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La question de la responsabilité de la France sur le génocide rwandais sur les Tutsis qui a fait 800 000 morts en 1994, c’est un puzzle de plusieurs millions de pièces, qu’on ne peut achever qu’après des décennies de patience et de persévérance. Plus on assemble les morceaux, plus l’image devient claire. C’est ce méticuleux travail d’historiens et de chercheurs qui a abouti ce week-end à une nouvelle donnée. François Graner, Physicien et directeur de recherche au CNRS, a mis au jour de nouveaux documents déposés par François Mitterrand aux archives nationales, qui éclaire un peu plus sur ce qui s’est passé avant le génocide.
Paris ne tient pas compte de la montée des extrémistes hutus
Dès 1990, la France, qui a ses militaires partout au Rwanda, est informé de plusieurs vagues de violences. François Mitterrand est alors président de la république, et proche du président rwandais Habyarimana. En 1992, son chef d’Etat major particulier, le général Christian Quesnot, lui écrit : "Des massacres interethniques ont été perpétrés par des milices proches du parti au pouvoir (…). La présence de nos militaires, qui évite le pire, contribue à la survie du régime (…). Par contre, la proximité de nos troupes des zones de massacre peut susciter des interrogations."
La France laisse faire, l’ambassadeur de France à Kigali reçoit même des émissaires français venus vendre des armes, trois mois avant le génocide. L’entourage Hutu du président rwandais commence à se radicaliser, laissant exploser leur haine des Tutsies... Paris ignore le danger.
Pourquoi un tel aveuglement à l’époque
On pourrait cyniquement dire que c’est l’arrogance française : la France est chez elle en Afrique, elle pourra toujours rattraper le coup plus tard. La situation au Rwanda est alors sous-estimée.
Paris n'a aucune intention d'abandonner le gouvernement en place. Non, la France ne veut pas abandonner le Rwanda. En 1993, Pierre Bérégovoy, alors Premier ministre, déclare : "Il est impossible politiquement que nous nous retirions actuellement du Rwanda." François Mitterrand approuve : "Partir serait une atteinte au prestige."
Dans les années 90, François Mitterrand est obsédé par l’espace d’influence de la francophonie incarné par le gouvernement hutu au Rwanda, alors qu’une partie des Tutsis, le Front patriotique rwandais est soutenu par les Ougandais, et donc les Anglo-saxons.
Dans l’attente d’un nouveau rapport
Une commission de recherches sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994) a été lancée par Emmanuel Macron en 2019. Elle doit rendre un rapport en avril 2021 mais a déjà été secouée par plusieurs polémiques. Certains spécialistes du Rwanda lui reprochent son manque d’indépendance. La commission est notamment basée dans les locaux du ministère de la Défense. À mi-parcours, la Commission, présidée par Vincent Duclert, est jugée décevante, voire, "stupéfiante" par François Graner du CNRS. Il estime qu’elle a d’emblée blanchi l’armée française. La France a, semble-t-il, du mal à regarder les pages obscures de son passé.