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C’est un dossier sensible qui affecte les relations entre la France et le Rwanda. Le journal en ligne Mediapart a révélé l’existence d’un télégramme diplomatique daté du 15 juillet 1994 et qui demande aux militaires Français de l’opération Turquoise de ne pas interpeller les génocidaires présents dans la zone humanitaire qu’ils contrôlaient alors. Un document qui relance le débat sur le rôle de la France lors du génocide des Tutsis aux Rwanda.
Pour les acteurs de terrain, la question mérite d’être replacée dans son contexte : le colonel Jacques Hogard, qui commandait le secteur sud de l’opération Turquoise en 1994, justifie ce geste par une situation complexe à gérer : il parle d’un déséquilibre du rapport de force, entre son bataillon et les membres du gouvernement intérimaire qui lui faisaient face à ce moment-là.
« Je ne peux pas vous laisser dire qu’on a voulu laisser partir les génocidaires. Le gouvernement français demandait des instructions claires à l’ONU, qui ne sont jamais venues. Sur le terrain, on a une situation compliquée avec des gens qui viennent finalement se mettre à l’abri du drapeau français. Il est hors de question que cela se passe et je n’ai, encore une fois, aucun ordre de les arrêter, de les appréhender ou de leur fermer la frontière. Je peux vous dire que, dans la situation dans laquelle j’étais, avec les moyens que j’avais, en évaluant la situation, je n’ai pas imaginé une minute que j’allais me saisir par la force de ces gens-là, qui étaient accompagnés d’une centaine de gardes armés. J’aurais évidemment déclenché un bain de sang. Je ne sais pas s’il y aurait beaucoup de survivants. Je sais que j’aurais eu quelques blessés et quelques tués... Ça fait partie du métier, bien sûr, mais c’est de la responsabilité d’un chef de décider, en conduite, ce qu’il doit faire », explique le colonel Jacques Hogard.
Une décision politique pour Survie
Pour le chercheur François Graner, membre de l'association Survie, qui a étudié et révélé le contenu de ce télégramme du 17 juillet 1994, ce document révèle une chose importante : la responsabilité certains dirigeants politiques de l’époque, contre lesquels des actions judiciaires pourraient être enclenchées.
« Ce document est important, parce que ce qu’il dit, c’est que des hommes politiques de premier plan - messieurs Juppé et Védrine - sont impliqués dans la suite des organisateurs du génocide des Tutsis, alors même que le représentant sur place réclamait des arrêtés sur les questions qui imposent pourquoi avoir fait cela. C’est ce que l’on savait déjà, c’est qu’en fait la décision a été politique. Elle a été prise en haut lieu. Donc n’est pas question du tout d’accuser l’armée française, autant au niveau des exécutants, mais beaucoup plus au niveau des décideurs. Il ne s’agit pas dire que la France est impliquée dans le génocide des Tutsis. Pas directement, mais qu’elle a soutenu, avec un effet sur le crime commis, et que donc, du fait qu’il y ait eu un soutien actif, en connaissance de cause et avec un effet sur le crime commis, cela s’appelle de la complicité. Donc il s’agit bien de complicité de génocide, sans intention génocidaire. Voilà. La seule question c’est : est-ce que la justice est prête à aller jusqu’au bout ? Et on voit dans l’affaire, en particulier des plaintes qui ont été déposées a fortiori, que la justice n’est pas toujours prête à aller jusqu’au bout de ce que permet le droit », estime pour sa part François Graner.
Dans tous les cas, ce document est important parce que, plus de 25 ans après les faits, plusieurs zones d’ombres subsistent sur le rôle présumé joué par la France dans ce génocide.