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Félicien Kabuga était en quelque sorte le dernier cerveau du génocide [au Rwanda] qui était encore en liberté", a expliqué samedi 16 mai sur franceinfo, David Servenay, journaliste et co-auteur du livre,
Une guerre noire - Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959 à 1994), paru aux éditions La Découverte, après l'arrestation à Asnières-sur-Seine samedi de celui qui est soupçonné d'avoir "
joué le rôle de financier", dans le "
petit groupe de gens qui étaient tous des extrémistes et qui ont conduit le génocide", a précisé le journaliste.
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Il va y avoir toute une procédure qui va l'amener à être extradé à La Haye auprès de la Cour pénale internationale", a expliqué David Servenay. Félicien Kabuga "
est poursuivi pour sept chefs d'accusation qui relèvent du génocide" et "
il est fort probable qu'il soit jugé par la justice internationale, même s'il est assez âgé et malade".
franceinfo : Félicien Kabuga, qui est-il et quel a été son rôle dans le génocide des Tutsis au Rwanda ? David Servenay : Félicien Kabuga, c'était un homme d'affaires très prospère avant le génocide à partir du début des années 1990. C'est quelqu'un dont le rôle est à appréhender à travers sa famille. Il a eu 11 enfants dont deux filles mariées à deux fils du président Habyarimana. Il a commencé par financer les milices Interhamwe, dès 1991. Ensuite, il a participé au financement de la radio-télévision libre des mille collines qui allait devenir la radio de la haine, incitant au meurtre en permanence. C'est lui qui a monté le tour de table qui a permis d'acheter tout le matériel qu'il fallait pour monter cette radio. Il a joué un rôle très important. Il a également organisé tous les circuits financiers pour acheter des armes pendant le génocide et qui allaient servir à l'armée et aux quelques unités militaires qui ont participé au génocide.
Il a pu échapper à la police pendant 25 ans avant d'être arrêté à Asnières-sur-Seine. On peut imaginer qu'il a bénéficié de complicité ? Oui, et ce n'est pas la première fois qu'il échappait aux polices qui le poursuivaient depuis 25 ans. En Allemagne, en 2007, les policiers allemands ont failli l'interpeller au moment où ils ont arrêté l'un de ses gendres, Augustin Ngirabatware, qui était le ministre du Plan avant le génocide. Les policiers l'avaient raté de très peu. Ce que l'on sait à propos de son arrestation, c'est que les policiers français ont eu une information qui a permis de localiser un appartement à Asnières-sur-Seine. À partir de là, ils ont mis en place tout un dispositif de géolocalisation, d'écoute et de réquisition bancaire également. Cette opération a permis de conduire à son arrestation. L'un des enquêteurs me glissait que jusqu'à ce matin à 6h30 au moment où ils ont enfoncé la porte de cet appartement, ils n'étaient pas du tout certains de trouver Félicien Kabuga à cet endroit-là.
Quelles vont être maintenant les suites judiciaires ? Il y a plusieurs possibilités. Il va y avoir toute une procédure qui va l'amener à être extradé à La Haye auprès de la Cour pénale internationale. Le tribunal pénal pour le Rwanda n'existe plus formellement. Il y a ce qu'on appelle le Mécanisme résiduel, une petite équipe qui continue à suivre les cas encore en cours. Il devrait être extradé dans les prochains jours ou les prochaines semaines. En France, il y a d'autres enquêtes notamment une qui concerne la BNP Paribas avec des circuits financiers qui ont servi à acheter des armes par les génocidaires rwandais. Cette investigation pourrait intéresser les juges parce que Félicien Kabuga a joué un rôle très important dans ces affaires. Il n'est pas impossible que les juges au nom de l'entraide pénale demandent à interroger Félicien Kabuga.
On peut s'attendre à ce qu'il y ait un procès même si Félicien Kabuga a 84 ans ? Oui, absolument, car il est poursuivi pour sept chefs d'accusation qui relèvent du génocide. Il est fort probable que Félicien Kabuga soit jugé par la justice internationale, même s'il est assez âgé et malade. Félicien Kabuga était en quelque sorte le dernier cerveau du génocide qui était encore en liberté. Il y a une centaine de personnes qui ont été jugés par le tribunal pénal international pour le Rwanda. C'était le dernier fugitif.