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Une membre de la commission d’historiens chargée de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 s’est mise en retrait. Plusieurs historiens lui reprochaient d’être de parti pris. Cette affaire interroge sur l’orientation du rapport que cette commission doit rendre à Emmanuel Macron en avril 2021.
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C’est un nouveau départ qui touche la Commission d’historiens chargée par Emmanuel Macron de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Après l’historienne Annette Wievorka, en septembre 2019, c’est au tour de Julie d’Andurain de quitter cette équipe, nommée il y a un an et demi et qui doit rendre au président de la République, en avril 2021, le fruit de son enquête sur l’implication militaire et politique de la France dans ce pays où 800 000 Tutsis ont été exterminés au printemps 1994, selon l’ONU.
Un départ surprenant et sans raison officielle
Si Annette Wievorka avait quitté cette commission car elle ne se sentait pas le courage et la force de se plonger dans cet immense travail, Julie d’Andurain s’est mise en retrait le 25 août 2020, a annoncé de manière surprenante ce samedi 14 novembre, Vincent Duclert, le président de la commission.
Il n’en a pas précisé la raison, et « ne souhaite pas faire d’autres déclarations », précise-t-il, préférant se concentrer « avec mon équipe sur la fin des dépouillements d’archives et la rédaction du Rapport de la Commission ». Un silence adopté par les autres membres de la commission.
« Cette mise en retrait volontaire signifie que Madame d’Andurain ne consulte plus d’archives, qu’elle ne participe plus aux réunions d’équipe et qu’elle ne contribue pas à la rédaction du rapport », a toutefois spécifié Vincent Duclert. L’historien précise que ce rapport « sera remis le 5 avril au président Macron, lequel le rendra aussitôt public avec l’intégralité des sources in extenso, comme cela a toujours été décidé et annoncé ».
Au cœur d’une polémique
L’annonce de la mise en retrait de Julie d’Andurain est intervenue alors que l’historienne était au cœur d’une polémique déclenchée par un article du Canard Enchaîné, à la fin du mois d’octobre. L’hebdomadaire avait exhumé un article qu’elle avait écrit sur l’intervention militaro-humanitaire française Turquoise de juin à août 1994, dans lequel elle estimait que « l’Histoire rendrait raison » au bilan de cette opération controversée depuis 26 ans.
Après avoir pris connaissance de cet article sur Turquoise, plusieurs historiens avaient critiqué les orientations de Julie d’Andurain, notamment Jean-Pierre Chrétien : « J’avoue m’interroger sur la fibre historienne de Madame d’Andurain face à la question rwandaise quand elle écrit que “L’Histoire lui rendra raison [à l’opération Turquoise] dès lors que les historiens pourront ouvrir les archives dans 50 ans”. Elle n’attendrait donc rien de nouveau d’un tel dépouillement ? ».
Sauver le rapport la crédibilité du rapport de la commission
L’historienne Hélène Dumas, spécialiste du Rwanda et écartée de cette commission, ajoute : « l’orientation des écrits de Julie d’Andurain est claire, elle va dans le sens voulu par les défenseurs du rôle de l’armée française au Rwanda. Sa mise en retrait pose question sur le futur rapport de cette commission : quelle place et quel rôle auront le travail qu’elle a fourni pendant un an et demi dans l’élaboration du futur rapport. On ne le sait pas. »
« La date de cette mise en retrait est une blague, juge le spécialiste du Rwanda Jean-François Dupaquier. Après l’exhumation des écrits de cette historienne par le Canard enchaîné, ce 28 octobre, j’en ai discuté avec Vincent Duclert plusieurs fois : elle siégeait alors dans la commission. » Et de penser : « il a été obligé de s’en séparer car sa présence jetait la plus grande suspicion sur la neutralité du futur rapport. »
Face aux archives, la position de Julie d’Andurain a changé
Contactée, Julie d’Andurain ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet. En revanche, parmi ceux qui ont pris sa défense, l’historien Robert Frank explique : « notre soutien a été mal interprété. Nous avons condamné la forme prise par les attaques dont elle était l’objet sur Twitter. Cela a été interprété comme une défense de son article sur Turquoise. Or cet article est très mauvais, cela ne fait aucun doute. D’ailleurs, elle-même le reconnaît aujourd’hui, après avoir dépouillé, dans le cadre de la commission Duclert, les archives militaires de cette époque. »