Fiche du document numéro 28277

Num
28277
Date
Jeudi 28 avril 2021
Amj
Auteur
Taille
34887
Titre
Tribune de militaires : «Je souhaite la mise à la retraite des officiers signataires», annonce le général Lecointre
Sous titre
EXCLUSIF. Pour la première fois depuis la retentissante tribune parue dans Valeurs Actuelles, le général François Lecointre, chef d’Etat major des armées, s’exprime. Il nous parle des sanctions à venir pour les généraux et pour les soldats d’active signataires.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 21 avril, d’anciens militaires, dont une vingtaine de généraux, dénonçaient dans une tribune au style factieux parue dans « Valeurs actuelles », le « délitement » du pays, suggérant que l’armée pourrait passer à l’action. Ce mercredi, 8 000 soldats l’avaient signée. Tollé politique, soutien de Marine Le Pen, opprobre de la gauche… Les mesures à l’encontre des meneurs seront sévères, annonce le général François Lecointre.

Comment avez-vous réagi à cette tribune ?

GÉNÉRAL FRANÇOIS LECOINTRE. Je me suis d’abord dit qu’elle ne présentait pas grand intérêt, et ensuite que ses auteurs savaient très bien qu’ils prenaient un parti pris politique. Cela, je ne peux pas l’accepter, car la neutralité des armées est essentielle. Enfin, j’ai été choqué d’y lire un appel à l’armée d’active : ça me révulse absolument.

Vous connaissez ces signataires ?

Certains, oui, en particulier le général en retraite Piquemal (NDLR, ancien général 4 étoiles de la Légion étrangère), connu pour ses engagements politiques. Pour l’essentiel, ce sont des gens qui ont quitté l’armée il y a 20 ou 30 ans, que ma génération d’officiers n’a pas connus.

Ce texte reflète-t-il quelque chose de l’armée ?

Il ne reflète en rien l’état d’esprit des armées aujourd’hui. L’armée est républicaine, elle n’est pas politisée, combat tous les jours pour son pays. Elle est à l’image de la société française. Contrairement aux fantasmes que certains entretiennent, elle est très diverse socialement. C’est le billet de gens à la retraite, qui ont une vision décalée de la réalité de nos engagements : je leur dénie le droit de porter un jugement sur ce que nous sommes ! C’est une tentative de manipulation de l’armée inacceptable. Si ces gens veulent s’exprimer, qu’ils le fassent en leur nom, sans mettre en avant leur qualité d’ancien militaire ou leur grade. Quand on est général en 2e section, on s’engage statutairement à respecter le devoir de réserve.

La ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé un recensement des signataires : y a-t-il des soldats d’active ?

On est en train de faire ce recensement. Aujourd’hui, on dénombre 18 personnes en activité – dont quatre officiers – parmi les signataires, sur 210 000 militaires en activité.

Des enquêtes d’opinion ont révélé que le vote d’extrême droite chez les militaires est supérieur à la moyenne nationale…

Je ne suis pas là pour sonder les reins et les cœurs. J’exige la plus grande neutralité, je mets d’ailleurs au défi mes subordonnés de savoir quelles sont mes opinions politiques. Le seul drapeau qu’on porte, ce sont les trois couleurs françaises. Quand vous êtes au milieu des troupes en action, au Sahel, au Levant, vous voyez bien que ce n’est pas le sujet. Les militaires portent la France dans le monde. La dimension de politique intérieure est moins déterminante dans leur mental que chez les autres citoyens.

Y a-t-il une montée de la radicalisation d’extrême droite au sein de l’armée ?

Non. Il y a eu un suivi très précis par le service de renseignement interne aux armées (NDLR : Direction du renseignement et de la sécurité défense), encore renforcé après l’identification par le site Mediapart d’une cinquantaine de militaires suspectés d’extrémisme de droite. Sur les cinquante, il en restait une trentaine dans les rangs qui ont fait l’objet de conseils d’enquête et de sanctions allant jusqu’à la radiation.

Voyez-vous dans cette tribune, publiée par « Valeurs Actuelles » le jour du 60e anniversaire du putsch d’Alger, un appel à la sédition ?

Absolument pas ! L’Algérie n’est pas un sujet de ma génération, le fantasme du putsch me paraît hors de propos. Il n’y a pas la moindre tentation de ce genre. Quand on connaît l’armée française, engagée au combat, dans la défense de notre pays et de ses valeurs démocratiques, c’est absurde.

Le texte évoque un risque de guerre civile et une intervention de l’armée sur le sol national…

Les armées sont engagées dans des opérations comme Sentinelle, ou Résilience dans la gestion de la crise Covid. Mais leur priorité est l’engagement au combat contre un ennemi identifié, contre les terroristes de Daech. S’engager sur le territoire national tel qu’évoqué dans la tribune, ça n’a aucun sens. Les armées ne sont pas faites pour faire du maintien de l’ordre.

Quelles sanctions encourent ces généraux en 2e section signataires ?

La radiation, donc la mise à la retraite d’office.

Ils peuvent être privés de leur pension de retraite ?

Le droit ne l’autorise pas. On peut leur retirer la qualité de général en 2e section, c’est la radiation qui entraîne la mise à la retraite définitive. Un tel général est rappelable à tout instant par le ministère, pour une mission particulière comme renforcer l’encadrement d’une armée.

Que va-t-il se passer concrètement ?

Je souhaite que leur mise à la retraite d’office soit décidée. C’est une procédure exceptionnelle, que nous lançons immédiatement à la demande de la ministre des Armées. Ces officiers généraux vont passer chacun devant un conseil supérieur militaire. Au terme de cette procédure, c’est le président de la République qui signe un décret de radiation. Au-delà, je leur conteste à tous, en particulier au général Piquemal qui a déjà été radié (NDLR, après avoir mené des manifestations anti-migrants en 2016), le droit de prendre des engagements politiciens en mettant en avant leur grade.

Comment en empêcher un Christian Piquemal, coutumier du fait ?

Je vais lui envoyer une lettre pour lui dire qu’il est indigne, salit l’armée, la fragilise en en faisant un objet de polémique nationale.

Et quelles sanctions pour les soldats d’active ?

Ils recevront des sanctions disciplinaires militaires. On est en train d’étudier avec les chefs d’état-major des trois armées les cas des dix-huit personnes concernées et le niveau de sanction à appliquer. Mon intention est qu’elles soient plus fortes pour les plus gradés et moins fortes pour les moins gradés. Je considère que plus les responsabilités sont élevées, plus l’obligation de neutralité et d’exemplarité est forte.

Qu’avez-vous pensé de la politisation de l’affaire ?

Cela me navre, c’est beaucoup de bruit pour rien. Les femmes et hommes politiques, qui prennent le risque d’instrumentaliser les armées pour en faire un objet de polémique, ne rendent pas service à la République.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024