Fiche du document numéro 27659

Num
27659
Date
Samedi 16 janvier 2021
Amj
Auteur
Taille
123120
Sur titre
Rwanda
Titre
François Graner : « Plus on avance, et plus le tableau est accablant » pour la France au Rwanda
Sous titre
Le chercheur, qui a eu accès aux archives de l’Elysée, décrit une politique française au Rwanda parfaitement maîtrisée, établie par un cénacle autour de François Mitterrand.
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Source
Commentaire
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Physicien et directeur de recherche au CNRS, François Graner a obtenu du Conseil d’Etat, en juin 2020, un accès aux archives de François Mitterrand concernant la politique de la France au Rwanda et le génocide des Tutsi, qui a fait 800 000 morts en 1994. Egalement membre de l’association Survie, qui vise à mettre fin « à toute intervention néocoloniale en Afrique », François Graner est l’auteur de deux ouvrages sur le Rwanda : Le Sabre et la machette. officiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014) puis, avec Raphaël Doridant, de L’Etat français et le génocide des Tutsi au Rwanda (Tribord, 2020).

Vous avez eu accès à des cartons d’archives de François Mitterrand, dont une partie n’était pas connue. Qu’en retenez-vous ?

Les documents que j’ai consultés viennent renforcer les résultats de nombreux travaux faits depuis vingt-cinq ans. Plus on avance et plus le tableau est accablant. A aucun moment, de 1990 à 1994, on n’observe de panique ou d’aveuglement à Paris. Des procédures sont mises en place, des informations et des analyses remontent. Les responsables politiques jouent leur rôle. Quant aux ordres donnés aux administrations et aux militaires, ils descendent. Bref, tout fonctionne. La politique de la France qui est appliquée au Rwanda est celle des décideurs, en particulier d’un petit noyau autour de François Mitterrand.
L’ancien président et trois hauts gradés – le général Christian Quesnot [conseiller militaire], le général Jacques Lanxade [chef d’état-major des armées] et le général Jean-Pierre Huchon [chef de la mission militaire de coopération] – partagent une même ligne. Ils fonctionnent en cercle vicieux. Ils s’influencent mutuellement, avec François Mitterrand.

Comment se définit cette ligne ?

La politique qui est alors pratiquée au Rwanda existe aussi dans d’autres pays africains. Il s’agit de préserver un régime au sein de la zone d’influence française, sans se préoccuper de ce qu’il inflige à sa population. Le Rwanda est le pays où les conséquences seront les plus graves.
Les documents montrent bien comment les généraux Quesnot et Lanxade influencent Mitterrand sur des points précis. Ils déforment l’information reçue de leur base, et ils la transforment en un affrontement entre une zone d’influence française et une autre, d’influence anglaise ou anglo-saxonne. Ils désignent les Tutsi et le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame comme des ennemis. Mitterrand et ces trois militaires sont obsédés par l’influence anglo-saxonne. Avec la cohabitation, à partir du printemps 1993, les procédures changent un peu en ce qui concerne la circulation de l’information, mais pas au niveau de la prise de décision. C’est Mitterrand qui décide à peu près de tout.

Ces documents confortent-ils l’hypothèse d’une complicité de génocide, dont la France se serait rendue coupable ?

Ce n’est pas la France en elle-même. La politique française qui a été menée est une complicité de génocide, au sens précis de « soutien actif, en connaissance de cause », avec un effet sur le crime commis. Pour moi, cela est déjà démontré depuis un certain temps. La question suivante consiste à savoir si telle ou telle personne peut être sanctionnée. A cela, la justice a déjà répondu en disant qu’elle ne souhaitait pas enquêter sur ces individus, malgré la plainte déposée par des rescapés tutsi.

Quelles sont les procédures encore en cours en France concernant le génocide des Tutsi ?

Il y a d’abord des plaintes contre de présumés génocidaires rwandais vivant en France. Les procédures ont mis longtemps à être déclenchées, la France ayant même été condamnée pour sa lenteur. Ensuite, il y a des plaintes en diffamation. Elles ont connu des issues diverses. Certaines sont toujours en cours. Troisièmement, il existe une plainte contre X, qui vise en réalité l’armée française et concerne l’affaire de Bisesero [où des soldats français sont accusés de ne pas avoir protégé près de 2 000 Tutsi massacrés du 27 au 30 juin 1994]. La justice a dit qu’elle ne voulait pas se pencher sur les décideurs parisiens, sous prétexte que les militaires sur le terrain étaient autonomes. Il y a aussi une plainte pour livraison d’armes contre Paul Barril, ancien mercenaire et gendarme de l’Elysée, des plaintes pour viols à l’encontre de militaires français et contre la BNP pour le financement d’un achat d’armes pendant le génocide. Concernant l’attentat contre le président Habyarimana, un non-lieu [contre des proches du président rwandais, Paul Kagame, ancien chef du FPR] a été prononcé. On attend la confirmation en cassation.

Est-ce qu’il reste des zones d’ombre sur la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 ?

Il y en a plusieurs. Parmi elles, le rôle de la France dans l’attentat contre le président Habyarimana, le 6 avril 1994. A-t-elle soutenu des extrémistes hutu ou pris part à la décision ? A l’exécution ? Est-ce que des militaires français de l’armée régulière ou des mercenaires liés à la France ont participé ? On sait aussi qu’il y a plusieurs dizaines de Français qui sont restés au Rwanda, en zone gouvernementale, pendant le génocide. Ont-ils fait seulement du renseignement ? De la formation ? Du conseil pour les combats ? Ont-ils participé aux combats ? Il reste enfin des zones d’ombre sur les questions de financement et sur le soutien aux génocidaires rwandais après le génocide.

Emmanuel Macron a mis en place une commission d’historiens, présidée par Vincent Duclert, pour « contribuer à une meilleure connaissance du génocide des Tutsi ». Pour la première fois, toutes les archives leur ont été ouvertes. Quelle est pour vous l’importance de cette étape ?

Cette commission pourrait faire avancer utilement la connaissance. Mais elle permet aussi de gagner du temps et de reporter la reconnaissance de la complicité française dans le génocide. Emmanuel Macron fait comme s’il n’y avait jamais eu la mission parlementaire de 1998, ni la promesse de François Hollande, en 2015, d’ouvrir toutes les archives aux chercheurs avant fin 2016. Et il décide royalement de donner à sa commission l’accès à des documents qui ont été refusés même aux juges !
Or, concernant son indépendance, les trois signaux que cette commission a déjà émis sont négatifs : elle s’installe dans des locaux du ministère de la défense ; elle publie en avril 2020 une note à mi-parcours dans laquelle elle blanchit d’avance l’armée française ; et à l’automne 2020, quand les partis pris inacceptables et les erreurs d’une de ses membres [Julie d’Andurain] sont étalés en public, la commission ne s’en désolidarise pas. La rapporteuse publique du Conseil d’Etat l’a bien souligné : ce dont a besoin le débat démocratique, ce n’est pas une commission choisie par le pouvoir. C’est que ces archives soient ouvertes à tous les chercheurs.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024