Fiche du document numéro 27471

Num
27471
Date
Mercredi 11 novembre 2020
Amj
Taille
128413
Titre
Félicien Kabuga refuse de se prononcer sur les accusations de génocide commis au Rwanda
Sous titre
Le financier présumé du génocide comparaissait, mercredi, à La Haye devant un juge du Mécanisme, chargé des derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Son procès pourrait s’ouvrir en juillet 2021.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Derrière sa cage de Plexiglas, encadré par deux gardes gantés de latex, Félicien Kabuga comparaît le visage masqué, mercredi 11 novembre, devant un juge du Mécanisme, l’organe de l’Organisation des Nations unies (ONU) chargé des derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), fermé en 2015. A quelques mètres de l’homme d’affaires rwandais, le juge Iain Bonomy, assis lui aussi derrière des rectangles transparents, a toutes les peines du monde à comprendre les premiers mots de l’accusé. Ni la presse, ni d’éventuels visiteurs n’ont été autorisés, Covid-19 oblige, à assister à l’audience, retransmise sur Internet.

« L’acte d’accusation a bien été notifié à monsieur Kabuga dans le cadre des procédures françaises. Il a d’ailleurs rejeté les charges [en mai 2020] », a expliqué Emmanuel Altit, son avocat. « Nous avons pu essayer de discuter les éléments en kinyarwanda, mais monsieur Kabuga est très fatigué », a assuré Me Altit avant de réclamer la lecture intégrale des vingt pages d’accusations sur lesquelles le vieil homme, âgé de 87 ans, selon ses dires, est censé se prononcer. Félicien Kabuga est poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité commis en 1994 au Rwanda, qui auraient fait entre 500 000 et un million de morts.

Peu après le début du génocide, le 6 avril 1994, Félicien Kabuga s’était déplacé à Gisenyi, dans le nord-ouest du pays, ville frontalière avec ce qui était encore le Zaïre, et avait élu domicile à l’hôtel Méridien. C’est là que, le 25 avril, il présidait à la création du Fonds de défense national (FDN) devant un parterre d’hommes d’affaires. Le but : « collecter des fonds pour fournir un appui financier et logistique aux Interahamwe », les milices qui alors sélectionnent, trient les Tutsi aux barrières érigées dans tout le pays et tuent sur les collines du Rwanda. Selon les accusations, Félicien Kabuga souhaitait « voir les [milices] Interahamwe de Gisenyi et Kimironko commettre, avec son soutien, le génocide et l’extermination contre des personnes identifiées comme étant des Tutsi ».

Mettre la santé au cœur de l’affaire



Dans la salle d’audience, plus le greffier avance dans la lecture des charges, plus le visage de l’accusé se durcit, sourcils froncés, mains agitées. Félicien Kabuga a fourni des armes et des uniformes, distribué de l’argent liquide et de l’alcool, fourni ses véhicules pour le transport des civils tutsi par les miliciens jusqu’à la « commune rouge », cimetière transformé en une vaste fosse commune. A Kigali, la capitale, dans les préfectures de Kibuye et de Gisenyi, dans l’ouest du pays, les miliciens bénéficient des largesses et du soutien de l’homme d’affaires.

Félicien Kabuga doit aussi répondre de son rôle de président de la Radio-Télévision libre des mille collines (RTLM) qui ciblait à l’antenne les Tutsi et les opposants hutu à éliminer, en encourageant les miliciens. L’accusé « préfère ne pas répondre », a annoncé Me Altit au terme de la lecture, demandant au juge d’acter un plaidoyer de non-culpabilité.

L’avocat du Rwandais compte bien mettre la santé au cœur de cette affaire. Depuis son arrestation le 16 mai à Asnières-sur-Seine, en région parisienne, Félicien Kabuga se dit souffrant. C’est pour lui éviter trois changements d’avion et onze heures de vol qu’il a été transféré le 26 octobre à La Haye (Pays-Bas) plutôt qu’à Arusha, en Tanzanie, où ont été jugés les grands procès du génocide. Dès son arrivée dans la prison de Scheveningen, en banlieue de La Haye, les juges ordonnaient un examen médical complet pour décider de son aptitude à voyager jusqu’à Arusha pour son procès. Mais le diagnostic se fait attendre.


« La réalité de l’affaire doit commencer et se terminer dans les délais les plus courts, pour des raisons évidentes à tout un chacun », a rappelé le juge Bonomy. « Nous allons resserrer les charges en fonction de nos enquêtes, et mettre à jour ce dossier », a déclaré le procureur Serge Brammertz. Ce dernier a néanmoins réclamé du temps et rappelé que vingt-six ans après les crimes et vingt-trois ans depuis les premières accusations, « il est difficile de revenir vers des témoins de l’époque pour leur demander de déposer ».

Une équipe d’une dizaine de personnes, enquêteurs, procureurs et traducteurs, est déployée à Kigali. Une fois les accusations amendées, le procureur devra transmettre l’intégralité du dossier à la défense, traduire certaines pièces et préparer aussi la protection des témoins. Serge Brammertz a proposé de démarrer le procès en juillet 2021.

Stéphanie Maupas(La Haye, correspondance)

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