Citation
I.2.c.L’extension de la théorie hamite dans les Grands-Lacs
Au Rwanda et au Burundi c’est bien la colonisation qui a inventé la théorie hamitique qui se présente comme « un processus de construction historique, psychologique, sociale et politique de groupes humains par l’attribution à ses membres d’une nature biologique qui aurait une réalité matérielle et des effets sur leurs manières d’être et d’agir » (cfr FAUCHEUX A.). La conséquence de cette théorie hamitique dont le but était la manipulation politique des indigènes par les colonisateurs européens, c’est que la région des Grands-Lacs est devenue une zone des violences entre deux groupes considérés comme des Bantous et des Hamites. Les Hutus du Rwanda et du Burundi ont su convaincre leurs « frère » bantous du Kivu dans cette théorie hamitique ; il est effrayant d’entendre dire dans le Kivu, surtout au sein des communautés qui ont connu une histoire précoloniale tumultueuse avec le Rwanda, qu’un « Tutsi est bon quand il est enterré », exprimant ainsi leur haine atavique vis-à-vis d’eux ! Les statistiques macabres et les faits des violences sexuelles ont aggravé la diabolisation de l’humain Tutsi ; différents organes de médiatisé ont exacerbé la haine anti-tutsi et influencé beaucoup de lettrés africains à l’exemple du journaliste Charles ONANA (Ces Tueurs Tutsi) ou du Prix Nobel de la Paix le brave Dr. MUKWEGE qui avait fait une déclaration navrante sur les violences dans le Sud-Kivu (Ce sont toujours les mêmes...! dixit le Dr. MUKWEGE). Il est à craindre que l’idéologie génocidaire soit intériorisée dans l’imaginaire de beaucoup de Congolais !
I.3.Les populations transfrontalières
Le roi Léopold 2, propriétaire du Congo et l’Allemagne, puissance coloniale au Rwanda et au Urundi, vont avoir un contentieux frontalier qui ne sera réglé qu’en 1910 par des accords conclus à Londres ; le Congo étant devenu une colonie belge en 1908, cet accord frontalier sera signé entre l’Allemagne, l’Angleterre et la Belgique le 11 août 1910, approuvée par la loi belge du 14 juin 1911. D’après cette convention, les montagnes de Virunga restaient sur le territoire allemand (Ruanda) mais fut amputé du Bufumbira au profit de l’Angleterre (Ouganda) ; le sommet du mont Sabyinyo devint définitivement la limite frontalière des territoires allemands, anglais et belges. La ligne partant de la rivière de la Ruzizi jusqu’au nord du lac Kivu (entre Goma et Gisenyi) va fixer la frontière entre le territoire belge et allemande. Cyangugu fut intégré au Rwanda, l’île Idjwi, Rutshuru, Masisi et Goma furent cédés au Congo belge. Ainsi le Ruanda fut amputé d’une partie de son territoire et de sa population au profit du Congo belge et de l’Ouganda (cfr. De WEERD, p.150-152 ; cfr. DE LACGER L., p.41).
Le Kivu était prisé par les Européens qui le considéraient comme la Suisse de l’Afrique à cause de son relief et son climat. En 1928 une compagnie à Chartes est créée, le Comité National du Kivu – CNK pour organiser la colonisation des « terres vacantes » par des fermiers blancs. Pour exploiter son espace, le pouvoir colonial va favoriser la mobilité des populations par le déplacement du surplus démographique de l’est vers l’ouest sans tenir compte de la différence entre sujets d’une colonie (Congo belge) et ceux d’un territoire sous-mandat (Ruanda-Urundi).
Le mode de gestion publique adoptée par le pouvoir colonial l’oblige à s’appuyer sur les chefs coutumiers dociles ou à les remplacer, souvent brutalement, s’ils étaient récalcitrants. En 1921, un hunde André KALINDA est nommé par le pouvoir colonial Grand-Chef de la zone de Masisi peuplée des Hunde et des Twa ; les fonctionnaires lui rappelaient souvent qu’il avait acquis son pouvoir par leur bonne volonté et qu’une partie des terres de sa chefferie appartenait au Mwami du Ruanda (BUCYALIMWE MARARO, p.503).
I.3.a. Les transplantés et les réfugiés
L’emprise du pouvoir colonial belge au Ruanda était plus contraignante (impôts, corvées...) ce qui va pousser des jeunes Hutu et Tutsi des milieux populaires à migrer vers le Congo, l’Ouganda et la Tanzanie où le travail dans les plantations était plus attractif. En 1937, l’autorité coloniale va organiser la migration des Ruandais dans le cadre de Mission d’Immigration Banyarwanda – MIB ; une première vague de près de 25.000 paysans furent installés entre 1937 et 1945. Voulant garder son autorité vis-à-vis de ces transplantés, le Mwami du Ruanda pria le pouvoir colonial belge de nommer des chefs Tutsi (d’après une « Note sur l’immigration de Banyarwanda dans le Nord-Kivu » établie par le Service des Affaires Indigènes de la province du Kivu le 20 juin 1959) ; cette requête fut satisfaite par la création en 1940 de la chefferie de Gishari pour que les migrants ne dépendent pas de la chefferie des Bahunde. Cette première vague d’immigration officielle organisée va s’arrêter en 1945 ; après la seconde guerre, pour relancer l’économie congolaise, une deuxième vague d’immigration intensive sera organisée par la MIB, les migrants seront appelés à se soumettre aux chefs locaux. Cette politique d’immigration va s’arrêter en 1957 suite à la rareté des terres et des conflits locaux. Il faut signaler que pour son enregistrement, tout immigré devait au préalable remettre sa carte d’identité ruandaise aux autorités locales ; sa carte détruite, l’administration coloniale lui remettait un document congolais qui lui permettait de travailler comme journalier dans une plantation ; il était soumis aux mêmes obligations coloniales comme les travailleurs congolais (impôts, travaux forcés...) et chaque migrant recevait 5 hectares pour lui et sa famille. Par ces procédures administratives, l’autorité belge accordait à ses immigrés le statut de sujet congolais. Les terres données par le pouvoir colonial aux immigrés ruandais étaient vacantes ; en tant que premiers occupants qui les mettaient en valeur, ils avaient tous les droits. Sur le plan politique, ces transplantés étaient subordonné au grand chef Hunde homme lige du pouvoir colonial ; ainsi toute la communauté indigène était sous l’emprise du colonisateur. Le commissaire du district du Nord-Kivu, R.SPITAELS écrit ceci en 1952 : « Nous considérons que l’établissement des migrants établi les droits fonciers de la première occupation et que cette forme spécifique d’appropriation de terre équivaut la propriété. Des droits fonciers individuels sont en général acquis en travaillant cette terre. Le migrant qui reçoit une portion de terre sur une colline aura le droit d'occupation et d’utilisation exclusive de cette terre. » (BUCYALIMWE MARARO, p.514).
Les violences relatives à la chefferie du Gishari ont duré de 1945 jusqu’à sa suppression en 1956, l’autorité coloniale ayant considéré sa création comme étant une erreur politique. En 1957, période de changement d’alliance stratégique de la Belgique en faveur des Hutu au Ruanda, le chef Tutsi Wilfrid BUCHYANAYANDI fut condamné pour cause d’exaction et destitué ; le district du Nord-Kivu va remettre l’enclave de Gishari à la chefferie Hunde, ce qui va accentuer les conflits politiques. Suite à des pressions démographiques, l’administration coloniale se voit obligée d’arrêter l’octroi de nouvelles concessions foncières dans différentes chefferies. Malgré cela, des tensions se manifestent dans les zones les plus peuplées entre éleveurs et agriculteurs tous grands consommateurs de terres. La manipulation des anciennes chefferies et les frontières coloniales ont suscité des revendications irrédentistes contradictoires dans la région des Grands-Lacs. Pendant toute la période coloniale, la problématique des frontières et de la nationalité étaient occultée au Congo jusqu’à l’aube de l’indépendance.
Les génocides contre les Tutsi du Ruanda depuis 1959 et contre les Hutu du Burundi ont entraîné un nouvel afflux d’immigration au Kivu, qui s’est poursuivi jusqu’aux années 1970. La distinction entre autochtones Banyarwanda, transplantés et refugiés, devenait difficile et subtile ; le plus visible était la distinction entre autochtones (Nande, Hunde, Nianga, Bashi, Bafulero, Babembe...) et allochtones (Hutu, Tutsi). Seule la Belgique pouvait donner une solution responsable sur la problématique de la nationalité lors de la préparation à l’indépendance de son espace colonial ; la Loi Fondamentale pour le Congo fut muette sur cette problématique de la nationalité. D’ailleurs, l’échec pour l’émergence d’une communauté belgo-congolaise prônée par des esprits lucides comme le Professeur Van BILSEN en est un exemple des maladresses humaines de l’époque.
I.3.b.Les influences du Rwanda dans le Kivu
Les Banyarwanda du Nord-Kivu se composent des Hutu et des Tutsi qu’on retrouve au Rwanda ; ainsi, toutes les convulsions politiques depuis 1959 dans ce pays frontalier du Nord-Kivu ont eu sur ce dernier un impact socio-économique et démographique dans le Masisi ; en effet ce territoire va connaître un développement pastoral sans précédent au détriment des autochtones agriculteurs Hunde devenus minoritaires. Sur le plan politique, le Rwanda va évidemment exporter ses conflits internes caractérisés par les antagonismes Hutu-Tutsi. En effet le régime de Grégoire KAYIBANDA est intervenu au Nord-Kivu au côté des Hutu, surtout pendant la guerre Kanyarwanda, avec comme conséquence la division et l’affaiblissement de la communauté Banyarwanda du Nord-Kivu qui perdure jusqu’aujourd’hui.
Un groupe des extrémistes Hutu congolais va créer en 1982 la Mutuelle des Agriculteurs des Virunga - MAGRIVI, une association exclusivement réservée à des membres de leur groupe, aucune autre ethnie de la province n'y avait accès. Mais des Hutu dignitaires du Rwanda y agissaient aussi dans l'ombre, en accord avec une association mutualiste agricole ruandais qui, loin de conserver ce simple caractère, servit de pont entre le régime HABYARIMANA et la communauté Hutu congolaise pour mener une politique visant à diviser sur place les Banyarwanda suivant le modèle politique bien connu qui prévalait au Ruanda. En 1990, pour lutter contre le Front Patriotique Rwandais- FPR, mouvement rebelle Tutsi, le Président Juvénal HABYARIMANA, usant de la solidarité bantu, avait convaincu des autorités zaïroises pour déstabiliser les Tutsi du Kivu ; des Hutu zaïrois sont manipulés pour contrer leurs compatriotes Tutsi dont les jeunes se font enrôler dans la rébellion du FPR au début des années 90. Ainsi on va assister à une confrontation intra-communautaire au sein de tous les Banyarwanda de la région des Grands-Lacs.
(A suivre)