un discours historique de
la part du président français. Il
espère que le regain d’intérêt
suscité par l’événement va permettre d’approfondir le travail
d’investigation sur cette question.
La Croix : Quelle est la portée d’un tel discours ?
Stéphane Audoin-Rouzeau : Il
s’agit d’un discours historique. Les
mots employés par Emmanuel Macron sont chargés d’émotions. Un discours d’une telle puissance dans la
bouche d’un chef d’État français et
sur cette question est tout à fait nouveau. La reconnaissance des responsabilités françaises était fondamentale. Je retiens aussi la première partie consacrée aux victimes et aux res1
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Rwanda, les choses sont allées relativement vite en comparaison.
Avez-vous repéré des manquements dans le discours d’Emmanuel Macron ?
S. A-R. : Le discours du président français n’est pas irréprochable. Il dédouane trop facilement
le rôle de l’armée française. Surtout,
il reconnaît les responsabilités de la
France, mais cette formulation est inexacte. Les véritables responsables, ce
sont les quelques personnes qui gravitaient autour du président Mitterrand au moment des faits. Pour reprendre les mots du rapport Duclert,
ces personnes ont « rendu possible un
génocide prévisible ». Or, ce groupe
n’est pas désigné par Emmanuel Macron. Sûrement parce que les tenants
du mitterrandisme sont toujours là.
Le chapitre du génocide se
referme-t-il avec la reconnaissance des responsabilités françaises ?
S. A-R. : Bien sût que non ! Il
s’agit d’une étape importante mais
qui ouvre un processus plus qu’elle
n’en ferme un autre. On pourrait se
dire qu’il est temps de tourner la page
mais ce n’est pas possible : les génocides ne connaissent pas le temps.
Nous en parlerons encore dans les
siècles à venir.
La connaissance du génocide des
Tutsis reste extrêmement faible, excepté dans certains cercles restreints.
La séquence historique que nous vivons va aider à habiliter ce génocide au même titre que d’autres plus
connus. J’espère que cette fenêtre
d’intérêt ne va pas se refermer trop
vite.
Quelles
zones
restent-ils à éclaircir ?
d’ombre
S. A-R. : Il nous manque encore
beaucoup d’éléments sur le volet opérationnel militaire du dossier. Qu’ont
fait exactement les militaires français
présents au Rwanda à ce moment-là ?
Les artilleurs français ont-ils « seulement » formé les milices Hutus ou
ont-ils également utilisé eux-mêmes
certaines armes ? Comment se sontils comportés avec les populations locales, en particulier les femmes ? De
nombreuses questions doivent encore
êtres posées et vous pouvez compter
sur moi pour le faire.