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Par une dépêche de l’AFP datée du 16 novembre 2020, nous avons appris que madame Agathe Kanziga, épouse Habyarimana, avait fait appel d’un refus du juge d’instruction en charge du dossier « de clôturer l’enquête » ouverte contre elle, invoquant le « délai déraisonnable de la procédure ». S’il est un point sur lequel nous sommes d’accord avec madame Kanziga, et c’est bien le seul, c’est que cette affaire n’a que trop traîné. Et ce n’est pas pas manque de nous en offusquer.
Lorsque le CPCR a déposé plainte contre madame Kanziga, le 14 février 2007, nous savions bien que nous allions au devant de difficultés insurmontables. Politiquement, comment la France, qui l’avait accueillie dans les premiers jours du génocide des Tutsi, avec fortes indemnités et bouquet de fleurs, allait pouvoir, treize ans plus tard, accepter de la juger.
Si la justice a longtemps traîné les pieds, ce n’est pas seulement dans cette affaire. Des freins politiques, auxquels se sont ajoutés le manque de moyens financiers, le manque de juges d’instruction (le fait aussi qu’ils se sont succédé parfois à un rythme effréné, se passant les dossiers de main en main), tout cela aboutit à ce résultat : trois génocidaires jugés en 27 ans.
Madame Kanziga ne voudrait pas avoir à supporter une épée de Damoclès sur la tête jusqu’à la fin de ses jours ? « Toutes ces années de travail de la justice française n’ont débouché sur rien », aurait commenté son avocat, Me Philippe Meilhac. « La gravité des faits ne permet pas de faire durer éternellement une procédure », d’autant qu’« elle permet d’entretenir un flot d’accusations contre ma cliente qui l’empêche d’obtenir un titre de séjour ».
Elle n’a pas obtenu de titre de séjour ? Mais cela ne l’empêche pas de couler des jours heureux (apparemment pas si heureux que cela), dans sa villa de Courcouronnes, entourée d’une partie de sa famille, ce qui est loin d’être le cas pour beaucoup de rescapés du génocide des Tutsi. Ses enfants n’ont-ils pas obtenu la nationalité française ? Elle aurait pu être extradée, mais la Cour de cassation s’est opposée, à 42 reprises, et peut-être davantage, à tout transfert vers le Rwanda. Ce qui nous reste incompréhensible (nous ne cessons de dénoncer ces décisions).
Madame Kanziga, s’était vue aussi refuser le statut de réfugiée politique: l’OFPRA en avait exposé les raisons. On comprendrait mal, aujourd’hui, que cette affaire, comme ce fut déjà le cas dans quatre autres dossiers (Wenceslas Munyeshyaka, Pierre Tegera, Paul Kanyamihigo, Camy depuis sa naturalisation et Félicien Baligira), puisse se terminer par un non-lieu.
Comme madame Kanziga, nous sommes pressés d’en finir, mais pas pour les mêmes raisons ni en vue de la même conclusion. Une fois de plus, nous demandons que la justice française ne tarde pas davantage à traduire en justice ceux qui auraient commis le crime des crimes au Rwanda, et qui vivent sur le sol français. Le temps joue en faveur des bourreaux. On aimerait que le match se termine. Mais les accusés et leur défense se font un malin plaisir de jouer la montre.
Alain GAUTHIER, président du CPCR