Fiche du document numéro 2841

Num
2841
Date
Lundi 20 juin 1994
Amj
Taille
108620
Titre
L'enfer du Rwanda et les bonnes intentions de la France
Tres
La France renforce la piste de l'aéroport de Kamembe en face de Bukavu. Des militaires français sont restés au Rwanda pour assister les troupes gouvernementales dans le domaine des transmission. Au début du génocide, alors que des centaines de personnes menacées se voyaient refuser l'entrée de l'ambassade de France, des dignitaires du régime y ont trouvé protection dont le directeur de la radio qui appelait aux massacres.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il y a au Rwanda, dans la zone encore « contrôlée par le
gouvernement
 » un bien grand nombre de personnes emprisonnées dans les
stades, camps ou maisons religieuses qui attendent la mort. Cela
devient très urgent si on veut encore sauver quelques Tutsis. Chaque
jour il y a de nouveaux cadavres dans la fosse commune. Et les gens du
gouvernement se replient sur Cyangugu. Hitler a encore beaucoup à
apprendre des Rwandais. De grâce, faites quelque chose...

Telle était
la conclusion de l'un des derniers messages qui nous est parvenu du
Rwanda: d'évidence, plus de deux mois et demi après le début du
génocide, il reste encore des civils à sauver, car les miliciens qui
se replient sur les zones frontalières liquident les derniers otages.


Une opération humanitaire urgente s'impose donc, autant qu'en avril ou
qu'en mai et, à la suite des résolutions 918 et 925 du Conseil de
sécurité, plusieurs pays africains se sont déclarés prêts à envoyer
des troupes au Rwanda: l'Ethiopie, le Zimbabwe, le Ghana, entre
autres. Il est donc urgent de leur fournir les moyens d'être acheminés
sur place, d'être opérationnels et ils seront d'autant mieux
accueillis que toutes les parties en présence ont approuvé
l'initiative onusienne.

Pourquoi la France, au lieu d'appuyer
matériellement les forces africaines a-t-elle choisi de bousculer
l'agenda onusien, d'envoyer des troupes sur la frontière zaïroise
avant même le feu vert du Conseil de sécurité, de renforcer l'aéroport
de Cyangugu, en face de Bukavu au Zaïre, de marteler, comme le
président Mitterrand : « C'est désormais une affaire d'heures et de
jours. Quoi qu'il en soit, nous le ferons. Chaque heure compte
 ».

Pourquoi, alors que depuis deux mois et demi les images de
l'holocauste rwandais éclaboussent les écrans de télévision et les
reportages quotidiens, sans provoquer de réactions à Paris, l'urgence
est-elle soudain devenue une question d'heures? La seule chose qui a
changé, c'est le rythme de la situation sur le terrain: le général
Dallaire, commandant de la Minuar, s'est déclaré surpris de la vitesse
avec laquelle le FPR progressait désormais.

Si le gouvernement
français est peut-être mû très tardivement par un sentiment
humanitaire, il en convainc difficilement le Front patriotique qui se
demande s'il ne s'agit pas plutôt, in extremis, de venir au secours du
gouvernement intérimaire en déroute. Le fait que la France, ces
dernières semaines, ait renforcé la piste de Kamembe en face de Bukavu
inquiète également les opposants zaïrois de l'UDPS qui accusent Paris
de se préparer à soutenir, avec armes et munitions, le tout nouveau et
déjà contesté gouvernement de M. Kengo wa Dondo. Lors du sommet de
l'OUA à Tunis, c'est le président Mobutu, remis en selle grâce à la
crise rwandaise, qui a le plus nettement soutenu l'initiative
d'intervention française.

Par ailleurs des informations qui nous sont
parvenues de Goma, et qui sont confirmées par le FPR, indiquent
qu'après le début des massacres, un petit nombre de militaires
français sont restés au Rwanda, assistant les troupes gouvernementales
dans les domaines de la transmission. Venus de Gitarama, certains de
ces militaires auraient transité par le Kivu, mais d'autres se
trouveraient toujours dans les lignes gouvernementales. Ne
s'agirait-il pas, d'urgence, d'aller les récupérer?

Si le FPR redoute
un agenda caché derrière des préoccupations humanitaires, c'est parce
qu'en 1990 déjà, l'intervention françaises aux côtés des forces
gouvernementales fut justifiée ainsi. En outre, depuis l'attentat du 6
avril, la France s'est trouvée aux côtés du gouvernement intérimaire:
ses émissaires ont été reçus à Paris alors même que ses ministres
lancaient sur les ondes des appels au massacre, l'épouse et la
belle-famille du président défunt, accueillis à Paris, ont bénéficié
de crédits du Ministère de la coopération.

Un réfugié rwandais, amené
à l'ambassade de France par les Suisses, a rapporté, devant la
Commission des droits de l'homme de l'ONU qu'alors qu'il y avait des
centaines de familles accrochées au portail de l'ambassade auxquelles
on refusait l'entrée il retrouva, à l'intérieur tous les dignitaires
du régime et leur famille ainsi que le directeur de la radio et ses
subalternes connus pour leurs appels aux massacres. (...) A tout
moment ces dignitaires du régime sortaient avec leurs escortes de
militaires pour circuler dans les quartiers en flammes et à leur tour
tenaient des réunions à l'ambassade pour parler de l'évolution de la
situation, dresser le bilan des victimes ou regretter que telle ou
telle personne n'ait pas encore été tuée ou tel ou tel quartier pas
encore nettoyé. (...) Figurait sur la première liste des gens à
évacuer les noms de certaines personnes connues comme chefs de bande
de milices.

Même si le gouvernement Balladur était, en toute
sincérité, tardivement saisi d'effroi par l'ampleur de la tragédie
rwandaise et désireux de réparer les dommages, la France, en raison
des amitiés précitées, demeure le dernier pays à pouvoir intervenir
sans susciter d'arrière-pensées et finalement risquer d'aggraver
encore la situation. Non seulement au Rwanda, mais également au
Burundi voisin et au Zaïre.

COLETTE BRAECKMAN

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