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La dénégation est au cœur d'un génocide: il est à la fois nié dans sa réalité et justifié dans son principe. La propagande de la RTLM (Radio-Mille-Collines) appelant au « travail » contre les « cafards » se prolonge depuis l'été dernier dans un révisionnisme insolent, dont les ténors sont de l'ancienne nomenklatura du régime Habyarimana.
En juillet 1994, à Goma, des ONG rwandaises imputent les massacres au refus du FPR de traiter avec le « gouvernement intérimaire », selon eux épris de paix! Puis en août, vingt-neuf prêtres hutus justifient le « courroux du peuple » et déplorent que des collègues rescapés continuent à exercer leur ministère. L'un d'eux, impliqué dans les massacres de Kigali, a été accueilli par l'épiscopat français.
En août encore, un ancien ministre, François Nzabahimana, crée à Bukavu un Comité rwandais d'action démocratique (CRAD): il affirme que « les génocides » sont dus essentiellement au FPR et que l'assassinat des casques bleus belges, le 7 avril 1994, s'expliquait par leur présence auprès de Mme Uwilingiyimana (premier ministre hutu d'opposition depuis 1993) coupable de tentative de coup d'Etat!
EN septembre, le périodique raciste « Kangura », toujours dirigé par le fameux Hassan Ngeze, reparaît à Goma. En octobre, une association de Bukavu diffuse un dossier qui mêle habilement réconciliation, accusation du FPR, justification de la logique de guerre civile et priorité des identités ethniques. En novembre, le gouvernement génocidaire dirigé par MM. Sindikubwabo et Kambanda se réorganise à Bukavu au nom d'un « renouveau »... En décembre, les journalistes de la RTLM éditent à Goma un journal, « Amizero », « l'Espoir », où on apprend que « les Hutus vont rentrer et gagner la guerre contre les Tutsis qui cette fois seront exterminés définitivement ».
On voit se constituer un réseau intégrant des cadres d'ONG rwandaises, en fait très « gouvernementales », et des politiciens extrémistes du Hutu Power. L'étiquette « hutu modéré», qui désignait les démocrates hostiles au régime Habyarimana avant le génocide, est aujourd'hui récupérée par ces gens, au Zaïre, au Kenya, en Afrique occidentale ou en Europe.
Leur discours va dans le sens d'une banalisation et d'une justification du génocide. Un équilibre est suggéré entre l'extermination planifiée d'avril-juillet et les vengeances localisées qui ont suivi. Les arrestations actuelles de suspects de crimes contre l'humanité sont comparées avec les rafles de « complices du FPR » d'octobre 1990. L'amnistie est réclamée pour les coupables alors qu'ils n'ont même pas reconnu leurs crimes. Le retour au pouvoir des leaders du Hutu Power est revendiqué au nom de leur « communauté», entretenant ainsi une culpabilité collective pour mieux diluer les responsabilités.
La guerre civile est décrite comme responsable du massacre des Tutsis, au nom de la « colère populaire ». Enfin, la solution proposée est celle d'un retour à l'ancien régime des quotas et de la « majorité ethnique » naturelle.
Ce négationnisme bénéficie de puissants soutiens en Europe. Des ONG belges de la mouvance démocrate-chrétienne qui avaient repris contact avec le « gouvernement » de Gitarama dès mai 1994 assurent la logistique permettant à leurs homologues rwandais de garder le contrôle des réfugiés. A l'automne, on a assisté à une campagne pour bloquer les aides internationales.
En France, en Belgique, en Allemagne, des collectivités locales jumelées avec le Rwanda accueillent les tenants d'une prétendue « troisième voie » hostile à l'actuel gouvernement de coalition de Kigali. En France, le sommet de Biarritz a été l'occasion, autour de l'Elysée, de dénoncer la « vision manichéenne selon laquelle il y aurait eu des massacreurs et des libérateurs ».
Du côté catholique, les dénonciations et les mises en garde se multiplient depuis janvier dernier contre le régime actuel, sans un mot sur les responsabilités accablantes de l'ancienne hiérarchie rwandaise. Le révisionnisme s'étale dans des périodiques religieux, comme la revue « Dialogue » à Bruxelles. Tout cela indigne des croyants rwandais, conscients de la profondeur de la crise.
En fait « les amis du Rwanda », soutiens du régime ethniste de Kigali depuis trente ans, préfèrent justifier à tout prix leur position plutôt que de s'interroger.
Le plus dangereux aujourd'hui réside dans l'exploitation de la crise burundaise: l'alliance des extrémistes hutus avec les miliciens rwandais au Zaïre, la diffusion de rumeurs suscitant le départ organisé de milliers de réfugiés rwandais vers la Tanzanie sont autant de moyens de disqualifier une commémoration digne du génocide rwandais.