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Le parquet de Paris a requis lundi 3 mai un non lieu dans l’enquête sur le rôle de l’armée française fin juin 1994 lors des massacres de Bisesero, durant le génocide des Tutsis au Rwanda. Survie dénonce un déni de justice.
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Abandonnés pendant trois jours à leurs tueurs par l’armée française cantonnée à quelques kilomètres à vol d’oiseau du lieu où ils étaient exterminés, les Tutsis de Bisesero le sont maintenant par le parquet de Paris qui a requis un non lieu. Pourtant des questions cruciales restent sans réponse. En particulier, pourquoi, alors que l’information à leur sujet remontait par les services de renseignement et s’étalait dans la presse [1], aucun ordre de sauver ces Tutsis en cours d’extermination n’a-t-il été donné ? Il est à cet égard indispensable de rappeler que le sauvetage des Tutsi de Bisesero le 30 juin 1994 ne relève pas de l’exécution d’un ordre de mission, mais d’initiatives personnelles de militaires sur le terrain dont l’ordre de mission était seulement de traverser la zone sans s’y arrêter.
Selon Patrice Garesio, co-président de l’association Survie : "La justice française refuse de s’intéresser aux décideurs parisiens et à la cohérence de la politique française au Rwanda, faisant mine de considérer les acteurs de terrain comme des électrons libres". Est-ce une décision politique pour permettre au Rwanda et à la France d’enterrer le passé aux dépens de la vérité ? La date de ce réquisitoire, peu après la publication des rapports français et rwandais, et peu avant la prise de parole d’Emmanuel Macron à Kigali, entretient ce soupçon. D’autant que le réquisitoire est très contestable sur le plan juridique. En effet, selon Maître Eric Plouvier, avocat de Survie, "Le parquet a une vue très courte. Il ne veut tirer aucune conséquence du rapport Duclert, qui méritait mieux qu’un tel déni. Ce rapport implique le cabinet du président Mitterrand et son état-major dans la mise en place d’une hiérarchie parallèle et d’objectifs sous-jacents à l’opération Turquoise. Or les centaines de morts de Bisesero sont liées à l’option élyséenne de soutenir le régime génocidaire hutu."
L’aveuglement volontaire de la justice succède à celui de l’Elysée. La complicité de génocide par omission parait établie dès lors que l’abstention d’intervenir pour sauver les rescapés est volontaire et a eu pour effet de faciliter, du 27 au 30 juin 1994, la poursuite du crime de génocide.
[1] RFI, le 28 juin 1994, Libération et le Figaro, le 29 juin 1994.