Fiche du document numéro 28049

Num
28049
Date
Dimanche 28 mars 2021
Amj
Taille
32844
Titre
Au Rwanda, l’aveuglement accablant de la France
Sous titre
Une commission d’historiens, établie par Emmanuel Macron, conclut à des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans la survenue du génocide rwandais de 1994. La notion de complicité est en revanche écartée.
Nom cité
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Source
Commentaire
The end date of the Amaryllis operation varies according to the authors. Officially, the last French soldiers left Kigali on April 14, 1994 at 5.30 p.m.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C’est un tournant. Pour la première fois depuis 1994, une commission d’historiens mandatée par l’Élysée a établi de manière incontestable les responsabilités « accablantes » de la France dans le soutien à la dictature raciste qui préparait le génocide des Tutsis au Rwanda. L’équipe missionnée par Emmanuel Macron détaille les multiples responsabilités au sein de l’appareil d’État français.

Première cause directe de cette « faillite », lit-on dans le rapport de plus de 1 000 pages mis en ligne vendredi 26 mars, « le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte, personnelle et directe, avec le chef de l’État rwandais (Juvénal Habyarimana, NDLR). Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée. »

La commission ne discute pas la sincérité de François Mitterrand quand il assure vouloir conduire le Rwanda vers la démocratisation. Mais « dans le même temps, aucune politique d’encouragement à la lutte contre l’extrémisme hutu et de déracialisation de l’État n’est décidée, en dépit des alertes lancées depuis Kigali, Kampala ou Paris », note-t-elle. « Les demandes de protection et de défense du président rwandais sont toujours relayées, entendues et prioritaires. »

Cela s’est traduit par « la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises ». Il faut attendre la cohabitation, en mars 1993, pour que « la réflexion sur une politique alternative » émerge « progressivement et partiellement ».

Le rapport insiste sur la responsabilité du chef d’état-major particulier du président, le général Christian Quesnot, et de son adjoint, le colonel Jean-Pierre Huchon. Il qualifie de « pratiques irrégulières », voire de « pratiques d’officine », la façon dont les deux militaires court-circuitent tous les canaux réguliers pour mettre en œuvre la politique française sur le terrain.

À cela s’ajoute le rôle défaillant des conseillers Afrique de l’Élysée, Jean-Christophe Mitterrand – un des fils de François Mitterrand – puis Bruno Delaye, ainsi que de Georges Martres, ambassadeur de France à Kigali jusqu’en 1993.

Cependant, souligne la commission, tout le monde ne s’est pas fourvoyé sur le Rwanda. Dans le monde politique, Pierre Joxe, ministre de la défense de 1991 à 1993, a tenté d’obtenir le repli des moyens militaires français engagés au Rwanda. Du côté des militaires, le colonel Galinié, attaché de défense à l’ambassade de France à Kigali de 1989 à 1991, et son supérieur le général Varret, chef de la mission militaire de coopération au Rwanda de 1990 à 1993, ont alerté sur les risques de massacre qui pesaient sur les Tutsis. Idem pour la DGSE.

Le travail de la commission donne du poids aux travaux de journalistes et d’historiens qui, depuis vingt-sept ans, interrogent et documentent la responsabilité française vis-à-vis du génocide. Sur un plan méthodologique, on découvre que malgré l’engagement d’Emmanuel Macron, elle n’a pas pu consulter toutes les archives, dont celles de Jean-Christophe Mitterrand et de la Légion d’honneur.

La commission affirme que son travail ne permet pas de « démontrer » la complicité de la France dans le génocide, « si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire ». Cette conclusion a été soulignée par Hubert Védrine, qui était secrétaire général de l’Élysée en 1994, et par Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères. « Ce n’est pas à une commission d’historiens de qualifier juridiquement ou non » si la France a été complice du génocide, estime en revanche Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme.

Du côté des rescapés aussi, ce point pose problème. « Une question, en particulier, me paraît problématique, insiste Jeanne Allaire, d’Ibuka France. La conclusion, très martelée, de la “non-complicité” de la France. Ceci est dit, tout en soutenant qu’il existe des preuves accablantes de sa responsabilité. Comme si l’on cherchait à minimiser la gravité de la mise en cause. »

Repères. La France au Rwanda



1975. Accord d’assistance militaire franco-rwandais.

Octobre 1990. Le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement tutsi et de l’opposition hutue, installé en Ouganda, attaque le Rwanda. Intervention des troupes françaises, belges et zaïroises (opération Noroît).

Février 1993. Nouvelle offensive du FPR, stoppée au nord de Kigali grâce à l’appui français.

Décembre 1993. Les 600 militaires français quittent le Rwanda et cèdent la place à la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda.

9 au 17 avril 1994. Alors que les violences se déchaînent après l’attentat contre l’avion du président rwandais, la France et la Belgique envoient des soldats pour évacuer leurs ressortissants (opération Amaryllis).

22 juin au 21 août 1994. Opération Turquoise pour arrêter « les massacres ».

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