Fiche du document numéro 27838

Num
27838
Date
Lundi 27 juin 1994
Amj
Taille
24525
Titre
Questions aux autorités françaises sur l'intervention militaire au Rwanda [Extraits]
Sous titre
Lettre ouverte de 60 chercheurs africanistes [devenus 103]
Extrait de
Billets d'Afrique n° 12, 14 juillet 1994, p. 2 ; L'Humanité 9 juillet 1994
Type
Lettre
Langue
FR
Citation
Le 22 juin, avec l'accord du Conseil de Sécurité de l'ONU, des forces militaires françaises sont intervenues au Rwanda, malgré le désaveu de l'OUA, malgré l'opposition clairement affirmée du Premier Ministre du gouvermement rwandais désigné par les accords d’Arusha, Faustin Twagiramungu, et du vice Premier Ministre, Jacques Bihozagara, membre du Bureau politique du Front patriotique rwandais (FPR), malgré les dénonciations des risques liés à cette interventon exprimées par la plupart des organisations humanitaires françaises travaillant sur le terrain. Le gouvernement français affirme qu'il ne s'agit en aucun cas d'une ingérence politique. Le but de cet intervention serait strictement humanitaire : mettre fin aux massacres, protéger les réfugiés. Ces affimations ne pourront convaincre qu'à condition de se démarquer du passé par des actes et de faire toute la lumière sur la politique de la France au Rwanda, entre 1990 et 1994. [...]

Première question. Fin avril, le représemant de la France au Conseil de Sécurité refusait l'application du qualificatif de génocide aux massacres perpétrés contre les Tutsis du Rwanda. Le 18 mai, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, reconnaissait à l'Assemblée Nationale la réalité du génocide. Le 16 juin il se prononçait pour un « véritable devoir d'intervention ». Puisqu'il reconnaît le génocide, le gouvernement français en tirera-t-il les conséquences: prendra-t-il l'initiative de proposer à l'ONU la création d'un tribunal pénal international pour juger les responsables du génocide et du massacre des démocrates au Rwanda? Engagera-t-il immédiatement des poursuites, devant des juridictions françaises, contre les auteurs de crimes que les conventions de Genève définissent comme « violations graves du droit humanitaire » ? On sait en effet que certains de ces criminels se trouvent en France et sont déjà identifiés,

Deuxième question. L'intervention militaire sauvera des vies, cela ne nous empêche pas de continuer à nous interroger sur les objectifs et les enjeux de cette action au Rwanda. La France a déclaré « qu'elle n'aura aucune complaisance à l'égard des assassins ou de leurs commanditaires ». Comment l'armée française coexistera-t-elle avec des préfets, sous-préfets, bourgmestre, militaires, miliciens, civils rwandais qui ont participé aux massacres ? Au nord, à Gisenyi, sont repliés les membres du pseudo “gouvernement intérimaire du Rwanda”, qui comprend des responsables du génocide. Comment les forces armées françaises traiteront-elles les assassins, membres de ce gouvernement ?


Troisième question. La France annonce quelle n'agira pas comme force d'interposition. Mais la ligne de front n'est pas une frontière fixe. Tout laisse au contraire prévoir que l'avancée du FPR se poursuivra : que décidera-t-on lorsque, à brève échéance, le FPR atteindra la zone d'intervention française ? À l'ouest, sont réfugiés un grand nombre de Hutus auxquels les hommes du régime Habyarimana n'ont cessé, depuis des années, de déclarer que le Front patriotique rwandais allait les tuer. Quand la ligne de front se déplacera, avec l'avancée du FPR, comment la France se comportera-t-elle à l'égard de cette masse de réfugiés, qu'ont manipulés et que continuent à manipuler les administrateurs du génocide ? L'argument humanitaire ne risque-t-il pas de devenir un prétexte pour aider, comme par le passé, les “forces armées rwandaises” ?

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