Fiche du document numéro 28295

Num
28295
Date
Lundi 3 mai 2021
Amj
Auteur
Taille
32837
Titre
Rwanda : pourquoi le parquet demande un non-lieu dans l’affaire Bisesero
Sous titre
En 2005, six parties civiles avaient saisi la justice au sujet de la responsabilité de la France, qui n’avait pas empêché le massacre de Tutsi en 1994, dans les collines de Bisesero. Le rapport de la commission Duclert n’a pas modifié l’analyse du parquet.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il faut que l’affaire soit d’importance pour que le procureur de Paris lui-même signe un communiqué. Quinze ans après l’ouverture de l’instruction, vingt-sept ans après les faits, le parquet a paraphé, le 28 avril, un réquisitoire de non-lieu dans le dossier Bisesero. Il s’agit de l’un des épisodes les plus dramatiques du génocide des Tutsi, survenu fin juin 1994, alors que les soldats français étaient déployés dans le pays.

Le parquet estime que les soupçons de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité pesant sur la France, portés par six parties civiles depuis 2005, ne sont pas établis. Il s’agit à présent, pour les juges d’instruction cosaisis, de signer une ordonnance de non-lieu. Ou de relancer de leurs investigations, ce qui serait un coup de théâtre.

Dans un communiqué publié lundi 3 mai, le procureur Rémy Heitz souligne que n’a été établie « aucune aide ou assistance des forces militaires françaises lors de la commission d’exactions, aucune adhésion de ces dernières au projet criminel poursuivi par les forces génocidaires, ni aucune abstention d’intervenir face à des crimes constitutifs d’un génocide ou de crimes contre l’humanité en vertu d’un accord antérieur ».

Enfin, selon le parquet, « le crime d’entente en vue de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité, créé par la loi du 6 août 2004, n’était pas applicable au moment des faits dénoncés ». Le parquet de Paris veut prévenir toute critique sur le caractère incomplet de l’instruction. Il souligne ainsi que « le dossier compte plus de 17 000 côtes, regroupées en 28 tomes ».

« Aveuglement volontaire »



En juin 2019, les magistrats instructeurs avaient refusé de poursuivre leur travail. Mais le parquet, prudent, n’avait pas pris de réquisitions jusqu’à ce jour, comme s’il avait attendu le travail des historiens, commandé par Emmanuel Macron. La publication récente du rapport de la commission Duclert sur la responsabilité de l’Etat français au Rwanda, entre 1990 et 1994, n’a pas modifié son analyse juridique, malgré la déclassification de nombreuses archives inédites.

Les milliers de réfugiés tutsi massacrés par les Hutu dans les collines de Bisesero, près du lac Kivu, pendant l’opération Turquoise, entre le 27 et le 30 juin 1994, n’auraient donc pas été victimes d’une négligence, délibérée ou non, de Paris. Ou tout du moins, il ne serait pas possible de l’établir formellement, faute d’éléments matériels, de témoignages indubitables, ou en raison de problèmes de prescription.

« Le parquet a une vue très courte. Il ne veut tirer aucune conséquence du rapport Duclert, qui méritait mieux qu’un tel déni, regrette Me Eric Plouvier, avocat de l’association Survie, spécialiste des interventions françaises en Afrique. Ce rapport implique le cabinet du président Mitterrand et son état-major dans la mise en place d’une hiérarchie parallèle et d’objectifs sous-jacents à l’opération Turquoise. Or, les centaines de morts de Bisesero sont liés à l’option élyséenne de soutenir le régime génocidaire hutu. » Selon l’avocat, qui compte avec ses collègues explorer toutes les voies de recours, « l’aveuglement volontaire de la justice succède à celui de l’Elysée ».

Les officiers sur le terrain mis en cause



« Bisesero est à la fois un échec et un drame, soulignait le rapport Duclert. Quand bien même la prise de conscience collective du commandement français se fait progressivement, Bisesero constitue un tournant dans la prise de conscience du génocide. » Malgré une analyse des échanges écrits entre les soldats français au Rwanda et leur hiérarchie à Paris, les historiens de la commission n’avaient pas conclu à une volonté assumée d’abandonner les réfugiés tutsi à leurs bourreaux, pouvant être assimilée à une complicité. Elle avait plutôt insisté sur les problèmes de communication, de mauvaises sources en matière de renseignement, d’analyse défectueuse.

« Le drame humain de Bisesero et l’échec profond qu’il constitue pour la France ne résultent pas seulement de responsabilités de terrain, mais découlent en grande partie de la volonté de maintenir un équilibre entre les parties, de la crainte qu’ont les forces françaises de se trouver confrontées au FPR [le Front patriotique rwandais] et à une réaction violente de sa part », écrivait la Commission.

Dans son ordonnance à l’analyse plus restrictive, que Le Monde a pu consulter, le parquet disculpe Paris. Il souligne qu’« il n’est pas établi que les échelons supérieurs de la hiérarchie militaire française ont pu nécessairement appréhender la gravité et l’imminence du péril auquel se trouvait exposé » le flot de réfugiés tutsis.

En revanche, toujours au sujet de l’incrimination de « non-assistance à personne en péril », le parquet met en cause les officiers français sur le terrain, commando parachutiste de l’air numéro 10 (CPA 10) au commandement des opérations spéciales (COS), sous la direction du colonel Jacques Rosier. « Il apparaît que [ce dernier] soit s’est volontairement abstenu de leur porter secours, soit a commis une erreur d’appréciation de la situation, alors qu’il avait les moyens opérationnels d’intervenir en sa qualité de commandant des opérations spéciales », souligne le réquisitoire. Qui écarte cette incrimination pour des raisons de prescription.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024