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Paul Kagame lors d'un discours sur les 20 ans du génocide des Tutsi.
© Steven Senne/AP/SIPA
Paul Kagame sera présent à Paris les 17 et 18 mai pour assister à deux sommets, l’un sur la situation au Soudan, l’autre sur le financement des économies africaines. En marge de ces deux rendez-vous, le président rwandais doit également participer à une rencontre informelle – et inattendue – avec plusieurs anciens officiers de l’armée française ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994, alors que lui-même commandait la rébellion en guerre contre le régime, soutenu par la France, qui allait planifier et commettre le génocide contre les Tutsi.
Selon nos informations, l’initiative est née à Kigali le 9 avril.
Formation au Kansas
Elle a été évoquée lors de l’audience accordée par Paul Kagame à l’historien français Vincent Duclert, venu lui remettre officiellement le volumineux rapport réalisé par la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, qu’il présidait.
Une discussion qui s’est apparentée à « une partie de ping-pong », selon Vincent Duclert, qui considère aujourd’hui que les relations françaises sont alors entrées dans une « nouvelle ère ».
Lors de cette rencontre, le président rwandais a notamment fait part à son interlocuteur de son souhait de revoir le général de brigade Éric de Stabenrath. En 1990, tous deux avaient en effet suivi une formation à Fort Leavenworth, au Kansas.
Une expérience que le Rwandais a été contraint d’écourter lorsque, le 1er octobre 1990, la branche militaire du Front patriotique rwandais (FPR), dont la plupart des cadres servaient dans les rangs de l’armée ougandaise, a lancé une offensive contre le régime de Juvénal Habyarimana.
Au deuxième jour de l’assaut, Fred Rwigema, qui commandait la rébellion, a trouvé la mort dans les combats. Et c’est Paul Kagame, rentré précipitamment des États-Unis, qui l’a remplacé au pied levé.
En porte-à-faux avec la hiérarchie
À Paris, le président rwandais devrait également rencontrer Jean Varret, 86 ans. Responsable de la Mission militaire de coopération de 1990 à 1993, ce général de corps d’armée s’est retrouvé en porte-à-faux avec sa hiérarchie lorsque, prenant conscience des intentions génocidaires de ses interlocuteurs rwandais, il a cherché – sans succès – à pondérer l’implication militaire de certains régiments français sur le terrain, en particulier le 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa).
Se sentant désavoué par l’autorité politique, il a préféré quitter l’armée en 1993.
LA POLITIQUE SURANNÉE ET CHIMÉRIQUE D’UN PRÉSIDENT À BOUT DE SOUFFLE
Lui aussi convié, le général Patrice Sartre, 73 ans, qui a servi durant l’opération Turquoise (juin-août 1994) à la tête du Régiment d’infanterie chars de marine (RICM), ne pourra sans doute pas se joindre à ses anciens frères d’armes en raison de problèmes de santé.
Auteur d’une tribune récente dans Le Monde, il y analysait sans ménagement les errements de la politique française au Rwanda dévoilés par le rapport Duclert, estimant que celui-ci a « identifié et documenté que s’était constituée, au service de la politique surannée et chimérique d’un président à bout de souffle [François Mitterrand], une coterie politique, diplomatique et militaire se sachant intouchable ».
Autre vétéran du Rwanda convié à la rencontre, le colonel de gendarmerie René Galinié, 81 ans, fait partie des officiers qui ont tenté de concilier éthique et devoir d’obéissance… avant de jeter l’éponge. Attaché de défense et chef de la mission d’assistance militaire d’août 1988 à juillet 1991, il était à Kigali l’interlocuteur régulier du président Juvénal Habyarimana.
ON SE SOUMET OU L’ON SE DÉMET
« On se soumet ou l’on se démet », résume-t-il aujourd’hui, paraphrasant Léon Gambetta, pour expliquer son choix d’écourter sa mission au Rwanda après avoir, en vain, tenté d’alerter sa hiérarchie sur le durcissement du régime Habyarimana, qui marquait les prodromes du génocide. En 1993, il démissionnera de la gendarmerie.
« Curiosité respectueuse »
Outre ces officiers, aujourd’hui retraités, Paul Kagame devrait également rencontrer le diplomate Yannick Gérard. Ambassadeur en Ouganda au début des années 1990, celui-ci jouera un rôle d’intermédiaire entre Paris et le régime intérimaire rwandais durant le génocide, après la fermeture de l’ambassade de France à Kigali au début d’avril 1994. Par la suite, il occupera d’autres fonctions au Quai d’Orsay et sera ambassadeur au Pakistan.
À Kigali, une source officielle indique sobrement que la présidence rwandaise « salue cette initiative ». Selon Vincent Duclert, Paul Kagame considère que ces agents de l’État français « se sont montrés lucides et courageux, à la hauteur de leur fonction ».
« Si on m’avait dit, quand j’étais encore jeune lieutenant, que j’allais rencontrer le général de Gaulle, j’en aurais éprouvé une grande fierté ainsi qu’une grande curiosité », témoigne à Jeune Afrique l’un des officiers français concernés par cette rencontre avec Paul Kagame, qui précise éprouver au sujet du chef de l’État rwandais « une forme de curiosité respectueuse ».