Citation
Transcription partielle de l’émission « A l’air libre »,
diffusée le 30 mars 2021 sur le site Mediapart.
Lien vers la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=eRh4bJQN-tI
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RAPHAËL GLUCKSMANN DANS L’EMISSION « A L’AIR LIBRE », LE 30 MARS 2021.
NB. – Les principaux bégaiements ainsi que les acquiescements de complaisance de la journaliste ont été supprimés.
[Début de la transcription à 17’ 28’’]
Valentine Oberti : Alors sans transition, on va parler de deux sujets sur lesquels vous êtes investi : les Ouïghours et le génocide des Tutsi au Rwanda. Bref on va parler de la politique internationale et de ce qui est souvent son corollaire, la realpolitik. Le Rwanda d’abord. Il y a quelques jours, un rapport a admis les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Ce rapport, c’est celui de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, missionné par Emmanuel Macron. La commission a travaillé pendant deux ans. Et donc, 25 ans après un génocide qui a fait presqu’un million de morts en trois mois en 94 au Rwanda, ses conclusions sur la responsabilité de la France sont une première. Est-ce que c’est suffisant ?
[18’ 04’’]
Raphaël Glucksmann : C’est pas suffisant mais c’est un moment extrêmement important. C’est un moment historique pour tous ceux, en fait, qui se sont battus, hein, pour que la vérité éclate. C’est une étape très importante. Moi je pense qu’il y a des limites à ce rapport : ils n’ont pas eu accès à l’ensemble des archives, il y a sûrement des conclusions qu’on peut débattre. Mais enfin ce qui est sûr, c’est que ce qu’on voit à travers ce rapport, c’est une photographie très claire et qui invalide complètement les mensonges d’Etat qui dominent depuis 1994. Et cette photographie, qu’est-ce qu’elle nous dit ? Elle nous dit que notre nation, la France, via ses dirigeants d’alors – et en particulier son président de la République, François Mitterrand –, notre nation a soutenu, porté à bout de bras, soutenu militairement, financièrement, politiquement un régime raciste qui a commis un génocide et qui a entraîné la mort d’un million d’êtres humains en trois mois. Et j’aimerais, en fait, insister sur cette notion de génocide parce que c’est…, c’est pas… Quand on dit : « Notre pays est lié à un génocide », on a l’impression « Oui, eh bien, notre pays a encore fait quelque chose de mal, c’est…, une faute de plus, tout ça ». Non ! Là on parle de quelque chose d’extrêmement spécifique. C’est pas : « Notre pays a participé à la répression de tel ou tel mouvement démocratique ». Ou : « Notre pays a eu une attitude néocoloniale, pillant les ressources naturelles de tel ou tel Etat ». Là, on parle de quelque chose de différent en nature : c’est pas la Françafrique habituelle, c’est pas le néocolonialisme habituel. C’est la politique décidée par le sommet de l’Etat français qui a permis une extermination en Afrique, au Rwanda, mais qui…, qui n’a pas eu lieu 50 fois, qui a eu lieu peut-être trois ou quatre fois dans l’histoire humaine. Donc, là, on touche à quelque chose de fondamental. Et normalement, quand vous apprenez que votre pays est co-responsable d’une histoire telle que celle-ci, est impliqué dans un génocide, eh bien, ça devrait être un scandale ! Ça devrait être l’émoi collectif ! Ça devrait être le coeur du débat aujourd’hui en France ! Et malheureusement, ça ne l’est pas.
[20’ 12’’]
Valentine Oberti : Ça ne l’est pas du tout. Comment vous expliquez ça ? Je cite les réactions. Donc, il y a bien sûr eu… alors, il y a bien sûr eu la réaction de l’Elysée : « Nous espérons que ce rapport pourra mener à d’autres développements dans notre relation avec le Rwanda », qui a été, qui était fort abîmée. Le communiqué indique que « La France poursuivra ses efforts en matière de lutte contre l’impunité des personnes responsables de crimes de génocide ». Mais est-ce que ça ne revient pas à examiner les complicités au plus haut niveau de l’Etat français ?
[20’ 37’’]
Raphaël Glucksmann : Bah si !
[20’ 37’’]
Valentine Oberti : Le rapport l’a exclue, la complicité de la France. Ce qui a d’ailleurs fait bondir certaines ONG, comme Survie par exemple.
[20’ 42’’]
Raphaël Glucksmann : Non, mais le rapport… Bien sûr ! Mais, en fait, le rapport conclut qu’en fait on ne peut pas prouver qu’il y a une intention, du côté français, de soutenir un génocide ou évidemment d’en commettre un. Moi, je ne pense pas qu’on puisse à partir des archives déceler cette intention. Donc je ne vais pas critiquer le rapport là-dessus. Mais d’un point de vue juridique, par contre, et d’un point de vue politique, tout ce qui est dit dans le rapport, eh bien, ça prouve une responsabilité – peut-être pas une complicité de génocide –, mais une responsabilité dans le génocide. Et ça, ça, c’est quelque chose d’extrêmement grave. Et face à ça, eh bien, on peut reconnaître que le président la République a au moins permis l’ouverture des archives, que ce n’est pas le cas à l’Assemblée nationale et que ce n’est pas le cas non plus des archives François Mitterrand pour l’instant, qu’il faut que le président oblige les légataires de François Mitterrand à ouvrir leurs archives…
[21’ 34’’]
Valentine Oberti : A la fondation François Mitterrand ? Qui est présidée par… ? Ou en tout cas… ?
[21’ 38’’]
Raphaël Glucksmann : Eh bien, j’ai zappé là [sourire].
[21’ 39’’]
Valentine Oberti : Non… ? Mais…, enfin, Hubert Védrine…
[21’ 41’’]
Raphaël Glucksmann : Ah bon ? C’est Hubert Védrine qui est… ?
[21’ 42’’]
Valentine Oberti : Oui, Hubert Védrine est à la fondation Francois Mitterrand…
[21’ 44’’]
Raphaël Glucksmann : Je ne sais pas s’il en est président mais en tout cas, c’est sûr que si c’est le gardien de la mémoire [sourire]…
[21’ 47’’]
Valentine Oberti : Hubert Védrine…, mais de mémoire, il me semble qu’il est… président. En tout cas, il est… – je vérifierai – mais il est à cette fondation François Mitterrand. Hubert Védrine, il est très satisfait par le…, par ce rapport.
[21’ 56’’]
Raphaël Glucksmann : Non…
[21’ 57’’]
Valentine Oberti : Ah bah, il dit qu’il est honnête et que, au moins, il écarte la complicité… C’est quelque chose qu’il prend pour acquis !
[22’ 01’’]
Raphaël Glucksmann : Eh bien, écoutez, c’est formidable parce qu’Hubert Védrine a passé des années à expliquer que je participais à un complot international contre la France, précisément parce que je posais exactement les faits qui sont dans ce rapport. Donc, au moins, ça permet à Hubert Védrine de dire que oui, c’est tout à fait honnête de dire que, sous son égide donc – puisqu’il était secrétaire général de l’Elysée –, sous son égide, la France a soutenu militairement, financièrement, politiquement un régime raciste qui commettait des massacres alors même que nos militaires, nos espions, nos ambassades nous expliquaient qu’il y avait un risque génocidaire. Donc si la Mitterrandie commencent à reconnaître que « Oui, ça c’est vrai », mais alors il faut vraiment qu’ils se posent des questions sur leur rôle dans l’histoire. Parce que, ce qui est dans ce rapport – à mon avis ce n’est pas tout – mais ce qui est déjà dans ce rapport, c’est profondément accablant. Et moi ce qui m’accable, si vous voulez, c’est que, face à cela, il n’y a aucune réaction de la gauche !
[22’ 58’’]
Valentine Oberti : On va y venir.
[22’ 58’’]
Raphaël Glucksmann : Il n’y a aucun parti de gauche, aucune personnalité qui trouve la moindre chose à dire sur le fait que notre nation est liée à un génocide. Et moi, ça me tue parce que ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, en gros, il y a encore la statue de François Mitterrand qui nous impressionne et nous empêche de parler. Ou alors ça veut dire qu’on juge que, finalement, c’est pas très important et qu’il y a beaucoup plus important, type les réunions non mixtes.
[23’ 23’’]
Valentine Oberti : Eh bien, si vous allez à l’appel de la gauche lancé par Yannick Jadot, vous pourrez leur parler du Rwanda !
[23’ 28’’]
Raphaël Glucksmann : Ouais ! Mais bien sûr ! Mais…, moi ce que…, enfin, je vais pas dire que ça va être le coeur du programme présidentiel pour 2022 [sourire]. Mais ce que je veux…, par contre, ce que je veux dire, c’est qu’en fait, il faudrait rétablir un tout petit peu le sens des priorités. Et je crois, moi, qu’on souffre de…, d’un buzz permanent sur des sujets qui ne sont pas très importants. Et quand tout d’un coup il y a un sujet qui devrait entrer dans une vraie réflexion – mais ce n’est pas de la politique étrangère, hein ? –, une vraie réflexion aussi sur nos institutions, sur le fait qu’un président de la République ait pu décider contre les services de l’Etat, en squeezant ses ministres, aient pu décider seul d’envoyer des soldats combattre, de soutenir un régime raciste, d’envoyer des armes, de ça…, sans jamais rendre de comptes à personne, avec son chef d’état-major particulier et son secrétaire général, ça pose quand même un tout petit peu la question des institutions de la Vème République et de la pratique du pouvoir [que] vont adopter nos Présidents. Et d’autre part…
[24’ 25’’]
Valentine Oberti : Et donc des poursuites ?
[24’ 26’’]
Raphaël Glucksmann : Bien sûr ! Mais ça pose la question des poursuites, ça pose la question du changement de système. Et ça pose aussi la question, quand on est de gauche, de se dire, si on est
honnête et qu’on regarde l’histoire telle qu’elle se produit, qu’en fait, un président de gauche a mené cette politique jusqu’au bout. Et que finalement, s’il n’y a pas d’intervention pour sauver le régime rwandais génocidaire en plein milieu du génocide, c’est parce qu’on est en cohabitation et que des ministres de droite refusent ça, en ayant notamment dans les discussions…, soulèvent la question de : « Est-ce que ce serait pas perçu comme néocolonial ? ». Alors quand même, enfin. Nous on a l’habitude à gauche de dire : « On a raison, on est quasi des curés qui distribuent des bons points à tout le monde ». Mais enfin, là, on s’est retrouvé dans des situations où un président, icône de la gauche, veut mener une opération néocoloniale pour restaurer le pouvoir des génocidaires et qu’il est bloqué par des ministres de droite qui lui disent : « Est-ce que, honnêtement, ça ne serait pas néocolonialiste de faire ça ? ». Donc, il y a un moment où on a le droit aussi de se questionner sur sa propre histoire, on a droit de se questionner sur les institutions dans lesquelles on vit. Et on peut mettre en pause les buzz de Darmanin pour, nous-mêmes, se poser des questions extrêmement douloureuses.
[25’ 35’’]
Valentine Oberti : Est-ce qu’il faut donc utiliser ce rapport pour engager des poursuites et des suites judiciaires ? La justice a l’opportunité des poursuites en France.
[25’ 42’’]
Raphaël Glucksmann : Moi je…, ouais… Je ne sais pas moi s’il faut des poursuites… Je…, enfin… Moi, je voudrais qu’on établisse la vérité historique déjà. Donc, là, c’est un premier pas, c’est très important. Je voudrais que le président de la République, se fondant sur ce rapport, eh bien, fasse un discours où il explique – comme Jacques Chirac l’a fait par exemple sur Vichy –, où il explique ce que la France a fait et qu’il y ait une véritable demande de justice émanant de la présidence de la République. Et qu’ensuite, on réfléchisse réellement aux conclusions qu’on doit en tirer politiquement ! Les conclusions qu’on doit en tirer politiquement, c’est notamment le fait qu’enfin…, on vit dans une République qui n’a pas vraiment de garde-fous quand une telle politique est décidée au sommet de l’Etat. Et que cette monarchie présidentielle est une catastrophe. Et enfin, j’aimerais aussi qu’on en tire des leçons politiques à gauche, qu’on arrête, vraiment, constamment – parce que c’est le président qui nous a fait gagner en 1981 – de célébrer Mitterrand comme une icône absolue, quoi.
[26’ 45’’]
Valentine Oberti : Et je crois qu’il y a une visite prévue à Kigali d’Emmanuel Macron au mois de mai. Peut-être ce sera l’occasion de ce discours que vous souhaitez.
[26’ 52’’]
Raphaël Glucksmann : Eh bien, ça serait l’occasion… Bien sûr ! Et ça serait important ! Et là, il faudra faire une…, s’il le fait, il faudra faire une pause dans le débat politicien traditionnel où on se mue en commentateur critique permanent de l’action du président de la République et saluer une avancée, quoi ! Parce que s’il le fait, voilà… Sur la guerre d’Algérie…, en France sur la politique mémorielle, il fait plus que ce qu’a fait la gauche. Il a…, il a eu des mots assez juste sur la guerre d’Algérie. Il a laissé les archives ouvertes aux historiens. Eh bien voilà ! Ça, la gauche quand elle était au pouvoir, elle ne l’a pas fait, hein !
[Fin de la transcription à 27’ 24’’]