Citation
« La France est-elle… complice du génocide des Tutsis [en 1994 au Rwanda] ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne permet de le démontrer » a bien dû reconnaître on ne peut plus clairement la Commission Duclert à la page 972 du rapport remis au président de la République Emmanuel Macron le 26 mars 2021.
« L’Etat français n’est pas complice », confirme dans « le Monde » du 21 avril dernier le ministre rwandais des Affaires étrangères en commentant le rapport d’avocats américains Muse, commandité par le gouvernement de Kigali.
Alors pourquoi ces accusations infamantes, d’une violence insensée, reprises en France par des médias complaisants ou militants, qui continuent malgré cela de mettre en cause une prétendue « responsabilité accablante » de la France, du président Mitterrand et donc aussi du gouvernement de l’époque, celui d’Edouard Balladur dans lequel Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères ?
Parce que les procureurs auto désignés avaient affirmé depuis des années que la France était complice et en tout cas coupable !
Du coup, ses accusateurs déplacent sciemment le débat du champ historique et juridique - les conclusions des deux rapports (rapport Duclert et rapport de Kigali), rejoignant celles de la mission d’information parlementaire de 1998, ayant infirmé leurs thèses à celui de la polémique et du lynchage. L’on est passé de l’examen des faits à l’interprétation systématiquement critique et volontairement décontextualisée (rien par exemple sur les autres protagonistes !) des événements tragiques dans lesquels la France a été appelée à agir de 1990 à 1994.
L’objectif de ces mises en cause n’est plus la vérité historique, et encore moins la justice, mais de trouver à toute force le moyen d’accabler et notre pays et son président d’alors. Mais au vu des faits – auxquels il faut encore et toujours revenir – de quoi François Mitterrand s’est-il donc rendu coupable ?
- D’être intervenu militairement en octobre 1990 ? Mais devait-il laisser les forces Tutsi du FPR de Paul Kagamé, renverser par la force, avec l’appui de l’armée de l’Ouganda voisine, un régime légalement installé et reconnu par la communauté internationale ? Au risque d’immenses massacres ? Et de réduire à rien la garantie française pour la stabilité de l’Afrique ?
- D’avoir tenté de prévenir une catastrophe dont les signes annonciateurs – qu’on reproche à François Mitterrand d’avoir ignorés – n’étaient pour lui qu’une confirmation, puisque ce risque était précisément la cause de son engagement ?
- D’avoir maintenu nos forces au Rwanda jusqu’en août 1993, alors que, sans leur présence, il lui eut été impossible de faire pression sur le gouvernement rwandais pour qu’il se démocratise et accepte de s’engager dans la recherche d’une solution négociée ? Une fois celle-ci obtenue, le 4 août 1993 à Arusha, nos troupes ne se sont-elles pas d’ailleurs retirées à l’automne (comme le prévoyaient les accords et l’exigeait le FPR) au profit d’une force des Nations unies, la Minuar ?
- D’avoir obtenu, grâce à cet engagement et avec le concours d’autres Etats, ces accords d’Arusha qui ouvraient la voie à un réel partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis favorable à ces derniers ?
- D’avoir été, après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 le seul pays à agir auprès du Conseil de Sécurité pour obtenir de celui-ci une résolution permettant l’envoi d’une force humanitaire pour mettre fin à une tragédie, qu’elle avait été la première à qualifier de génocide (par la voix d’Alain Juppé le 16 mai 1994), alors que les États-Unis, eux, y firent obstacle jusqu’au 22 juin ?
- D’avoir dépêché, dès qu’elle y fut autorisée, la mission Turquoise qui, sous mandat de l’ONU, sauva plusieurs dizaines de milliers de vies ?
S’il est une responsabilité à établir – et il est normal qu’elle le soit – elle est par conséquent collective : elle est d’abord celles des Rwandais et en premier lieu de ceux des dirigeants Hutus extrémistes prêts à tout pour ne pas perdre le pouvoir ; elle est ensuite celle des États et des organisations internationales qui, par cynisme ou par indifférence, tardèrent à réagir malgré nos objurgations.
La France est certes partie prenante de cet échec collectif – l’espoir brisé de 1990-1993 – et toutes celles et tous ceux qui suivirent de près ces événements en tentant de s’opposer au pire en restent accablés.
Mais lui en imputer la charge morale reviendrait à trahir la vérité et à utiliser cette tragédie qui fit plus de 800 000 victimes à des fins diplomatiques et politiques à courte vue, sans rapport avec le respect dû à leur mémoire.
Celui-ci exigerait au contraire que soit enfin constituée la Commission internationale d’historiens que beaucoup d’entre nous réclament depuis des années afin de démonter, à partir de TOUTES les archives, de TOUS les travaux de recherche, y compris les sources déjà ouvertes, de TOUS les témoignages l’implacable engrenage qui a abouti à un crime insoutenable, le génocide des Tutsis du Rwanda.
Les signataires :
Paul Quilès, ancien ministre, président de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda en 1998
Hubert Védrine, ancien ministre, secrétaire général de l’Elysée de 1992 à 1995
Jean-Louis Bianco, ancien ministre
Laurent Cathala, ancien ministre
Jean Glavany, ancien ministre
Elisabeth Guigou, ancien ministre
Jacques Guyard, ancien ministre
Jack Lang, ancien ministre
André Laignel, ancien ministre
Louis Mermaz, ancien ministre
Henri Nallet, ancien ministre
Michel Vauzelle, ancien ministre